Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, ancienne présidente de l’Académie vétérinaire de France
Depuis sa première identification en Afrique du Sud en 1959, le virus Usutu [1] (USUV), flavivirus proche du virus du Nil occidental, a progressivement envahi l’Europe au cours de ces deux dernières décennies. L’émergence de ce virus pouvant provoquer de fortes mortalités chez les oiseaux et transmis par des moustiques principalement du genre Culex spp. a été surtout remarquée en 2001 lors d’un taux de mortalité très élevé observé chez des merles noirs (Turdus merula) à Vienne en Autriche [2]. En fait ce virus avait déjà sévi en Italie en 1996 mais cette mortalité anormale chez des oiseaux sauvages n’avait pas fait l’objet d’un intérêt particulier. Mais entretemps, en 1999, le virus du Nil occidental (VNO) est apparu pour la première fois dans l’Etat de New York en provoquant une surmortalité importante chez des corneilles. Cette surmortalité considérée comme un «problème uniquement vétérinaire» avait été négligée par le centre de surveillance des zoonoses d’Atlanta (CDC [3]) avant que l’on ne découvre qu’il s’agissait d’une zoonose. Celle-ci a progressivement envahi l’ensemble des Etats-Unis, avec 1339 cas d’encéphalites ou de méningites humaines au 9 janvier 2018. Cet exemple de la propagation du VNO aux États-Unis (et dans les pays voisins) démontre l’importance qu’il faut accorder aux «animaux sentinelles» qui, par un taux de mortalité anormale, peuvent annoncer une maladie émergente menaçant l’Homme.
Actuellement, le virus Usutu sévit dans la majorité des pays européens, la France ayant signalé pour la première fois sa présence en 2015 [4]. Pendant l’été 2016, on a pu assister à une épizootie due à ce virus en Belgique, en Allemagne, en France et aux Pays-Bas (pays touché pour la première fois) [5]. Près de 62 espèces d’oiseaux africains ou européens peuvent être sensibles à ce virus, des oiseaux migrateurs comme le faucon crécerelle (Falco tinnunculus), la rousserolle effarante (Acrocephalus scirpaceus), la fauvette babillarde (Sylvia curruca), la fauvette grisette (Sylvia communes) ou le gobemouche noir (Ficedula hypoleuca)] étant suspectés d’avoir introduit le virus en Europe, alors que d’autres oiseaux comme la pie bavarde (Pica pica), le moineau domestique (Passer domestique), la poule (Gallus galas) et le merle noir seraient responsables de la dissémination du virus en Europe [6]. Mais il n’est pas exclu que certains réservoirs animaux jouent également un rôle dans l’épidémiologie de cette virose puisque le virus a été isolé chez la chauve-souris (Pipistrellus pipistrellus), le cheval, le chien, le cerf élaphe (Cervus elaphus) et, cette année, l’écureuil (Sciurus carolinensis) [7]. Une étude récente réalisée en Pologne a montré que sur 411 chevaux testés, 15% et 28% d’entre eux étaient porteurs d’anticorps sériques dirigés contre les virus VNO et USUV respectivement [8]. Dans cette étude polonaise réalisée aussi sur 14 oiseaux, 36% et 7% d’entre eux étaient porteurs d’anticorps sériques dirigés contre les virus VNO et USUV respectivement. Par ailleurs, la séroprévalence recherchée en Europe centrale chez les oiseaux de zoo s’est révélée très faible. Ce virus ne s’est pas révélé pathogène chez les volailles domestiques mais il l’est pour beaucoup d’autres espèces comme les merles, les passereaux, les chouettes, etc. Ainsi, on ne peut pas exclure que ce virus puisse être partiellement en cause dans la disparition actuelle de certaines espèces d’oiseaux sauvages en Europe. Chez les oiseaux malades, on peut noter une encéphalite, une dégénérescence du myocarde ainsi qu’une nécrose du foie et de la rate.
Risque zoologique
Alors que deux cas sporadiques avaient été signalés en Afrique en 1981 et en 2004, c’est surtout à partir de 2009 que l’on s’inquiète d’un risque de zoonose avec le virus Usutu du fait de sa présence dans quelques cas d’encéphalites ou de méningo-encéphalites humaines (12 cas en Italie suivis de 3 cas en Croatie en 2013). Des anticorps détectés chez des donneurs de sang (1,1% en Italie et 0,02% en Allemagne) montrent que l’infection peut aussi être asymptomatique. Le risque zoonotique en France a été suspecté en Camargue du fait de la présence du USUV chez 7% des moustiques Culex pipiens en 2016 [9]. C’est pourquoi le virus a été recherché, et trouvé, dans le liquide céphalorachidien (LCR) chez un malade atteint d’une paralysie faciale. Une étude réalisée sur des LCR stockés dans les hôpitaux de Nîmes et de Montpellier de mai à novembre 2016 a d’ailleurs démontré l’importance des arboviroses dans cette région du sud de la France (666 arboviroses, dont 277 méningites ou encéphalites et 233 troubles neurologiques). Ce rapport sur un cas aigu humain dû au virus Usutu en France et les données épidémiologiques montrent que l’affection peut être sous-estimée en Europe et qu’elle est peut-être plus importante que les infections dues au VNO.
En conclusion, le virus Usutu est devenu endémique en Europe en moins d’une vingtaine d’années. Il représente surtout un risque pour certains oiseaux sauvages mais le risque zoonotique est peut-être sous-estimé à l’heure actuelle car «on ne trouve que ce que l’on cherche».