Franklin Lambert et Frits Berends
(EDP Sciences, 2019, 340 p. 34€)
Ce livre, préfacé par Thibault Damour, a pour auteurs deux professeurs émérites, le premier de physique mathématique à la Vrije Universiteit Brussel et le second de physique théorique à l’Institut Lorentz de l’université de Leiden. Le titre, curieux, de cet ouvrage est inspiré d’une expression utilisée par Albert Einstein dans une lettre privée. Le sous-titre est heureusement plus explicite.
Avant la première guerre mondiale, il n’existait pas de réunions scientifiques régulières. Un entrepreneur, Ernest Solvay, qui avait dirigé une très brillante réussite industrielle et commerciale, était un autodidacte visionnaire qui se croyait capable de découvrir les lois générales de la physique par ses intuitions et sa seule réflexion. Il a souhaité faire valider ses conceptions par un «corps savant autorisé». En 1911, il invite à Bruxelles vingt-et-un physiciens européens éminents pour discuter des contradictions apparues, selon lui, après l’introduction des échanges quantifiés entre matière et rayonnement. Cette quantification avait été introduite par Max Planck en 1900 pour rendre compte de la répartition en fonction de la longueur d’onde de l’énergie d’un rayonnement en équilibre avec de la matière. Une première quantification avait été rencontrée pour la charge électrique mais son importance n’avait pas été mise en évidence et les recherches se poursuivaient avec les anciennes théories de la physique du continu. La réunion tenue du 30 octobre au 3 novembre 1911 constitue un événement important de l’histoire de la physique : l’acceptation par la communauté des physiciens professionnels de l’existence d’échanges de quantités quantifiées. Les communications et les discussions montrent les difficultés rencontrées quand apparaissent de profondes innovations conceptuelles. Peu après, à la séance du 4 décembre de l’Académie des sciences de Paris, Henri Poincaré montre que l’existence des quanta résulte nécessairement de la répartition de l’énergie des rayonnements trouvée par Max Planck et vérifiée expérimentalement.
A la suite de la réunion, un Comité scientifique international est constitué. Grâce aux libéralités d’Ernest Solvay, il prépare la tenue d’un second Conseil et distribue des subsides à des laboratoires qui en ont fait la demande. C’est ainsi, par exemple, que la somme attribuée à James Frank et Gustav Hertz leur a permis d’étudier les collisions d’électrons rapides avec des atomes de mercure, d’où a été déduite expérimentalement la quantification des énergies des électrons dans un atome (ce résultat a été récompensé par le prix Nobel de physique de 1925).
Un second Conseil s’est tenu en 1913. Il a été marqué par deux événements importants : d’une part les déviations importantes de particules alpha par des atomes qui conduisent à concevoir l’existence de noyaux atomiques de très petites dimensions et, d’autre part, la diffraction de rayons X par des cristaux, ce qui permet d’accéder à leur structure.
Si le compte rendu du premier Conseil avait été édité par Paul Langevin et Maurice de Broglie en 1912, l’édition concernant le second Conseil a été retardée jusqu’en 1921 par la première guerre mondiale.
Après cette guerre, un troisième Conseil s’est tenu en 1921 mais sans la présence de physiciens allemand ou autrichien (Albert Einstein a été le seul invité, mais, dans ces conditions, il a refusé de participer). Cette réunion a été marquée par la théorie qui a permis de déterminer les diverses positions possibles d’un électron dans un atome d’hydrogène.
Un quatrième Conseil a eu lieu en 1924 avec un seul invité autrichien : Erwin Schrödinger (Albert Einstein ayant renouvelé son refus d’être le seul invité allemand). En revanche des physiciens américains et soviétique étaient présents.
Le dernier Conseil, qui a pu être présidé par Hendrik Lorentz et qui est étudié dans ce livre, s’est tenu en 1927 en présence de physiciens du monde entier. Il y a été discuté des effets Compton et des débuts de la mécanique quantique : rapports de Louis de Broglie, Werner Heisenberg et Erwin Schrödinger.
Ce livre est très documenté (les auteurs ont effectué une exploitation fort poussée des correspondances des physiciens concernés, conservées en des lieux les plus divers). Les illustrations, certaines inconnues du public jusqu’ici, sont nombreuses ; on peut simplement regretter la mauvaise qualité de certaines reproductions. La bibliographie est spécialement abondante. Le style est vif et clair. Ces rappels d’innovations importantes de l’histoire de la physique et la restitution des contextes dans lesquels elles se sont produites sont utiles pour apprécier les progrès accomplis pendant cette courte période.