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La production d’ammoniac NH3 est une des plus importantes synthèses de la chimie industrielle. On en produit en France moins de 700 000 tonnes alors que la production mondiale est de plus de 180 millions de tonnes. L’ammoniac est majoritairement utilisé pour fabriquer les engrais azotés : urée, nitrate d’ammonium ainsi que les explosifs civils et militaires par l’intermédiaire de l’acide nitrique mais aussi une foule d’applications : acrylonitrile, fluide réfrigérant, etc. En France, quatre usines le produisent. Elles sont situées près de Rouen, Le Havre, au sud de l’Alsace et en Seine et Marne. Cette dernière, située à Grandpuits vient d’ailleurs de cesser sa production. Toutes appartiennent à des groupes étrangers : norvégien et tchèque. L’hydrogène nécessaire à la production d’ammoniac provient majoritairement en France du gaz naturel et ces usines sont pénalisées par le coût du méthane qui fluctue en fonction de la situation internationale.
Au XIXème siècle les engrais azotés et l’acide nitrique étaient obtenus à partir du guano et du caliche d’Amérique du Sud. À la fin de ce siècle, les ressources étant susceptibles de se tarir ou l’approvisionnement d’être perturbé, il a fallu tenter d’obtenir l’ammoniac d’une autre manière. Les chimistes ont commencé à travailler sur la synthèse de l’ammoniac à partir de l’azote de l’air et de l’hydrogène. Malheureusement le diazote est une molécule où les deux atomes sont liés par une triple liaison et sa réactivité est très faible. C’est seulement en 1909 que le chimiste allemand, Fritz Haber, va réaliser la synthèse. La réaction est une réaction équilibrée et exothermique. Elle est donc favorisée par les hautes pressions et la basse température. Cette basse température est antinomique avec la cinétique de la réaction qui demande une température élevée, ce qui implique un catalyseur. De plus le faible rendement impose un important recyclage des gaz.
En 1919, Carl Bosch de la BASF met au point la synthèse industrielle. Elle est techniquement très complexe car elle nécessite une pression de plusieurs centaines de bars et plusieurs centaines de degrés. De plus, à ces températures et pressions, l’hydrogène et l’azote fragilisent le métal (d’où l’explosion du réacteur d’ammoniac à Mazingarbe le 1er mars 1972). Le premier réacteur industriel a d’ailleurs été réalisé par le fabricant de canons Krupp. Les difficultés techniques vont en partie être résolues et en 1918, 100 000 tonnes d’azote étaient consommées par le procédé Haber Bosch. Ceci a permis aux allemands de surmonter le blocus sur les minerais d’Amérique du Sud et de fabriquer les explosifs pendant la première guerre mondiale. Après la guerre, l’ammoniac allemand a permis de produire de grosses quantités d’engrais azotés. C’est pour cela que le 21 septembre 1921 (exactement 80 ans avant l'explosion, due à des nitrates d’ammonium, à l’usine AZF de Toulouse) un important stockage d’engrais contenant du nitrate d’ammonium a explosé détruisant la ville d’Oppau. Actuellement diverses sociétés produisent des réacteurs pour la synthèse de l’ammoniac. On peut citer les noms de Casale, Haldor Topsoe, Kellog, Brown and Root, etc. Ce sont des merveilles de technologie, beaux exemples d’application de la science du génie des procédés et de la métallurgie.
La production d’ammoniac étant vitale pour les engrais azotés et étant à l’origine d’une forte pollution, elle fait l’objet de nombreuses recherches que l’on peut classer en trois points :
Le premier consiste à séquestrer le CO2 produit ou à utiliser de l’hydrogène plus vert en remplaçant sa production à partir du charbon ou des hydrocarbures par de l’hydrogène provenant de l’électrolyse de l’eau voire l’hydrogène naturel.
Le deuxième point consiste en l’amélioration du catalyseur pour réaliser la synthèse dans des conditions plus douces en pression et en température. Les premiers catalyseurs étaient à base de fer. Diverses recherches montrent l’efficacité du ruthénium et plus récemment de complexes du lutécium.
Le troisième point correspond à divers essais susceptibles d’applications à très long terme du type : utilisation de plasma pour affaiblir la triple liaison azote-azote ou tenter d’imiter les plantes dont certaines comme les légumineuses sont capables d’absorber l’azote de l’air.
On constate que la synthèse de l’ammoniac réalisée depuis plus de cent ans fait toujours l’objet d’importantes recherches susceptibles de résoudre tous les problèmes économiques et environnementaux que sa production implique.
