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Dernières notes de lecture

Shelly Masi

(Éditions Albin Michel, 2025, 21,90€)

Shelly Masi est primatologue, maître de conférences au Muséum national d’histoire naturelle, spécialiste des gorilles qu’elle étudie depuis 2000 en forêt équatoriale. Il s’agissait principalement des gorilles des plaines de l’Ouest, moins étudiés que les gorilles des montagnes avec des différences dont cette scientifique a voulu témoigner tout en annonçant que son travail de recherche l’a conduite de surprise en surprise jusqu’à découvrir que des retournements de situation pouvaient conduire à la prise de pouvoir par les femelles, les vraies reines de la jungle (les Queen Kong) face au machisme en apparence des mâles.

Le livre raconte les multiples épreuves traversées pour arriver à ce témoignage sur une loi de la jungle au féminin.

L’auteure commence par un premier contact en République centrafricaine où il faut apprendre à suivre et observer silencieusement les gorilles grâce à l’expertise des pisteurs Bayakas, éviter les attaques des éléphants comme celle des gorilles. Ainsi le programme d’habituation a commencé avec l’expérience de la peur engendrée par la charge d’un gorille mâle « dos argenté » où il fallait savoir comment réagir en restant calme…

Puis progressivement Masi Shelly découvre la complexité sociale de ces gorilles où il faut savoir interpréter les cris de chacun ou analyser leur comportement alimentaire. Les anecdotes sont nombreuses sur les comportements des femelles qu’il s’agisse de la mort de leur petit, de leur liberté dans le choix de leur partenaire sexuel, voire former leur propre groupe où elles seront dominantes... Masi Shelly explique aussi que si l’étude du comportement des femelles est mieux comprise depuis les années 60 cela vient peut-être aussi du fait que la primatologie est devenue une science féminine.

En conclusion ce livre est non seulement scientifique mais aussi le récit d’une aventure passionnante nous apprenant une réalité méconnue du comportement et de la culture de ces gorilles de l’Ouest. Les exemples sont nombreux pour démontrer aussi que tout n’a pas été facile pendant ces 25 ans de recherche dans la jungle : il fallait vaincre la peur engendrée par les menaces des gorilles ou des éléphants mais aussi supporter de multiples nuisibles (araignées, tiques…), discuter sur les avantages et les inconvénients de la stratégie de l’habituation ou de l’écotourisme pouvant amener certains gorilles à ne plus se méfier des braconniers. La comparaison du comportement des femelles gorilles avec leurs petits l’a parfois amenée à comparer sa propre situation de jeune mère pendant l’écriture du livre. Enfin c’est aussi une excellente description des bases du pistage enseignées par les courageux Bayakas qui « voient l’invisible ». C’est un livre passionnant que l’on peut recommander à tous les âges.

Jeanne Brugère-Picoux

 

 

 

Christophe Galfard

(Éditions Albin Michel, 2025, 22,90€)

Christophe Galfard se donne l'ambitieux projet de nous faire comprendre ce qu'est la vie, comment elle est apparue et si d'autres êtres vivants existaient ailleurs dans l'Univers.

Pour commencer, nous assistons aux différents débats historiques qui ont jalonné le 18ème et le 19ème siècle durant lesquels de nombreux scientifiques ont tenté de décrire et de classifier le vivant : Lamarck, Wallace, Darwin... Période qui a vu s'imposer la loi de l'évolution par sélection naturelle et la description de l’histoire de la vie par l'arbre du vivant .

Ensuite, il nous entraîne dans un voyage extraordinaire pendant lequel nous assistons à la naissance de la Terre, à son développement, à ses différentes phases jusqu'à nous jours, et nous voyons ce qu'il advient à chaque étape du vivant : des premières algues aux dinosaures, en passant par les insectes géants, jusqu'à nos jours.

La suite de l'aventure se déroule au sein du corps humain, où nous découvrons les différents éléments et mécanismes qui entrent en œuvre pour faire fonctionner le corps humain :  la cellule, les ARN, l'ADN, les nucléotides A, T, C et G, la mitochondrie, les chromosomes... En parallèle de ce voyage au plus profond de notre organisme, Christophe Galfard nous fait comprendre comment l'étude de ces processus permet aux chercheurs de s'approcher de la compréhension de l'origine de la vie.

Enfin, ce livre se termine sur une réflexion sur la possibilité de l’existence de la vie ailleurs dans l’espace.

La lecture de ce livre de plus de 500 pages se fait très facilement car d'une part Christophe Galfard nous entraîne dans une véritable aventure exaltante au cœur de l'espace et au plus profond du corps humain et d'autre part ce livre est écrit avec un langage simple pour expliquer des processus complexes qui deviennent ainsi accessibles à tous.

L'auteur donne ainsi accès à une somme considérable de connaissances au plus près de l'état de l'art de la recherche, en fait une synthèse passionnante qui permet à tout un chacun d'éclairer son questionnement naturel et fondamental sur les origines de la vie, son fonctionnement et sa place dans l'Univers.

