Alerte à la fièvre aphteuse en Allemagne chez trois buffles d’eau

Jeanne Brugère-Picoux* et Jean-Luc Angot**

* Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
** Inspecteur général de santé publique vétérinaire

 

Annonce du 10 janvier 2025 de trois cas de fièvre aphteuse chez des buffles d’eau en Allemagne

Une dépêche de l’AFP et du laboratoire national de référence pour la fièvre aphteuse du Friedrich-Loeffler-Institut (FLI) [1] nous apprennent le 10 janvier 2025 qu’un foyer de fièvre aphteuse a été détecté en Allemagne sur trois buffles d’eau élevés près de Berlin dans la région voisine du Brandebourg. Tous les buffles du troupeau ont été abattus, ainsi que les élevages voisins à risque, pour éviter toute propagation de cette maladie virale extrêmement contagieuse à l’origine de pertes économiques très importantes. Les prélèvements réalisés sur les trois buffles infectés ont été envoyés d’une part au laboratoire national du FLI, et d’autre part le seront au laboratoire Anses de Maisons-Alfort dirigé par notre confrère Stephan Zientara car il s’agit du laboratoire de référence pour l’Union européenne (UE), à l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA, ex OIE) et à l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations unies (FAO). L’identification au laboratoire de la souche de virus en cause pourrait aider déterminer l’origine de l’infection.

Les buffles d’eau ont été introduits en Allemagne à partir des années quatre-vingt-dix, principalement pour lutter contre la prolifération d’espèces animales et de plantes invasives dans les zones humides difficiles d’entretien avec des engins mécaniques et souvent inaccessibles pour d’autres animaux domestiques.

Précédentes épidémies en Europe

Il n’y avait pas eu de cas en Allemagne depuis 1988 (le dernier foyer s’était déclaré en Basse-Saxe) ou dans l’UE depuis 2011. Les précédentes épidémies observées en Europe ont concerné le Royaume-Uni en 2007 et la Bulgarie en 2011. L’épidémie au Royaume-Uni de 2007 était due à un virus de sérotype O, souche BFS, échappé suite à une faille dans les mesures de biosécurité du Laboratoire mondial de référence de Pirbright (ce laboratoire a depuis été refait à neuf). Près de 2000 bovins avaient été abattus. Avant cet épisode, le Royaume-Uni avait été touché par une importante épidémie de fièvre aphteuse en 2001 concernant 2030 exploitations. Les conséquences économiques ont été désastreuses : abattage d’au moins 6,5 millions d’animaux (bovins, ovins, porcins, caprins et animaux sauvages). La crise des secteurs agricole et touristique britanniques a eu un coût proche de 12 milliards d’euros [2]. Cette épidémie s’est étendue à l’Irlande, aux Pays-Bas et à la France, soit 53 000, 285 000, 63 000 animaux abattus respectivement [2]. L’épidémie de Bulgarie de 2011, la dernière connue dans l’UE selon l’OMSA, avait pour origine des sangliers ayant traversé la frontière turco-bulgare (plusieurs centaines d’animaux avaient été abattus).

Le virus de la fièvre aphteuse et le risque exceptionnel pour l’Homme

Le virus de la fièvre aphteuse est un virus à simple brin d’ARN (aphtovirus) de la famille des Picornaviridae. Il affecte principalement les ruminants et les porcs. Il se transmet par contact direct entre les animaux infectés mais aussi de façon indirecte par tous les objets, surfaces, produits, etc. contaminés. L’Homme peut favoriser la contamination en cas d’absence d’application des mesures de biosécurité recommandées. Des cas de transmission aérienne ont été également signalés. Le virus est résistant dans le milieu extérieur mais il est inactivé par un chauffage à 70°C pendant au moins 30 mn.
La question du risque zoonotique de la fièvre aphteuse a été souvent débattue. Certains, comme le FLI, concluent à l’absence d’un risque pour l’Homme [1]. Néanmoins, de rares cas ont été signalés dans la littérature. Même si l’incidence de la maladie chez l’animal est élevée, son apparition chez l’Homme est assez rare. Les symptômes sont bénins. Ils se traduisent par l’existence de cloques sur les mains ou d’autres zones exposées, parfois accompagnée de fièvre, de maux de tête ou de maux de gorge. Les patients se rétablissent en quelques jours. Le dernier cas humain en Grande-Bretagne remonte à l’épidémie de 1966 [3].Le virus a été isolé et typé (type O, suivi du type C et rarement du type A) dans plus de quarante cas humains [4]. L’Homme se contaminerait par contact avec les animaux infectés ou par la consommation de lait cru [5]. Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) de Stockholm recommande d’éviter le contact avec les animaux infectés et la consommation de leurs produits non suffisamment chauffés [6].
La fièvre aphteuse est essentiellement une maladie animale et n’a rien à voir avec la maladie humaine, généralement bénigne, causée principalement par le virus Coxsackie A et connue sous le nom du «syndrome pieds-mains-bouche», rencontrée principalement chez les enfants [7]. Elle provoque généralement de la fièvre et une éruption cutanée généralisée (papulovésicules) dans la bouche, sur les paumes, les doigts et la plante des pieds pendant une dizaine de jours. Cette maladie n’affecte pas les animaux.
 
 
En conclusion, il faut espérer que ce foyer allemand sera limité du fait du faible nombre de buffles atteints, présents dans un milieu naturel et non dans un élevage, ainsi que de la distance géographique entre Berlin et la frontière française. Néanmoins la prudence est de règle avec cette maladie considérée comme la plus contagieuse en santé animale et avec l’interdiction de la vaccination décidée depuis le 1er avril 1991 pour des raisons économiques (exportations).

 

Bibliographie
[1] Friedrich-Loeffler-Institut (FLI). FLI confirms foot-and-mouth disease in Brandenburg water buffalo [Internet]. 2025. Disponible sur: https://www.fli.de/en/news/short-messages/short-message/fli-confirms-foot-and-mouth-disease-in-brandenburg-water-buffalo/.
[2] Parlement européen. Fièvre aphteuse: leçons à tirer et mesures à prendre. Journal officiel de l’Union européenne [Internet]. 17 déc 2002; Disponible sur: https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52002IP0614.
[3] CDR weekly. Foot and Mouth Disease outbreak – no threat to public health. Commun Dis Rep CDR Weekly 2001:11.
[4] Bauer K. Foot-and-mouth disease as zoonosis. In: Kaaden OR, Czerny CP, Eichhorn W, éditeurs. Viral Zoonoses and Food of Animal Origin [Internet]. Vienna: Springer Vienna; 1997 [cité 11 janv 2025]. p. 95‑7. Disponible sur: http://link.springer.com/10.1007/978-3-7091-6534-8_9.
[5] Prempeh H, Smith R, Müller B. Foot and mouth disease: the human consequences. The health consequences are slight, the economic ones huge. BMJ. 10 mars 2001;322(7286):565‑6.
[6] ECDC. Transmission of Foot and mouth disease to humans visiting affected areas [Internet]. 2012. Disponible sur: https://www.ecdc.europa.eu/sites/default/files/media/en/publications/Publications/TER-RRA-Transmission-of-foot-and-mouth-to-humans-visiting-affected-areas.pdf.
[7] Capella G. Foot and mouth disease in human beings. Lancet. 2001; 358, 1374. http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(01)06444-3/fulltext.