Alain Delacroix
Professeur honoraire, chaire "Chimie industrielle - Génie des procédés" du Conservatoire national des arts et métiers

Une proposition saugrenue et inquiétante du ministre de la santé américain Robert Kennedy Jr pour lutter contre la « grippe aviaire » aux États-Unis : laisser le virus se propager pour sélectionner des volailles immunisées.
Une telle proposition témoigne d’une méconnaissance totale de la panzootie de peste aviaire qui sévit actuellement aux États-Unis. Elle est due à un virus influenza A hautement pathogène (IAHP) qui provoque une septicémie rapidement mortelle pouvant atteindre l’ensemble du troupeau. Avec un taux de mortalité proche de 100% avec ces virus IAHP, il est utopique de vouloir garder les rares volailles survivantes pour sélectionner des sujets immunisés dans un système d’élevage avicole qui pratique le « tout dedans-tout dehors ».
Au contraire c’est favoriser l’extension de la maladie dans le pays. Ce virus ne connaît pas les frontières car il touche aussi les oiseaux sauvages qui favorisent sa propagation. L’arrêt des mesures sanitaires limitant la contamination des élevages aviaires serait une véritable catastrophe pour les éleveurs : pertes économiques par l’augmentation des élevages atteints et la mortalité animale, perte d’une sélection génétique dans certains élevages de reproducteurs (dont les lignées de grand-parentaux). Au niveau international, les produits avicoles ne pourraient plus être exportés.
Économiquement, les consommateurs seront également concernés. Actuellement les produits avicoles ont augmenté sur le marché américain notamment les œufs (d’où la nécessité d’en importer). Ce déficit s’accentuera obligatoirement pour les œufs comme pour la viande.
Même si actuellement il n’y a pas de risque de pandémie lié à un virus de la peste aviaire car il n’y a jamais eu de contamination interhumaine, il n’est pas souhaitable de favoriser la multiplication d’un virus qui peut muter et favoriser ainsi l’apparition de nouveaux variants.
Il faut espérer que la proposition désastreuse du ministre Robert Kennedy Jr ne sera pas appliquée.
Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
Texte publié le 27/03/25
Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
Depuis le premier bornavirus identifié (Mammalian 1 orthobornavirus ou BoDV-1), responsable depuis le XVIIe siècle de la maladie de Borna chez les chevaux et les moutons, dont la présence a été signalée pour la première fois en 2000 chez des chevaux français [1], d’autres bornavirus ont été décrits chez des oiseaux puis chez des écureuils exotiques non autorisés en France (variegated squirrel bornavirus 1 ou VSBV-1). Contrairement aux bornavirus aviaires, le BoDV-1 et le VSBV-1 pourraient être des agents zoonotiques.
Le risque zoonotique du BoDV-1 a été longtemps controversé mais les trois cas d’encéphalites mortelles observées chez des propriétaires d’écureuils exotiques entre 2011 et 2013 [2],ont confirmé un risque zoonotique avec cette famille de bornavirus [3].
Cette découverte d’un risque zoonotique lié au VSBV-1 a relancé la question du risque zoonotique du BoDV-1, surtout après trois cas d’encéphalites mortelles signalées en 2016 chez des personnes immunodéprimées après une greffe [4] et deux autres cas non transplantés [5, 6]. Sur 103 cas d'encéphalite d'étiologie inconnue constatés en Allemagne entre 2018 et 2020, quatre infections à bornavirus ont été détectées par sérologie [7]. Un cas chronique a été causé par le VSBV-1 après un contact professionnel d'une personne avec des écureuils exotiques, et trois cas aigus ont été causés par le BoDV-1 dans des zones où le virus est endémique. Les quatre patients sont décédés. La rareté des cas observés ne permettait pas de répondre à toutes les questions concernant l’épidémiologie de ces encéphalites humaines. A la même époque, la maladie de Borna a été aussi identifiée chez quatre chevaux de Haute-Autriche en 2015 et 2016 [8]. La distance maximale des écuries touchées était de 17 km. L'agent causal était également hébergé par la musaraigne bicolore à dents blanches (Crocidura leucodon), seul animal réservoir connu pour ce virus.
