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Les publications mises en ligne sur ce site expriment les opinions de leurs auteurs et pas nécessairement celles de l’AFAS.

Dernières notes de lecture

Clémence Perronnet, Claire Marc, Olga Paris-Romaskevich

(Ed. CNRS Editions, 2024, 240 p. 24€)

 
Matheuses (C. Perronnet, C. Marc, O. Paris-Romaskevich, CNRS Ed., 2024)Voilà un ouvrage particulièrement opportun à un moment où se creuse l’écart entre la France et nombre de pays comparables dans l’enseignement des mathématiques, notamment auprès des filles. Ce livre est à la rencontre de trois approches, sociologique, mathématique et féministe. Les deux premières sont scientifiques, la troisième est d’un ordre différent. C’est la seule critique que l’on pourrait faire à l’ouvrage du point de vue méthodologique.

Sur le plan pédagogique, le livre est une réussite. Il est bien illustré, repose sur une enquête dont les fondements et les résultats sont très bien présentés. Les références bibliographiques sont limitées à l’essentiel. Les exercices avec leurs corrigés sont attractifs. Au total, il devrait toucher un large public, à commencer par les jeunes filles et leurs parents, sans oublier les enseignants.

On ne peut donc que recommander sa lecture et son utilisation, notamment par les enseignants. La structure de l’ouvrage est particulièrement innovante. Elle pourrait être adoptée ou adaptée pour d’autres champs d’application comme l’IA, l’écologie... On peut souhaiter que CNRS Editions développe une collection en s’inspirant de cette réussite.

Antoine Letessier Selvon

(CNRS Editions, 2025, 128 p. 15€)

 
Marcel, Lulu et la matière noire (A. Letessier Selvon, CNRS Ed., 2025)Voici un livre peu commun dans le monde de la vulgarisation scientifique. Antoine Letessier Selvon, physicien, chercheur au CNRS, mène deux récits en parallèle. L’un est l’histoire de l’Univers vécue par deux particules, un proton et un électron, qu’il nomme Marcel et Lulu. L’autre est l’histoire de Clara, jeune chercheuse (fictive) étudiant la matière noire. Deux histoires entrelacées : Marcel et Lulu dans les chapitres impairs ; Clara, dans les chapitres pairs. Avec une convergence à la fin.

Marcel et Lulu naissent deux secondes après le Big Bang, il y a 14 milliards d’années, dans le bouillon cosmique initial avec une myriade d’autres particules. Immédiatement, matière et antimatière s’annihilent. Seule subsiste un milliardième de la matière initiale ! Marcel et Lulu sont donc des miraculés et maintenant quasiment immortels. Après trois minutes, certains protons et neutrons forment déjà les premiers noyaux d’atomes, notamment d’hélium. Les électrons, deux mille fois plus légers, sont paralysés par l’agitation frénétique des photons, «gorgés d’énergie». Marcel et Lulu doivent donc attendre un peu pour se lier. Une attente de 380 000 ans ! A ce moment, les photons ont perdu de leur énergie, en raison de l’expansion de l’Univers. Lulu et Marcel s’unissent en un atome d’hydrogène. De leur côté, les photons peuvent désormais circuler librement, et la lumière apparaît ! Ce rayonnement fossile est encore observable aujourd’hui sous forme d’ondes radio. Depuis sa découverte en 1965, il est étudié pour comprendre la structuration de l’Univers.
Marcel et Lulu dérivent «paisiblement» pendant 100 millions d’années. Ils assistent à la naissance d’une des premières étoiles. La matière se concentre sous l’effet de la gravitation. Les atomes se rapprochent doucement en tournant. L’auteur évoque des «caresses» ! Alors, «millions d’années après millions d’années, la danse se resserre». La matière devient plus chaude et plus dense. Les protons s’accolent par paires et forment des noyaux d’hélium. Cette fusion nucléaire produit une énorme énergie. L’étoile est allumée et brûle son hydrogène. En fin de vie, après 100 millions d’années, elle produira de nouveaux éléments : carbone, azote, oxygène. Ces cendres nourriront la formation des étoiles de deuxième génération, qui sont plus petites, brûlent moins vite, durent beaucoup plus longtemps (milliards d’années) et se regroupent en galaxies grâce à la matière noire. Tout comme les étoiles de la troisième génération, dont fait partie notre Soleil.
Marcel et Lulu sont maintenant dans un nuage de matière dans la Voie lactée, notre galaxie, à 25 000 années-lumière de son centre. L’explosion d’une étoile lointaine produit une onde de choc. Le nuage devient disque tournant et donne naissance à notre Soleil et ses huit planètes. Marcel et Lulu sont sur la troisième planète, la Terre. Ils se combinent avec deux autres atomes (hydrogène et oxygène) pour former une molécule d’eau. Ils seront tour à tour nuage, pluie, océan, neige.

