Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, ancienne présidente de l’Académie vétérinaire de France
La revue du centre de contrôle (CDC) des maladies infectieuses d’Atlanta publie ce mois-ci [1] un article décrivant l’émergence d’une nouvelle espèce touchée par les maladies à prions : le dromadaire.
Depuis l’apparition de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), de nouvelles souches de prions ont pu être observées (souches ESB atypiques de type L et H différentes de l’ESB classique ou ESBc, souches de tremblante atypique chez des moutons « résistants » à la tremblante, découverte de la maladie du dépérissement chronique (MDC) des cervidés en Norvège et en Finlande). Pour la première fois, une équipe de scientifiques algériens et italiens signalent la possibilité d’une infection par des prions chez le dromadaire (Camelus dromedarius). Celle-ci a été détectée à l’abattoir de Ouargla en Algérie et dénommée camel prion disease ou CPD (maladie à prion du chameau ou MPC).
Les examens ante mortem à l’abattoir avaient permis d’observer une augmentation des troubles neurologiques chez les dromadaires adultes. Les animaux présentaient des troubles du comportement (agressivité) et des difficultés locomotrices (cf. les vidéos insérées dans l’article de la revue du CDC [1]). Dans les élevages atteints, la maladie semble être apparue à partir de 1980 et évoluait vers un décubitus et la mort en 3 à 8 mois.
Les prélèvements réalisés sur trois dromadaires suspects et un autre apparemment sain (cerveau, nœuds lymphatiques) ont été analysés (immunohistochimie, western blot, analyse du gène PrP). L’examen histologique et histochimique a confirmé les lésions d’une encéphalopathie spongiforme due à un prion chez les trois animaux suspects. La protéine prion a été également mise en évidence principalement dans les nœuds lymphatiques cervicaux et préscapulaires. La protéine prion infectieuse (PrPres) est différente de celle de la tremblante classique ou de l’ESB (poids moléculaire plus élevé).
Parallèlement à ces analyses de laboratoire, une étude rétrospective a été réalisée sur les dromadaires ayant présenté des signes neurologiques à l’abattoir de Ouargla en 2015 (20 sur 937) et 2016 (51 sur 1322), soit 3,1% des dromadaires amenés à l’abattoir. Tous les animaux étaient âgés de plus de 8 ans. Ce taux de 3,1% peut sembler important pour cette maladie émergente. Pour les auteurs, il peut être considéré comme fiable d’une part, du fait de la découverte de la maladie chez les trois dromadaires suspects, et d’autre part, de la présence de la protéine prion dans les nœuds lymphatiques comme dans le cas de la tremblante et de la MDC, qui sont considérées comme transmissibles par la voie horizontale par l’intermédiaire de l’environnement mais aussi par la voie verticale.
Si une contamination iatrogène peut être écartée car il n’y a pas eu de programme de vaccination chez ces dromadaires, un risque de contamination d’origine alimentaire n’est pas exclu.
Face à l’émergence de cette maladie touchant une espèce d’élevage importante en Afrique et au Moyen-Orient, il importe maintenant d’évaluer son incidence dans les différents pays ainsi que le risque qu’elle peut représenter pour l’Homme.
- Panorama des avancées récentes dans le monde des matériaux cimentaires, pour un béton durable
- Le canal de Suez : une épopée humaine, financière et technologique