Alain Delacroix
Professeur honoraire, chaire « Chimie industrielle – Génie des procédés » du Conservatoire national des arts et métiers
La crise sanitaire que nous venons de vivre a bousculé un certain nombre d’idées reçues chères à notre «ancienne société». On a notamment (re)découvert que les objets en plastique jetables, dont certains seront bientôt interdits, sont très utiles dans les hôpitaux, et que les matières plastiques (adjectif ô combien péjoratif) sont nécessaires pour protéger nos denrées alimentaires, fabriquer les écrans de protection, les masques chirurgicaux et FFP, etc.
Dans le cadre de la pandémie actuelle, plusieurs types de masques sont utilisés. Certains sont des dispositifs médicaux (masques chirurgicaux), d’autres sont des équipements de protection individuelle EPI (masques FFP : filtering facepiece). Ils répondent à des normalisations différentes et n’ont pas les mêmes propriétés. Pour autant, ils sont constitués majoritairement de polypropylène non tissé. Les microparticules et les virus se fixent sur les filaments du polypropylène hydrophobes par des forces électrostatiques de type Van der Waals.
Ce polypropylène devient omniprésent car un masque pesant environ quatre grammes, un milliard de masques (il y en a probablement beaucoup plus !) représentent quatre mille tonnes, qui risquent d’être dispersés dans la nature par des utilisateurs inconscients. Du coup, il est accusé d’être polluant – et même d’être un perturbateur endocrinien alors que c’est le bisphénol A qui l’est. Pourtant le propylène et son polymère ne sont pas toxiques et ont un très grand nombre d’applications.
Le monomère, propène ou propylène, est produit par vapocraquage à haute température de produits pétroliers, dont le naphta qui est une essence lourde. En France, les vapocraqueurs transforment près de 9,5 millions de tonnes par an et produisent près de 1,6 millions de tonnes de propylène.
La polymérisation de ce monomère est complexe car le groupe méthyle rend l’opération différente de celle de son homologue plus simple, l’éthylène CH2=CH2. En effet, le groupe méthyle peut se situer du même côté de la chaîne carbonée et c’est le PP isotactique ; de part et d’autre alternativement et c’est le PP syndiotactique ; ou au hasard et c’est le PP atactique.
C’est au début des années cinquante que les chimistes Karl Ziegler et Giulio Natta mettent au point une polymérisation stéréorégulière du propylène, ce qui leur vaudra le prix Nobel en 1963. Les catalyseurs sont très sophistiqués et les premiers sont constitués par du tétrachlorure de titane associé à des composés organo-aluminiques. La structure du polypropylène obtenu est cristalline, ce qui confère au produit des qualités assez extraordinaires. En plus, il est facilement travaillable car on peut le mouler, l’extruder et le filer, d’où un nombre incalculable d’applications :
- construction automobile : pare-chocs, tableaux de bord, habitacle, réservoirs d’essence et de liquide de freins,
- emballage alimentaire,
- tissus d’ameublement, tapis,
- cordages, entre autres pour la Marine, ficelles agricoles,
- vêtements professionnels jetables,
- géotextiles, géomembranes,
- adjuvants de bétons,
- isolants : transformateurs, gaines…
Le polypropylène est donc paré de presque toutes les qualités. En revanche, il reste le grave problème, commun à tous les plastiques, de son élimination et de son recyclage après utilisation. Dans le cas du polypropylène, on a la chance qu’il soit recyclable plusieurs fois et que, lorsqu’il est trop dégradé, on puisse l’incinérer, ce qui ne fournit que du gaz carbonique et de l’eau.
Toutefois, une partie des 70 millions de tonnes produites par an dans le monde finissent dans les océans. Cela concerne particulièrement la France, qui est le pays ayant les deuxièmes plus grande zone économique maritime et plus grande surface sous-marine au monde. Il est ainsi très regrettable que l’atoll français Clipperton, complètement désert et situé à 1000 km de la terre la plus proche, soit couvert de déchets plastiques. Curieusement, les très nombreux oiseaux qui y habitent font leurs nids avec ces déchets. Peut-être trouveront-ils très confortables les masques chirurgicaux que les humains peu scrupuleux jettent n’importe où.
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