Jean-Gabriel Ganascia
Professeur d’informatique à la faculté des sciences de Sorbonne Université, membre de l’Institut universitaire de France, ancien président du comité d’éthique du CNRS
Un article fort controversé et signé, entre autres, par le professeur Didier Raoult, vient d’être officiellement rétracté, plus de quatre ans après sa publication. Paru en mars 2020, au tout début de la pandémie de Covid-19, il portait sur les prétendus effets curatifs de l’hydroxychloroquine pour les patients atteints de cette maladie. Il eut, souvenons-nous en, un effet retentissant dans la population, à une époque où l’on se trouvait tous dans l’expectative d’un traitement efficace et fiable. Il semblait ouvrir des perspectives salutaires au grand public, très soucieux de sa santé, et peu familier avec la démarche scientifique. Pourtant, très tôt, à sa lecture, des spécialistes soulignèrent les multiples infractions aux bonnes pratiques qu’il contenait. Rappelons que l’étude portait sur vingt-six patients, ce qui à l’évidence était trop faible pour donner une réponse fiable dans le cas d’une maladie dont le taux de létalité était, à l’époque, de l’ordre de 5%. En effet, 26*5% = 1,3, ce qui fait un peu plus d’un mort statistique sur l’échantillon… Faute à pas de chance ! A cet égard notons que six patients parmi les vingt-six traités, dont un qui a succombé et deux qui sont allés en réanimation, ont été arbitrairement retirés de l’étude. Enfin, le placement des patients dans le groupe placebo n’était ni aléatoire, ni fait en double aveugle, ce qui signifie que les médecins savaient si les patients avaient été traités ou non. Au reste, les conflits d’intérêts avec la revue en question, l’International Journal of Antimicrobial Agents, étaient manifestes puisque deux des co-auteurs sont membres de son comité éditorial.
Compte tenu de ces infractions à l’intégrité scientifique, l’étude aurait dû être récusée très vite. Soulignons qu’on engage des procédures de rétractation dans trois cas de figure : une erreur de bonne foi, une entorse à l’intégrité scientifique ou une appropriation frauduleuse du travail d’un autre, par exemple du plagiat. Ici, nous nous trouvons à l’évidence — et, point n’est besoin d’être un spécialiste pour s’en convaincre ! — dans le second cas de figure. Comment se fait-il qu’il ait fallu attendre quatre ans pour s’en rendre compte ? Il faut le déplorer. Mais, il faut plus encore déplorer l’incapacité qu’on eut les scientifiques invités dans les médias de convaincre le grand public des inepties que contenait cet article.