Figures méconnues de la science : Théophile-Jules Pelouze, un grand chimiste avec un destin familial étonnant

Alain Delacroix

Ancien professeur titulaire de la chaire « Chimie industrielle – Génie des procédés » du Conservatoire national des arts et métiers
 

Théophile-Jules Pelouze

Théophile-Jules Pelouze est né le 26 février 1807 à Valognes dans la Manche. Son père Edmond Pelouze est un industriel lié à Saint Gobain et aux forges du Creusot. Il est directeur de cette entreprise alors que Daniel Wilson en est le propriétaire, ce qui explique les relations entre ces deux familles, sur lesquelles je reviendrai plus tard. Edmond Pelouze est l’auteur de nombreux ouvrages techniques, notamment sur la fabrication du coke et du fer.
Théophile-Jules Pelouze débute comme apprenti dans une pharmacie. Sur les recommandations de Vauquelin, lié à son père, il intègre à Paris la pharmacie de Chevallier. C’est là qu’il rencontre Lassaigne qui, avec Gay-Lussac, le prennent comme assistant dans le laboratoire Wilson dont ils sont les directeurs en 1827. En 1829, il commence son internat de pharmacie mais renonce pour raisons de santé et préfère la chimie. En 1830, il reste peu de temps professeur de chimie à Lille pour revenir à Paris en 1833. Il est alors nommé répétiteur à l’Ecole polytechnique, devient professeur au Collège de France, où il succède à Gay-Lussac, et commence à travailler pour l’Hôtel des Monnaies dont il devient le directeur. C’est sous sa responsabilité que sont produits les premiers timbres-poste en France. Il est membre de l’Institut en 1837 et membre du conseil municipal de Paris.
A partir de 1848, il fonde, rue Dauphine à Paris, un laboratoire de chimie où il forme de nombreux étudiants dont Claude Bernard, Marcellin Berthelot, Alfred Nobel et Asciano Sobrero, le découvreur de la nitroglycérine. Aimé Girard y décrit ses débuts modestes, limant des bouchons pour les montages de chimie.
Comme tous les savants du XIXe siècle, Pelouze va effectuer de nombreuses recherches dans des domaines très différents. On peut citer, entre autres, les procédés de fabrication du verre, du sucre de betterave, la purification du gaz d’éclairage, la synthèse de l’acide formique, la synthèse de matières grasses, le dosage du fer dans le sang, la fabrication des explosifs, etc. Sa réputation est telle que son nom est inscrit sur la tour Eiffel.
Théophile-Jules Pelouze épouse Joséphine Künckel, dont il a trois enfants. Son fils Eugène Philippe Pelouze, médecin, épouse le 3 décembre 1857 Marguerite Wilson, la fille de Daniel Wilson. Ce dernier a acquis une grande fortune qui lui a permis, entre autres, d’acheter auprès de Delacroix vers 1845 le célèbre tableau La Mort de Sardanapale. Marguerite Wilson a un frère, Daniel, et tous deux héritent de la fortune de leur père en 1861, date à laquelle ils sortent de l’indivision suite à la majorité de Daniel.
Marguerite achète le château de Chenonceau en 1864 et en confie la restauration à Roguet. Marguerite et Eugène divorcent le 17 mars 1869 à la demande d’Eugène qui aurait surpris sa femme dans une situation peu conventionnelle avec son frère Daniel. Madame Pelouze mène alors grand train dans son château et y reçoit Gustave Flaubert et Claude Debussy. Elle devient la maitresse de Jules Grévy, Président de la République de 1879 à 1887, et favorise le mariage de la fille de Grévy, Alice, avec son frère.
En 1888, cette vie dispendieuse se termine par la faillite. Le château est saisi par les créanciers et racheté par le Crédit foncier. Daniel Wilson, le frère de Marguerite, député radical, siège à gauche avec les partisans de Gambetta et reste député jusqu’en 1889. En 1887, il est acteur du scandale des décorations qui pousse son beau-père à démissionner la même année. Plus tard, Daniel Wilson sera maire de Loches et redeviendra député.