Les atomes

Jean Perrin

(CNRS Editions, 2024, 312 p. 11€)

 
Les atomes (J. Perrin, CNRS Ed., 2024)C’est un livre qui a fait date dans l’histoire des sciences. Ecrit en 1913 par Jean Perrin, il mit fin à une longue controverse sur l’existence des atomes et valut le prix Nobel à son auteur. Aujourd’hui, le CNRS le réédite pour la huitième fois.

La matière est-elle continue et divisible à l’infini ou bien discontinue et formée d’atomes ? Dès l’Antiquité, Démocrite, Epicure, Lucrèce sont les figures de proue de l’atomisme, que l’Eglise catholique rejettera fermement. Pierre Gassendi, astronome et religieux, reprend pourtant ce concept au XVIIe siècle. L’atomisme scientifique débute à Manchester en 1803 avec John Dalton (lequel donna son nom au daltonisme dont il souffrait et qu’il étudia). Il observe que les éléments chimiques se combinent exclusivement dans des rapports de poids simples, à base de petits nombres entiers. Il en déduit que la matière est discontinue, et formée d’«atomes» indivisibles. Les expériences se multiplient. A Turin, le comte Amedeo Avogadro, avocat reconverti aux sciences, postule que des volumes égaux de gaz différents contiennent un nombre identique de molécules (ou assemblages d’atomes). De l’observation des phénomènes de diffusion et du mouvement brownien, on déduit que les molécules s’agitent en permanence. Une agitation aléatoire et très rapide (1000 km/h), étudiée par Maxwell puis surtout par Boltzmann, qui en dérive sa nouvelle physique statistique.
Malgré les succès apparents de l’atomisme, beaucoup de scientifiques, comme Poincaré, restent dubitatifs. Certains sont vent debout devant ces particules invisibles virevoltantes, influencés par Auguste Comte, fondateur du positivisme, pour qui le sujet est hors du domaine de la science car non observable en direct. Le chimiste Dumas veut «effacer le mot atome de la science». Pour Sainte-Claire Deville, c’est une «pure invention de l’esprit». Berthelot déclare : «Qui a jamais vu, je le répète, un atome ou une molécule gazeuse ?». Secrétaire de l’Académie, il interdira jusqu’à sa mort, en 1907, l’enseignement de la théorie atomique.

C’est alors que Jean Perrin entre en scène. Brillant physicien de 35 ans, atomiste convaincu, il veut mettre fin à la polémique en accumulant un faisceau convergent d’indices favorables. De 1907 à 1909, il mesure le «nombre d’Avogadro» (résultant de l’hypothèse du même nom) de treize façons totalement différentes, faisant appel à des phénomènes tels que le mouvement brownien, la diffusion de la lumière, la viscosité, la radioactivité (découverte récemment). Il fait varier les paramètres (température, densité) et obtient toujours le même nombre d’Avogadro (ou presque). Ce résultat extraordinaire ne peut s’expliquer que par l’existence des atomes.

En 1911, le congrès organisé par Ernest Solvay, industriel belge, rassemble le gotha des physiciens. Jean Perrin présente ses travaux et recueille une adhésion totale : «l’atome des chimistes est devenu une réalité», déclare un Poincaré maintenant convaincu, tout comme Ostwald, longtemps opposé à Boltzmann. Ce dernier s’est suicidé en 1906 sans connaître le triomphe de sa théorie.

Jean Perrin écrit le livre Les atomes dans la foulée du congrès. Il déclare vouloir «expliquer du visible compliqué à partir de l’invisible simple». Il recense et explique tous les travaux réalisés depuis 1800, de Dalton à Boltzmann. Il décrit ensuite ses propres travaux. On est frappé par l’inventivité, la rigueur et la minutie de ses expériences. Il nous donne une véritable recette de cuisine pour décrire son émulsion du mouvement brownien. Il se montre pédagogue, étoffe son texte de métaphores convaincantes. Ainsi celle du bateau que l’on voit tanguer au loin, révélant des vagues invisibles à cette distance, tout comme les grains de pollen de Brown révèlent l’agitation moléculaire. Le langage est fluide, clair, allant à l’essentiel. L’auteur explique ses choix et le lecteur se sent privilégié de suivre ainsi le cheminement intime de la pensée d’un grand physicien. Il nous fait partager la joie de la découverte : «on est saisi d’admiration devant le miracle de concordances aussi précises à partir de phénomènes si différents», et il conclut : «cela donne à la réalité moléculaire une vraisemblance bien voisine de la certitude».

Perrin recevra le prix Nobel de physique en 1926, à l’âge de 56 ans, au moment précis où les nouveaux jeunes loups de la mécanique quantique révolutionnent la physique de l’atome. Il va œuvrer dans l’éducation et la recherche, en créant le Palais de la Découverte (1937) et le CNRS (1939).

Quant au nombre d’Avogadro, il aura un curieux destin : conçu en 1811, mesuré en 1909, il fut consacré constante universelle en 2018 ! Nombre gigantesque avec vingt-trois zéros, il est le facteur d’échelle entre notre monde et celui de l’atome.

Ce livre s’adresse à des étudiants de niveau universitaire, qui y trouveront un exceptionnel cours de physique, et à tous ceux qu’intéresse l’histoire des sciences.