Denis Collin
(La nouvelle librairie, 2022, 118 p. 13€)
Platon comme Aristote opposent la connaissance, l’épistémè, à l’opinion, la doxa.
Face au transhumanisme, face à l’apparition de robots tellement «intelligents» qu’ils seraient appelés à nous supplanter, face aux contrôles sociaux multiformes que permet le big data, face à tous ces «prodiges» que la technique alliée à la science rend désormais possibles, la question est aujourd’hui de savoir si nous ne confondons pas de plus en plus connaissance et opinion, science et idéologie.
Le philosophe Denis Collin, dans un petit livre intitulé Malaise dans la science, cherche à comprendre et à faire comprendre ce que nos sociétés modernes développées ont fait de la science, qui est à la fois référence ultime et cible de toutes les critiques, qui est à la fois, telle une idole, vénérée et rejetée.
Il cite Épicure : «Mieux vaudrait consentir à souscrire un mythe concernant les dieux, que de s’asservir aux lois du destin des physiciens naturalistes : la première option laisse entrevoir un espoir, par des prières, de fléchir les dieux en les honorant, tandis que l’autre affiche une nécessité inflexible». On ne peut mieux dire. Faute de Dieu, ou de dieux, ne sommes-nous pas en effet pris dans une nécessité inflexible ?
Avec Thalès et Pythagore naquirent les mathématiques, avec Galilée la physique, avec Lavoisier la chimie, et désormais, avec la révolution de la biologie, ce n’est plus seulement la nature que nous observons, de l’extérieur, c’est sur nous-mêmes que nous nous penchons. Quand le sujet qui observe est aussi l’objet observé, la vérité change de sens.
Descartes nous voulait, grâce à la connaissance scientifique, «maîtres et possesseurs de la nature». Nous lui avons obéi, et avec quel zèle ! Et maintenant, maîtres et possesseurs de la nature, nous serions aussi maîtres et possesseurs de nous-mêmes, qui sommes partie de la nature. Il y a là une difficulté majeure, une aporie comme disent les philosophes : quel sens cela a-t-il d’être «maître et possesseur de soi-même» ?
Denis Collin propose la philosophie en remède à ces excès, à ces contradictions, à ces non-sens. Cela est certes un plaidoyer pro domo, c’est aussi une très pertinente invitation à la réflexion.
Son livre, dont ces quelques lignes ne donnent qu’un très imparfait aperçu, est accessible aux non-philosophes, il est bien écrit et facile à lire, il mérite d’être lu par ceux qui s’interrogent sur le rôle de la science et sur notre avenir.