A partir de mars 2020, les infections à bornavirus humaines et animales ont été soumises à déclaration obligatoire en Allemagne (Infektionsschutzgesetz, IfSG et Verordnung über meldepflichtige Tierkrankheiten, TKrMeldpflV). Ces déclarations obligatoires et la sensibilisation accrue des vétérinaires et des médecins ont permis de détecter plus de cas d’encéphalites humaines ces dernières années, la maladie semblant toutefois rare. En Bavière, sur 56 cas mortels d’encéphalites humaines observés entre 1999 et 2019, huit cas étaient dus à un BoDV-1 dont deux immunodéprimés après transplantation d’organe, deux cas supplémentaires étant ensuite identifiés à Munich [9]. Dans une commune bavaroise d'environ 2000 habitants, deux cas pédiatriques d'encéphalite mortelle à BoDV-1 sont survenus en 2019 et en 2022 chez des enfants âgés de 11 ans et 6 ans respectivement, constituant le premier foyer connu pour cette virose [10]. Une importante enquête épidémiologique publiée en 2024 a permis de noter que la zone d'endémie connue du virus BoDV-1 était remarquablement restreinte à certaines parties de l'Allemagne, de l'Autriche, de la Suisse et du Liechtenstein [11]. Cette enquête a permis de confirmer l’infection virale RT-qPCR chez 207 animaux domestiques, 28 humains et 7 musaraignes bicolores à dents blanches (Crocidura leucodon). La principale question que l’on peut poser est celle de la répartition géographique des cas d’encéphalites humaines répertoriés et de celle de son réservoir animal. En raison de la faible mobilité de ce réservoir, les séquences des virus BoDV-1 ont montré une association géographique remarquable, avec des clades phylogénétiques individuels occupant des zones distinctes avec des distances inférieures à 40 km. La recherche du BoDV-1 chez les musaraignes, seuls hôtes réservoirs connus, permet d’apporter des informations plus précises sur sa présence endémique. Ce rongeur est présent dans une grande partie de l’Europe (dont les zones urbaines, comme les jardins). Le territoire français (sauf le sud) héberge aussi ce réservoir.
Une revue du Lancet Infectious Diseases publiée en janvier 2025 met en évidence le manque de connaissances concernant le transport cellulaire, les voies d'entrée et les mécanismes de propagation du BoDV-1, en particulier chez l'Homme, chez qui la recherche est nettement moins avancée que chez l'animal. Bien que des hypothèses concernant la principale voie d'entrée par le tractus olfactif aient été émises, d'autres voies (par exemple, la voie gustative) méritent d'être prises en considération en raison des connexions anatomiques qui pourraient faciliter l'entrée du virus. Les voies de transmission par les musaraignes ne sont pas encore élucidées (transmissions intranasales, horizontales et verticales ? excrétion par l'urine, les fèces... ?, voie d’entrée olfactive ?...). Les animaux sensibles (principalement les chevaux, les moutons, les alpagas, les bovins, les moutons...) sont des culs de sac épidémiologiques.
Si on connaît l’infection du chat par le BoDV-1 [12], il est possible que l’on ait pu confondre la maladie de Borna avec la staggering disease (car les chats titubent), encéphalomyélite des chats domestiques européens, dont on a montré récemment qu’elle était due au virus Rustrela (RusV) [13]. Cependant un chat infecté pourrait potentiellement servir de vecteur passif du bornavirus entre les musaraignes et l'Homme.
En conclusion, ces enquêtes récentes sur les cas d'encéphalites humaines dues au BoDV-1 semblent démontrer la rareté de la maladie, même dans les régions où la maladie animale est endémique et à déclaration obligatoire. Cependant la présence du réservoir sauvage de ce virus dans une grande partie du territoire français ainsi que la présence connue depuis 2000 du bornavirus en France, notamment chez les chevaux, justifie de prendre en compte cette affection virale dans le diagnostic différentiel des encéphalites humaines.
[1] Brugère-Picoux J, Bode L, Del Sole A, Ludwig H. Identification du virus de la maladie de Borna en France. BAVF. 2000;153(4):411‑20.
[2] Hoffmann B, Tappe D, Höper D, Herden C, Boldt A, Mawrin C, et al. A Variegated Squirrel Bornavirus Associated with Fatal Human Encephalitis. N Engl J Med. 9 juill 2015;373(2):154‑62.
[3] Tappe D, Schlottau K, Cadar D, Hoffmann B, Balke L, Bewig B, et al. Occupation-Associated Fatal Limbic Encephalitis Caused by Variegated Squirrel Bornavirus 1, Germany, 2013. Emerg Infect Dis. juin 2018;24(6):978‑87.
[4] Schlottau K, Forth L, Angstwurm K, Höper D, Zecher D, Liesche F, et al. Fatal Encephalitic Borna Disease Virus 1 in Solid-Organ Transplant Recipients. N Engl J Med. 4 oct 2018;379(14):1377‑9.
[5] Korn K, Coras R, Bobinger T, Herzog SM, Lücking H, Stöhr R, et al. Fatal Encephalitis Associated with Borna Disease Virus 1. N Engl J Med. 4 oct 2018;379(14):1375‑7.
[6] Coras R, Korn K, Kuerten S, Huttner HB, Ensser A. Severe bornavirus-encephalitis presenting as Guillain–Barré-syndrome. Acta Neuropathol. juin 2019;137(6):1017‑9.
