Anne-Cécile Dagaeff et Agatha Liévin-Bazin
(Belin, 2022, 256 p. 19,90€)
Les deux jeunes autrices, diplômées en comportement animal, se déclarent être «des passionnées de bestioles». Sensibilisées à la médiation scientifique, leur objectif annoncé est d’amener un large public à s’intéresser aux sciences. Dans cet ouvrage, elles scrutent le monde imaginaire d’Alice et nous en offrent un regard nouveau, nourri par mille anecdotes scientifiquement étayées.
Saviez-vous qu’Alice aux pays des merveilles est l’un des livres les plus connus au monde ? Edité en 1865, Lewis Caroll lui a donné une suite en 1871 avec De l’autre côté du miroir.
Cette présente analyse, d’un genre inédit, s’articule en deux parties : la première partie s’emploie à détailler l’extraordinaire diversité du bestiaire du monde d’Alice, la seconde partie est dédiée aux comportements de ses habitants, si singuliers. Le plaisir de se replonger dans l’épopée merveilleuse d’Alice imaginée par Charles Dogson (alias Lewis Caroll) nous guide en fil directeur d’une succession d’anecdotes scientifiques précises et fouillées. La gageure de ce livre est de faire correspondre le merveilleux à des données scientifiques ou historiques. Ainsi est d’emblée commenté le sourire si réputé des chats de Chester (Cheshire, région d’origine de Charles Dogson)!
Dans la première partie, il est d’abord question des métamorphoses et des transformations qui surviennent tout au long du parcours agité d’Alice, ceci en parallèle à certains phénomènes connus dans la nature.
Par exemple, nous voilà plongés dans les descriptions des extraordinaires possibilités de camouflage de l’oiseau petit-duc à face blanche et surtout avec les modifications du blob, cet organisme unicellulaire qui n’appartient ni au règne animal ni au végétal et qui change de taille pour explorer l’infini de son territoire.
Nous apprenons aussi que le dodo, cet animal mythique, s’est fait connaître à une échelle mondiale grâce au succès d’Alice aux pays des merveilles. En fait, cet oiseau qui disparut au XVIIe siècle a encore ses reliques les mieux conservées dans un musée à Oxford, où Charles Dogson était professeur de mathématiques.
La deuxième partie commente ce fameux tea party de folie avec le lièvre de mars et le chapelier. Le dérèglement comportemental de ces deux personnages pourrait s’expliquer pour l’un, par la période particulière de reproduction des lièvres en mars, et pour l’autre, par les méthodes de fabrication du feutre des chapeaux à base de mercure pouvant occasionner des incidences neurologiques.
L’attitude de la chenille fumant la pipe, en complet désintérêt du monde alentour, renvoie à une présentation des substances psychotropes et en particulier à celle de l’opium, très à la mode à la fin du XIXe siècle.
Les roses, le thé, ces affinités et occupations so British ont droit aussi à des descriptions historiques et scientifiques très détaillées et intéressantes.
Plus loin, l’hypothèse émise par la reine rouge dans De l’autre côté du miroir : «il faut courir de toute la vitesse de ses jambes pour rester là où on est» ferait allusion aux découvertes contemporaine de Darwin et à la théorie de l’évolution. Si l’on reste en place dans un monde qui bouge, on disparaît.
Pour conclure, il s’agit d’un joli livre très bien écrit, avec une approche scientifique du vivant très originale en forme de patchwork coloré et attractif, digne d’un nouveau cabinet de curiosités du XXIe siècle. La mission de médiation scientifique annoncée par les deux autrices est parfaitement accomplie. Ce livre offre en outre aux lecteurs intéressés de nombreuses pistes pour en savoir plus sur cette nature dont la fragilité inquiète.
A noter que, même si toutes ces interprétations et données scientifiques nous en donnent une nouvelle et captivante lecture, le merveilleux d’Alice demeure hors de toute atteinte !