Clara apporte un peu d’humanité dans cette histoire de grands espaces sidéraux. Adolescente, elle s’éveille aux sciences grâce à un professeur qui lui fait calculer l’âge de l’Univers. Sa thèse de doctorat porte sur la matière noire. Une matière hypothétique, invisible, que l’on a dû inventer pour rendre compte du comportement des étoiles dans les galaxies. On ne l’a jamais observée mais les preuves indirectes de son existence s’accumulent. Elle représente 80% de toute la matière de l’Univers.
Clara participe maintenant à une expérience sous le tunnel de Fréjus visant à l’observer en direct (expérience réelle en cours sous le nom de Damic-M, soit Dark Matter in CCD - Modane). «C’est quand même étrange d’étudier le cosmos dans une cave !», se dit Clara. Mais il faut éliminer tout rayonnement parasite, et la montagne bloque les rayons cosmiques. Des blindages de plomb font écran à la radioactivité. On utilise du plomb dit archéologique provenant d’une épave romaine et ayant épuisé sa propre radioactivité.
On suit Clara dans sa passion pour tout comprendre dans le montage expérimental de haute technicité et la préparation du traitement statistique des mesures, mais aussi dans sa vie quotidienne, ses réunions en vidéo avec des collègues disséminés dans le monde, ses réflexions sur l’expérience en cours, ses démarches pour la suite de son contrat postdoctoral.

Ce livre original évoque avec pédagogie et en termes courants les grandes phases de l’histoire de l’Univers, les particules et leurs interactions, la relativité générale d’Einstein qui lie matière, énergie et géométrie de l’espace, l’expansion de l’Univers, la matière noire. La plongée dans le quotidien d’une chercheuse est très instructive et s’avère un des atouts de l’ouvrage.
La lecture du livre est généralement plaisante grâce au ton décalé et à l’humour de l’auteur.
Et la rencontre de Marcel et Lulu avec Clara, que le lecteur découvrira, est originale et poétique !

Alain Aspect

(Ed. Odile Jacob, 2025, 368 p. 24,90€)

 
Si Einstein avait su (A. Aspect, Ed. Odile Jacob, 2025)Spécialiste incontesté de la physique quantique, la renommée d’Alain Aspect n’est plus à faire depuis qu’il a reçu le prix Nobel de physique en 2022. Sa riche bibliographie, ainsi que l’accessibilité à nombre de ses conférences dans les medias, témoignent de son désir de partager ses connaissances. Ce nouveau livre au titre énigmatique en est une nouvelle preuve.

Les succès de la théorie de la relativité ont fait un peu oublier qu’Einstein a eu un rôle important dans l’évolution de la physique quantique, tant par ses premières contributions aux quantas que, paradoxalement, par son refus de l’interprétation probabiliste de la physique quantique. Alain Aspect en fait un personnage-clef de son livre.

