Patrice Debré
(Odile Jacob, 2024, 240 p. 23,90€)
Décembre 2020, la première campagne de vaccination contre la Covid-19 démarre en France. Le grand public découvre alors la technologie de vaccin à ARN. S’ensuit une longue série de séquences d’informations, de débats, de questionnements. Les scientifiques sont invités sur les plateaux télévisés pour expliquer, convaincre ou rassurer. On se demande par la suite entre famille, amis ou collègues, si on a reçu une dose de «Pfizer/BioNTech» ou de «Moderna». On s’intéresse soudainement à ces Biotech et chacun y va de son avis sur cette nouvelle technologie. Mais qui jusque-là s’était déjà demandé, lors d’un rappel vaccinal contre le tétanos, par quelle société étaient fabriqués nos vaccins ? Et quelle technologie était utilisée ? Que sait-on en fait vraiment de l’ARN, l’acide ribonucléique ? Si l’ADN fait presque partie du langage courant, l’ARN lui, reste un peu énigmatique.
Dans cet ouvrage, Patrice Debré nous embarque avec lui dans une quête de connaissance autour de cette molécule, sur les étapes successives qui ont mené à sa découverte, puis à ses utilisations.
Il replace la communication au cœur du vivant, puisque «la vie, l’essence même de la biologie, dépend d’un vaste système de communication entre les hommes, entre les organes, entre les cellules, entre les gènes et les autres segments d’ADN». Entre l’émetteur d’un signal et son récepteur, l’auteur remet le message au centre car «c’est bien lui, le donneur d’ordre».
L’ARN est composé de nucléotides et est transcrit à partir d’une copie d’ADN. C’est l’ARN messager qui a d’abord été décrit comme l’intermédiaire entre les gènes, porteurs de l’information, et les protéines, qui assurent une multitude de rôles dans la cellule. Mais l’auteur nous rappelle que 1% du génome humain seulement est susceptible d’être traduit en protéines. Comme si les 99% restants, d’ailleurs longtemps appelés ADN poubelle, ne servaient à rien. En avançant dans la lecture de la première partie, on découvre une deuxième sorte d’ARN, dit ARN régulateur. Ces ARN sont justement transcrits par des régions non codantes du génome et on estime maintenant que 75% du génome humain est transcrit à la fois en ARN messager et en ARN régulateur. L’ADN «poubelle» a donc bel et bien une fonction, puisque les ARN régulateurs interfèrent avec l’ARN messager, contrôlant ainsi leur traduction en protéines. L’information portée par les gènes est donc la résultante de deux molécules, les ARN messagers et les ARN régulateurs, agissant de manière complémentaire.
Au-delà des connaissances scientifiques que nous apportent ces cent premières pages, on découvre surtout le monde de la recherche. L’auteur nous ouvre les portes de prestigieux laboratoires, du début des années cinquante à nos jours, et suit le parcours de quelques scientifiques, Jacques Monod et François Jacob entre autres, qui ont participé aux découvertes majeures en biologie moléculaire. Le lecteur se trouve plongé dans cet univers à la fois exaltant et impitoyable. On saisit par exemple l’importance des collaborations entre scientifiques, la difficulté à convaincre ses pairs, et on réalise à quel point les chercheurs doivent être résilients, en lisant notamment à propos de Jacob et Monod que, loin de les décourager, «l’absence d’intérêt de leurs collègues leur apparut comme un nouveau stimulant» ! Pour notre plus grand bonheur, l’auteur nous fait aussi vivre par procuration les moments d’excitation lorsqu’enfin un résultat prend sens. En bref, Patrice Debré nous livre ici un récit vivant et réaliste, et rend hommage à «la science en train se faire», à ce que François Jacob appelle si bien «la science du jour, qui met en jeu les raisonnements et les résultats, et celle de la nuit. Celle-là au contraire se déroule à l’aveugle, en trébuchant, en reculant, jusqu’à vous réveiller en sursaut. Ce qui la guide, cette science de la nuit, c’est l’instinct, l’intuition».
La deuxième partie de ce livre rappellera sans doute au lecteur de vagues souvenirs de lycée ou d’université et lui apportera un éclairage bienvenu sur quelques notions clés de biologie cellulaire. En quelques paragraphes, Patrice Debré aborde certains des mécanismes fondamentaux de la cellule, unité de base du vivant, et nous guide à travers sa composition, sa structure et ses fonctions. Ce chapitre est l’occasion de s’émerveiller de la paradoxale simplicité de la vie : alors qu’une trentaine d’atomes suffit pour constituer l’intégralité des molécules partagées par tous (bactérie, arbre, humain), c’est l’organisation de ces molécules qui permet l’incroyable complexité et diversité du monde vivant.
Dans la troisième partie, intitulée «Utiliser l’ARN», l’auteur s’interroge d’abord sur les innovations qui ont permis une utilisation vaccinale de l’ARN. Il détaille de façon très didactique les recherches menant à une meilleure compréhension de la structure de l’ARN et les précautions à prendre lors de la fabrication de vaccins. En effet, l’ARN messager doit intégrer les bonnes cellules, au bon endroit dans la cellule, sans être dégradé et sans déclencher une réponse inflammatoire. De nombreuses étapes d’optimisation ont été nécessaires et on comprend bien, comme le conclut Patrice Debré, que «les grandes découvertes passent par les améliorations des techniques si l’on veut qu’elles servent».
Là encore, l’auteur nous apporte non seulement des connaissances techniques mais aussi un aperçu du monde des Biotechs, de la nécessité des recherches transversales, entre biochimie, informatique et génétique, entre autres. En décrivant les parcours de trois Biotechs que sont BioNTech, Moderna et CureVac, on comprend un peu mieux les rouages de ces industries, qui doivent choisir entre recherche et innovations, convaincre leurs actionnaires, se rapprocher pour bénéficier d’expertises variées, tout en menant une guerre de propriété intellectuelle. En résumé, «la science, si raffinée soit-elle, ne suffit pas». Cette phrase résonne encore longtemps après avoir refermé les pages de ce livre…
Cet ouvrage, à mettre entre les mains d’un public averti, ayant déjà quelques connaissances de base de biologie, est écrit comme une discussion entre scientifiques, ce qui rend la lecture dynamique et très agréable. Patrice Debré conclut en suggérant de mieux informer la société sur ce qui est fait des nouvelles découvertes scientifiques. Selon lui, «informer la société des prouesses, des enjeux, des défis, des limites de l’ingénierie génétique est une nécessité absolue». Cet ouvrage y contribue amplement.