Serge Chambaud

 

 

Jean Dalibard

(CNRS Éditions, 2025, 9€)

Jean Dalibard est physicien, grand spécialiste des atomes froids, «mais vraiment très froids» insiste-t-il. De fait, on parle de températures proches du zéro absolu (-273°C). Son livre est une visite guidée d’un monde étrange dont il pointe d’emblée un paradoxe : La température d’un corps n’est rien d’autre que la mesure de l’agitation désordonnée de ses atomes. Refroidir, c’est donc freiner les atomes, jusqu’à les immobiliser. On s’attend à aboutir à un monde figé où plus rien ne se passe. Rien de tel ! On découvre une physique très riche, où émergent des phénomènes nouveaux, régis par la physique quantique.

L’intérêt pour la matière froide est lié à Louis De Broglie, qui postule, en 1925 une idée révolutionnaire : à toute particule matérielle (électron, atome, molécule) est associée une onde. L’observation de cette « onde de matière » exige que la particule soit très lente et donc très froide. Refroidir pour mieux observer (puis manipuler), tel est le point de départ de cette physique du froid.

Comment refroidir la matière ? Paradoxalement, en la bombardant avec des lasers. L’atome est freiné par le choc qu’il subit lorsqu’il absorbe un photon. A température ambiante, un atome s’agite à 400 mètres par seconde. Par des coups successifs de laser judicieusement frappés dans les trois dimensions, on peut pratiquement le figer. Les atomes sont alors englués dans la lumière : la première «mélasse optique» fut créée à Stanford en 1985. Avec son équipe, Jean Dalibard a apporté des améliorations substantielles à cette technologie, tels le «Sisyphe atomique» et le «piège magnéto-optique», qui prédominent actuellement dans les laboratoires du monde.

Avec des atomes refroidis et piégés, on a pu mettre en évidence l’onde De Broglie, en s’inspirant de Thomas Young. En 1801, celui-ci avait prouvé, avec élégance, que la lumière est une onde, en la faisant passer par deux fentes parallèles. Les deux faisceaux de lumière ainsi formés s’additionnent et forment un réseau de franges sombres et claires d’interférences, signature indiscutable de la présence d’une onde.

En reproduisant, presque deux siècles plus tard, cette expérience avec des particules, on s’est réservé quelques surprises de taille. On fait tomber les atomes lentement, en chute libre, un par un ; chaque atome passe par l’une des deux fentes et illumine un point sur l’écran, situé 10 cm sous les fentes. Certaines régions de l’écran ne sont jamais impactées et restent sombres. Peu à peu, on voit apparaitre des franges d’interférence. Si l’on bouche une fente, les franges disparaissent et l’écran devient uniformément allumé. Résultat étonnant : lorsque l’atome traverse une fente, on dirait qu’il «sait» si l’autre fente est ouverte ou fermée, puisque sa trajectoire en dépend. Et, deuxième surprise : si l’on place un détecteur pour savoir par quelle fente passe chaque atome, les franges disparaissent aussi ! Tout se passe comme si l’atome passait «en même temps» par les deux fentes, à condition de ne pas être observé ! On dit qu’il est en état de «superposition» (fente A + fente B). Quoique incompréhensible, ce concept est fondamental dans toute la mécanique quantique. Cette expérience a été choisie comme la plus belle de la physique dans un sondage de physiciens.

L’auteur aborde nombre d’autres merveilles de son monde des atomes froids. Citons le condensat de Bose-Einstein prédit en 1925 et observé en 1995 ; les «tourbillons quantiques», qu’il compare à des microcyclones, un de ses «plus beaux souvenirs de recherche» ; la simulation quantique de phénomènes complexes comme la supraconductivité.

L’application la plus médiatisée de la matière froide est l’ordinateur quantique. Celui-ci est basé sur le qubit ou bit quantique (atome, ion, photon) qui se trouve, comme l’atome des fentes de Young, «en même temps» dans deux états. Il est aussi basé sur l’intrication qui lie de façon irrémédiable les états quantiques de deux objets, quelle que soit la distance qui les sépare.  L’ordinateur quantique réalise tous les calculs possibles en parallèle mais ne donne qu’un seul résultat. Si l’on recommence le calcul, on aura un résultat différent. C’est un défi pour les informaticiens qui doivent exploiter la distribution statistique des résultats. C’est aussi un défi pour les physiciens pour maintenir le stock de qubits tout au long du calcul car l’état de superposition a tendance à vite se brouiller. L’auteur décrit les solutions de trois start up françaises pour produire des qubits fiables. L’ordinateur quantique est encore loin de concurrencer l’ordinateur classique, mais c’est une aventure qui mérite d’être tentée, car les performances envisagées sont fabuleuses, du fait du parallélisme des calculs.

Jean Dalibard utilise un langage simple pour ses raisonnements et la description des expériences. La seule équation du livre est celle de l’onde de De Broglie. Des sujets aussi complexes ne peuvent évidemment pas être expliqués en profondeur en 85 pages. Mais le livre est une introduction captivante à l’un des domaines les plus prometteurs de la physique, et il apporte un nouvel éclairage, toujours bienvenu, sur la mécanique quantique.

Pierre Potier