Max Planck (1900) découvre la quantification de l’énergie afin de rendre compte du problème du rayonnement du corps noir. Einstein (1905) étend ce concept au rayonnement : la lumière est composée de quantas. Il en déduira le phénomène de l’effet photoélectrique, qui lui valut d’obtenir le prix Nobel en 1922. Il apportera deux autres contributions majeures à la physique quantique : l’hypothèse de la dualité onde-particule de la lumière (1909) et la théorie quantique de l’interaction entre matière et rayonnement (1916).

A partir des années 1920, après les premières tentatives de Niels Bohr, le formalisme mathématique de la physique quantique s’est développé, sous l’impulsion de Heisenberg, Schrödinger et Dirac. Max Born (1926) formule l’interprétation probabiliste de la fonction d’onde : on ne peut pas prédire le résultat d’une mesure d’un système quantique, seule sa probabilité d’occurrence est connue.

Einstein refuse cette interprétation : le monde n’est pas soumis au hasard («Dieu ne joue pas aux dés»), pour lui la théorie n’est pas complète. Au cours des congrès de Solvay (1927 et 1930), Einstein tente de prouver l’invalidité du principe d’incertitude de Heisenberg par des expériences de pensée. Bohr parviendra à invalider ses tentatives en invoquant l’influence du caractère quantique de l’appareil de mesure.

Einstein revient à la charge et publie (1935) l’article mythique du «paradoxe EPR» mettant en jeu deux particules intriquées. Il démontre, en s’appuyant sur le formalisme quantique, que les mesures (vitesse ou position) faites simultanément sur les deux particules sont corrélées. Il en déduit que la mesure de la seconde particule était définie avant la mesure sur la première, en contradiction avec le principe d’incertitude de Heisenberg, et qu’il est donc nécessaire de compléter le formalisme quantique. Niels Bohr ne saura pas y opposer alors d’arguments convaincants.

S’ensuit une longue période durant laquelle la communauté des physiciens considère que le sujet EPR a été clos, se satisfaisant du formalisme probabiliste qui permet de traiter rigoureusement une foule de phénomènes quantiques.

En 1974, Alain Aspect prend connaissance d’un article discrètement publié en 1964 par John Bell, physicien au Cern. Reprenant l’idée d’Einstein des variables cachées locales, Bell a formulé des conditions (inégalités de Bell) portant sur la corrélation des deux particules, conditions auxquelles devrait satisfaire un système à paramètres complémentaires. Selon lui, une expérience qui vérifierait ces conditions viendrait trancher le débat suspendu entre Einstein et Bohr.

Alain Aspect saisit très vite l’enjeu d’une telle expérience mais également la complexité de mise en œuvre. Il en fait son sujet de thèse comme hôte de l’Institut d’optique où il déploiera ses talents d’expérimentateur.

Il réalisera trois expériences dont le principe consiste à envoyer dans deux directions opposées des photons intriqués, détecter simultanément leur état de polarisation (rôle des polariseurs) et calculer la corrélation entre les états coïncidents selon des orientations variables des polariseurs.

Les deux premières expériences ont révélé la violation des inégalités de Bell avec un très haut niveau de confiance, confirmant la justesse de la théorie probabiliste de la physique quantique et réfutant la vision d’Einstein de réalité locale du monde physique.

Par un dispositif innovateur permettant de modifier l’orientation des polariseurs avant que les particules ne les atteignent, la troisième expérience lèvera le dernier doute sur la possibilité qu’une particule, une fois émise, ne soit informée de l’orientation de l’autre polariseur sans violer le principe de la relativité restreinte.

Einstein avait tort, mais ce fut une erreur féconde !

Ce livre d’un auteur soucieux de partager sa passion et ses connaissances saura captiver un large public de lecteurs, étudiants ou amateurs de physique quantique. Les concepts théoriques et les technologies employées (annonciatrices des applications émergentes telles que la cryptographie quantique et le calculateur quantique) y sont exposés en langage clair et précis. Le dernier chapitre donnera au lecteur quelques éclairages sur le titre énigmatique de l’ouvrage.