Les éoliennes peuvent-elles être mises en cause dans les problèmes ayant affecté deux élevages bovins en Loire-Atlantique?

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
 
Les éoliennes peuvent-elles être mises en cause dans les problèmes ayant affecté deux élevages bovins en Loire-Atlantique ?
 
Les nuisances liées aux éoliennes évoquées par les riverains ne sont pas récentes et de nombreux rapports témoignent de la complexité pour démontrer un éventuel effet nocif. Cet effet peut être lié en particulier aux nuisances sonores.
A ce sujet, le dernier rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), publié en mars 2017, «précise que les données disponibles ne mettent pas en évidence d’argument scientifique suffisant en faveur de l’existence d’effets sanitaires liés aux expositions au bruit des éoliennes. Les connaissances actuelles en matière d’effets potentiels sur la santé liés à l’exposition aux infrasons et basses fréquences sonores ne justifient ni de modifier les valeurs limites existantes, ni d’étendre le spectre sonore actuellement considéré».
Deux mois plus tard, le rapport de l’Académie nationale de médecine [1] présenté par le Pr Patrice Tran-Ba-Huy confirmait que «les nuisances sanitaires semblent avant tout d’ordre visuel (défiguration du paysage et ses conséquences psycho-somatiques) et à un moindre degré, sonore (caractère intermittent et aléatoire du bruit généré par les éoliennes d’anciennes générations). Au plan médical, le syndrome des éoliennes réalise une entité complexe et subjective, dans l’expression clinique de laquelle interviennent plusieurs facteurs. Certains relèvent de l’éolienne, d’autres des plaignants, d’autres encore du contexte social, financier, politique, communicationnel» et «la crainte de la nuisance sonore serait plus pathogène que la nuisance elle-même (effet nocebo)».

Mais les éoliennes peuvent-elles aussi présenter des nuisances pour les animaux ?

On connaît surtout la mortalité animale liée aux éoliennes concernant les oiseaux migrateurs, les rapaces et les chiroptères, du fait de collisions. C’est pourquoi, depuis plus d’une quinzaine d’années, il existe un partenariat entre la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), le ministère de l’Ecologie et les représentants de la filière éolienne autour d’un «Programme éolien et biodiversité» pour limiter les impacts potentiels des parcs éoliens et préserver ainsi la biodiversité. Dans le cadre de ce partenariat, la troisième édition du séminaire «Eolien et biodiversité» de 2017, parue le 18 mai 2018 [2], souligne surtout les problèmes liés à l’avifaune.

L’implantation d’un parc éolien en Loire-Atlantique en 2012 semblerait à l’origine du «syndrome des éoliennes» chez certains riverains (maux de tête et insomnies) mais aussi de troubles dans deux élevages de bovins laitiers (mammites, baisses de production et troubles du comportement), le premier comptant une trentaine de vaches Prim’Holstein, avec salle de traite à 1,3 km de l’éolienne la plus proche, et le second, 70 à 75 vaches en lactation avec robot de traite.

Dans le rapport établi le 4 avril 2016 pour le Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole (GPSE) par le président Claude Allo et notre consœur Arlette Laval, les troubles ont débuté au moment des travaux de construction des éoliennes mi-2012, dans ces «deux élevages, associant infections mammaires, baisses de production et troubles du comportement…, avec refus des animaux à se déplacer dans certaines zones de l’élevage, voire sur la route, toujours au même endroit et, par des réactions en cours de traite, avec décrochement des gobelets trayeurs et traites incomplètes».

Trois séries d’expertises ont été réalisées : zootechniques, vétérinaires et électriques. La première expertise, en février 2015, a permis la mise en évidence d’un contaminant environnemental, Streptococcus uberis, dans le premier élevage (déjà atteint en 2012 par un staphylocoque coagulase négative). Dans le second élevage, aucun contaminant spécifique n’a été isolé sur les mammites subcliniques signalées, les problèmes en cours de traite étant «révélateurs de stress ou d’inconfort ressentis par les animaux».

Cependant, l’ensemble des mesures réalisées par le GPSE «n’a pas permis de mettre en évidence une tension anormale susceptible de modifier le comportement des animaux». De même, «les mesures effectuées pour les infrasons ne permettent pas de conclure que les éoliennes en génèrent à un niveau suffisant pour expliquer les désordres constatés».
Le rapport du GPSE «confirme la concomitance de l’installation et de la mise en service des éoliennes avec l’altération des performances et les troubles du comportement des animaux des deux élevages du site éolien». Ce rapport signale aussi l’intervention de géobiologues sollicités par les éleveurs qui auraient été d’une aide importante, sans renseignement précis à ce sujet (effet placebo ?). Le rapport du GPSE «ne peut exclure la transmission d’une nuisance par l’intermédiaire des failles et rivières souterraines, hypothèse cohérente avec la carte géologique des lieux et le fait que les deux élevages concernés sont situés dans la même zone géologique que les éoliennes en bordure de failles. Mais elle sera difficile à étayer dans l’état actuel de nos connaissances». L’arrêt des éoliennes suggéré dans ce rapport pourrait-il démontrer le rôle joué par celles-ci dans les deux élevages affectés ? Mais le coût de cet arrêt le justifie-t-il ? En fait, il semble peu pertinent dans la mesure où les désordres constatés ne sont pas d’origine électrique.

A la lecture de ce rapport et en l’état actuel de nos connaissances, il est difficile de conclure à une action des éoliennes en activité sur les troubles observés. Il n’y a pas de publications scientifiques ayant démontré une action nocive des éoliennes dans des élevages bovins dans d’autres régions ou d’autres pays, en particulier en Allemagne où il existe depuis plus longtemps qu’en France un important parc éolien. Les mammites subcliniques ne semblent pas être l’origine des modifications du comportement des vaches dans la salle de traite ou au robot de traite selon les experts. Selon le rapport du GPSE, «le point essentiel est la coïncidence chronologique entre les travaux d’accès, de câblage et de fondation, fin 2012, et les troubles du comportement». Mais il reste à démontrer que ces travaux aient pu jouer un rôle favorisant l’apparition des problèmes dans les deux élevages concernés, ce qui est particulièrement complexe. L’intervention de géobiologues n’est pas en faveur d’une explication scientifique [3].

Les champs électriques (en particulier les lignes électriques aériennes) et les champs magnétiques ont été souvent incriminés à tort dans des problèmes d’élevage (à l’origine de la création du GPSE en 1999) et il importait alors de mieux connaître les risques des courants électriques parasites dans les exploitations d’élevage. Dès 1993 (12 mars), un supplément technique de La Dépêche vétérinaire avait été réalisé par Henri Brugère sur ce sujet. Selon Henri Brugère [4], «à chacun son métier ! En cas de problème de santé animale, mieux vaut faire intervenir un vétérinaire que l’électricien. En cas de problème électrique, mieux vaut faire intervenir l’électricien que le géobiologue».
 
 

[2] Actes du séminaire « Eolien et biodiversité », 21-22 novembre 2017, Artigues-près-Bordeaux. https://eolien-biodiversite.com/programme-eolien-biodiversite/actualites/actes-du-seminaire-eolien-et-biodiversite-2017.
[4] Défaut de l’environnement électrique : élaboration d’un guide d’audit pour le vétérinaire. Journées nationales GTV, Nantes 2008, p. 1007.