Alain Delacroix
Ancien professeur titulaire de la chaire « Chimie industrielle – Génie des procédés » du Conservatoire national des arts et métiers
La transition énergétique va voir les industries de l’énergie, liées aux hydrocarbures et au charbon, être remplacées progressivement et probablement par d’autres moins productrices d’effet de serre. De ce fait, de nouvelles matières premières vont être nécessaires, en particulier, les terres rares. Un récent rapport conjoint de l’Académies des sciences et de l’Académie des technologies [1] vise à conseiller les pouvoirs publics pour l’exploitation éventuelle de ressources françaises métropolitaines et ultramarines. Cela est d’autant plus stratégique que la Chine monopolise le marché et représente plus de 80% de la production mondiale, ce qui peut induire des fluctuations « politiques » des prix, voire des crises d’approvisionnement. On sait par exemple que la Chine a restreint pendant un certain temps ses exportations vers le Japon en raison de divergences territoriales et, en 2011, le prix du dysprosium a été multiplié par 6.
Les terres rares ont été découvertes, pour certaines, dès la fin du XVIIIe siècle, dans des minéraux rares à l’époque, que l’on appelait internationalement en français des terres. C’est un ensemble de métaux constitué par les lanthanides et les actinides, auxquels on rattache quelques éléments comme l’yttrium et le scandium. Les actinides sont relativement peu utilisés, sauf évidemment l’uranium et quelques autres. En revanche, beaucoup de lanthanides ont actuellement des applications importantes. Le cérium, l’europium, le gadolinium, le terbium et l’erbium sont utilisés dans le stockage de l’énergie. Le praséodyme, le néodyme, le samarium et le dysprosium entrent dans la fabrication des aimants permanents pour les véhicules électriques et les éoliennes. En fait, on trouve des terres rares dans tous les éléments modernes qui nous entourent : dans les disques durs d’ordinateurs, les haut-parleurs audio et vidéo et tous les moteurs électriques de notre cuisine et de nos voitures.
Malgré leur appellation, les terres rares sont relativement répandues dans l’écorce terrestre, où elles sont assez diluées. Le cérium est aussi abondant que le cuivre, et le lutécium plus présent que l’argent. En revanche, leur mélange naturel est assez difficile à séparer et c’est seulement avec le projet Manhattan, vers 1940, qu’elles ont été séparées industriellement. Les terres rares ont été exploitées aux Etats-Unis mais la France a été pionnière dans leur séparation car une partie était produite à l’usine de La Rochelle par le procédé Rhône-Poulenc. Ce procédé polluant a été arrêté car il générait de nombreux déchets, dont certains sont plus ou moins radioactifs. En Chine où, pour l’instant, les contraintes environnementales sont moins sévères, l’extraction des terres rares implique la manipulation de grandes quantités de matériaux et s’effectue à ciel ouvert. Mais la Chine commence à se préoccuper de l’environnement et souhaite maintenant limiter sa production pour la réserver peut-être à sa propre consommation. De ce fait, la plupart des pays cherchent désormais à trouver chez eux des gisements, par exemple le Canada, l’Australie et les Etats-Unis. Un projet européen en Suède pourrait produire d’importantes quantités de dysprosium. La France, deuxième pays en surface maritime, possèderait de grandes quantités de terres rares dans les encroûtements ferromagnétiques situés en Polynésie française. Les nodules polymétalliques contiendraient par ailleurs du cérium. Quant au Japon, il aurait découvert un gisement très important dans les eaux internationales du Pacifique.
Pour résoudre l’approvisionnement en terres rares, on dispose de trois solutions simultanées. La première, comme on l’a vu, est de découvrir de nouveaux gisements. La deuxième est le recyclage : Recylum récupère les déchets électriques et les lampes LED, dont on espère obtenir de l’europium, du terbium et du gadolinium. Pour l’instant, les quantités récupérées sont trop faibles pour alimenter une filière industrielle, mais de nombreuses recherches sont en cours et le BRGM, entre autres, dispose déjà de procédés pour réaliser cette opération. Solvay-Rhodia, héritière de Rhône-Poulenc dans ce domaine, a cessé récemment son activité de recyclage des terres rares aux usines de Saint-Fons et de La Rochelle par manque de rentabilité. La dernière solution est de se passer des terres rares ou d’en limiter l’utilisation. Certaines voitures électriques les plus récentes ont maintenant des moteurs électriques et des accumulateurs qui n’utilisent presque plus de terres rares, dont la ZOE de Renault.
La production et l’utilisation des terres rares sont en pleine évolution et il semble très difficile aujourd’hui de prévoir les évolutions de ce domaine.
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