Didier Kahn
(CNRS Ed., 2016, 238 p. 22 €)
Tout un chacun et souvent même les chimistes pensent que l’alchimie est la mère de la chimie. L’une et l’autre semblent de toute façon ésotériques mais l’alchimie est de plus associée à diverses sciences occultes. Le livre de Didier Kahn intitulé Le fixe et le volatil s’intéresse à remettre l’alchimie à sa place en y retirant toutes les scories qui l’associent avec la magie et l’astrologie.
Historiquement, la chimie existe depuis que l’homme transforme la matière mais pendant des millénaires, le manque de théories fiables va engendrer des cogitations étonnantes et ésotériques qui vont donner naissance à l’alchimie. C’est le travail des métaux, la fabrication des colorants, etc., qui, en Egypte hellénistique, cristallisent une pensée qui va conduire à l’alchimie. Du grec en passant par l’arabe pour arriver dans l’Occident chrétien aux XIIe et XIIIe siècles, l’alchimie qui se dessine en Occident se concentre sur la transformation des métaux en associant une pratique et une théorie de la matière.
Malheureusement, les diverses traductions, associées à un langage volontairement mystérieux et énigmatique, n’en favorisent pas la compréhension. L’auteur décortique le vrai du faux et montre que beaucoup d’auteurs anciens sont des inventions mythiques. Dans les racines médiévales de l’alchimie, Didier Kahn montre bien la complexité du corpus théorique du genre : tous les métaux sont constitués de soufre et de mercure, mais aussi que tout corps est composé des quatre éléments, terre-eau-air-feu. Il décrit aussi les trouvailles qui ont fini par isoler des acides minéraux, des alcalis, l’alcool, etc.
Le livre concerne particulièrement l’évolution de l’alchimie depuis Paracelse jusqu’à Lavoisier. Pourquoi Paracelse ? Parce qu’au début du XVIe siècle, il va remettre à plat la philosophie d’Aristote et la médecine de Galien en y introduisant la révélation chrétienne. Cela dit, des notions telles que : tout corps est constitué de sel, de soufre et de mercure, le tout agrémenté de notions religieuses, ne font pas le début d’une science. Malgré cela, il a eu de nombreux disciples, mais aussi de nombreux contradicteurs. Toutefois les recettes de l’époque semblent délirantes à nos yeux d’aujourd’hui, par exemple : un onguent pour blessé par balle se prépare à partir de sang de la victime, d’un peu de mousse recueillie sur un crâne humain mort de mort violente, si possible un pendu, d’un morceau de chair prélevé sur un cadavre, le tout appliqué non pas sur la blessure (heureusement !) mais sur l’arme ou à défaut sur un bâton.
Presque jusqu’à la fin du XVIIe siècle, l’alchimie se concentre sur la transmutation, avec son lot d’escroqueries et d’illusions. A la fin du XVIIe siècle, Van Helmont développe le paracelsisme en y introduisant de nouvelles notions, par exemple que toute chose est constituée d’eau et de semences invisibles, mais surtout débutent les expérimentations plus rigoureuses qui permettront à Lavoisier de créer la science chimique. Pendant ce siècle l’alchimie va induire de nombreuses recherches et la chimie, liée à l’analyse scientifique, va peu à peu se séparer de l’alchimie, qui, elle, va se complaire dans des notions obscures et ésotériques mais en gardant toutefois de nombreux adeptes. A la fin du XVIIIe siècle, la chimie moderne est née avec son aspect mathématique et sa nomenclature. C’en est alors fini des quatre éléments, des discours obscurs et du mélange avec des notions religieuses. D’ailleurs, Lavoisier ne soufflera mot sur l’alchimie.
Le livre de Didier Kahn aide à la compréhension de cette aventure humaine qu’est l’alchimie en essayant de clarifier cette protoscience, volontairement obscure voire obscurantiste, et en la séparant de la magie et autres occultismes. On prend beaucoup de plaisir à suivre les méandres de la pensée humaine qui, pendant des siècles, a mélangé une véritable expérimentation, des considérations ésotériques et religieuses, le tout étant très difficile à appréhender pour un esprit actuel.