Ian Stewart
(Dunod, 2020, 352 p. 23,90€)
La crise sanitaire nous le rappelle : nous n’aimons pas l’incertitude. Depuis toujours, l’homme s’est efforcé de la réduire, la maîtriser, l’encadrer. Dans son dernier livre, Ian Stewart, mathématicien et professeur émérite à la prestigieuse université de Warwick en Angleterre, nous offre, en 300 pages, un vaste panorama du monde de l’incertitude.
Les premiers chapitres sont consacrés aux grandes étapes historiques.
Dans l’Antiquité, l’art de la prédiction était d’une grande complexité. On recensait 8000 présages possibles devant la seule observation d’un foie de mouton ! Le christianisme a interdit ces pratiques divinatoires mais certaines se sont maintenues (horoscopes, lignes de la main).
Ce sont les jeux de hasard qui sont à l’origine du calcul des probabilités. L’Italien Cardan, mathématicien, médecin, joueur et voyou, en est le pionnier (1545). Pascal et Fermat inventent l’espérance mathématique et le Suisse Jacques Bernoulli énonce la loi des grands nombres.
C’est ensuite l’astronomie qui suscite les travaux sur les calculs d’erreur, permettant de fixer une valeur probable à partir de mesures imprécises, avec Legendre (1805), Moivre, Laplace, et Gauss. La fameuse courbe en cloche fait son apparition : elle va dominer le monde des probabilités et des statistiques.
Une nouvelle branche théorique s’ouvre au XIXe siècle avec les probabilités conditionnelles calculées par le pasteur britannique Thomas Bayes (probabilité d’un évènement E si un évènement F s’est produit).
Les probabilités pénètrent au cœur de la physique théorique avec l’Autrichien Boltzmann et sa théorie cinétique des gaz, basée sur les calculs statistiques des mouvements de molécules (1870). Il y a une probabilité non nulle que tout l’air d’une salle se concentre soudain dans un coin, asphyxiant les personnes présentes !
« Notre intuition des probabilités est désespérante », se lamente Stewart. Dans un étonnant chapitre « Illusions et paradoxes », il présente des problèmes dont les solutions nous sont contre-intuitives et il explique pourquoi avec beaucoup de pédagogie. Exemple : une famille a deux enfants, dont une fille. Quelle est la probabilité pour qu’il y ait deux filles ? Réponse correcte : 1/3.
L’auteur traite en détail des multiples applications pratiques des probabilités : les procès (probabilités de culpabilité devant une preuve), les modèles économiques, la médecine (essais cliniques), le cerveau (qui fonctionne comme une machine à décider probabiliste), la sociologie (statistiques démographiques, comportements humains), la cryptographie (génération de nombres aléatoires), le contrôle chaotique (missions spatiales).
La météorologie occupe une place à part car elle est à l’origine de la théorie du chaos. En 1973, le météorologue américain Edward Lorenz déclare qu’un battement d’aile de papillon au Brésil peut provoquer une tempête au Texas ! Il a découvert que les résultats des équations de la météo sont extrêmement sensibles aux conditions initiales. De ce fait, bien que les lois qui les guident soient parfaitement connues, leur évolution dans le temps ne peut être prédite au-delà d’une certaine limite. C’est le lot de tous les systèmes chaotiques, dont Poincaré avait d’ailleurs eu l’intuition en 1908. L’horizon prédictif est de quelques jours pour la météo, quelques mois pour les marées et quelques millions d’années pour la position des planètes.
Avec la mécanique quantique, qui traite des particules, on entre dans un monde radicalement différent. Dans tout ce qui précède, l’incertitude n’était due qu’à notre ignorance. Si l’on connaissait avec précision tous les paramètres d’un lancer de dés, on pourrait calculer son résultat. Ici rien de tel : l’incertitude est intrinsèque au phénomène. Une particule quantique est dans une superposition d’états possibles dont la probabilité est donnée par une équation. C’est seulement lorsqu’on « observe » la particule que celle-ci prend un état défini. Einstein ne croyait pas à cette nature aléatoire : « Dieu ne joue pas aux dés », disait-il. Un débat célèbre avec Niels Bohr s’ensuivit. Selon Einstein, la particule est guidée par des variables classiques cachées. En 1964, Bell démontre l’impossibilité de ces variables cachées. Sauf pour les systèmes chaotiques, corrige Tim Palmer en 1995.
Ian Stewart apporte aujourd’hui des arguments pour réhabiliter les variables cachées. Il pense que l’on parviendra un jour à dépouiller la mécanique quantique de sa dimension probabiliste : « Dieu joue certes aux dés. Mais ces dés sont cachés et non aléatoires. Comme les dés réels », annonce-t-il.
Cette prise de position d’Ian Stewart fait l’originalité du livre et lui donne son titre ! L’ouvrage est riche en informations et écrit dans un langage commun. Il nécessite néanmoins une bonne base en mathématiques et physique, et certains raisonnements sont ardus à suivre pour un lecteur non spécialisé.