[7] Eisermann P, Rubbenstroth D, Cadar D, Thomé-Bolduan C, Eggert P, Schlaphof A, et al. Active Case Finding of Current Bornavirus Infections in Human Encephalitis Cases of Unknown Etiology, Germany, 2018-2020. Emerg Infect Dis. mai 2021;27(5):1371‑9.
[8] Weissenböck H, Bagó Z, Kolodziejek J, Hager B, Palmetzhofer G, Dürrwald R, et al. Infections of horses and shrews with Bornaviruses in Upper Austria: a novel endemic area of Borna disease. Emerg Microbes Infect. 21 juin 2017;6(6):e52.
[9] Niller HH, Angstwurm K, Rubbenstroth D, Schlottau K, Ebinger A, Giese S, et al. Zoonotic spillover infections with Borna disease virus 1 leading to fatal human encephalitis, 1999–2019: an epidemiological investigation. The Lancet Infectious Diseases. avr 2020;20(4):467‑77.
[10] Grosse L, Lieftüchter V, Vollmuth Y, Hoffmann F, Olivieri M, Reiter K, et al. First detected geographical cluster of BoDV-1 encephalitis from same small village in two children: therapeutic considerations and epidemiological implications. Infection [Internet]. 23 févr 2023 [cité 28 févr 2023]; Disponible sur: https://doi.org/10.1007/s15010-023-01998-w
[11] Ebinger A, Santos PD, Pfaff F, Dürrwald R, Kolodziejek J, Schlottau K, et al. Lethal Borna disease virus 1 infections of humans and animals – in-depth molecular epidemiology and phylogeography. Nat Commun. 10 sept 2024;15(1):7908.
[12] Lutz H, Addie DD, Boucraut-Baralon C, Egberink H, Frymus T, Gruffydd-Jones T, et al. Borna disease virus infection in cats: ABCD guidelines on prevention and management. Journal of Feline Medicine and Surgery. juill 2015;17(7):614‑6.
[13] Matiasek K, Pfaff F, Weissenböck H, Wylezich C, Kolodziejek J, Tengstrand S, et al. Mystery of fatal ‘staggering disease’ unravelled: novel rustrela virus causes severe meningoencephalomyelitis in domestic cats. Nat Commun. 4 févr 2023;14(1):624.
Jeanne Brugère-Picoux* et Jean-Luc Angot**
* Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France ** Inspecteur général de santé publique vétérinaire
Annonce du 10 janvier 2025 de trois cas de fièvre aphteuse chez des buffles d’eau en Allemagne
Une dépêche de l’AFP et du laboratoire national de référence pour la fièvre aphteuse du Friedrich-Loeffler-Institut (FLI) [1] nous apprennent le 10 janvier 2025 qu’un foyer de fièvre aphteuse a été détecté en Allemagne sur trois buffles d'eau élevés près de Berlin dans la région voisine du Brandebourg. Tous les buffles du troupeau ont été abattus, ainsi que les élevages voisins à risque, pour éviter toute propagation de cette maladie virale extrêmement contagieuse à l’origine de pertes économiques très importantes. Les prélèvements réalisés sur les trois buffles infectés ont été envoyés d’une part au laboratoire national du FLI, et d’autre part le seront au laboratoire Anses de Maisons-Alfort dirigé par notre confrère Stephan Zientara car il s’agit du laboratoire de référence pour l'Union européenne (UE), à l'Organisation mondiale de la santé animale (OMSA, ex OIE) et à l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture des Nations unies (FAO). L’identification au laboratoire de la souche de virus en cause pourrait aider déterminer l’origine de l’infection.
Précédentes épidémies en Europe
Il n’y avait pas eu de cas en Allemagne depuis 1988 (le dernier foyer s’était déclaré en Basse-Saxe) ou dans l’UE depuis 2011. Les précédentes épidémies observées en Europe ont concerné le Royaume-Uni en 2007 et la Bulgarie en 2011. L’épidémie au Royaume-Uni de 2007 était due à un virus de sérotype O, souche BFS, échappé suite à une faille dans les mesures de biosécurité du Laboratoire mondial de référence de Pirbright (ce laboratoire a depuis été refait à neuf). Près de 2000 bovins avaient été abattus. Avant cet épisode, le Royaume-Uni avait été touché par une importante épidémie de fièvre aphteuse en 2001 concernant 2030 exploitations. Les conséquences économiques ont été désastreuses : abattage d’au moins 6,5 millions d'animaux (bovins, ovins, porcins, caprins et animaux sauvages). La crise des secteurs agricole et touristique britanniques a eu un coût proche de 12 milliards d'euros [2]. Cette épidémie s’est étendue à l'Irlande, aux Pays-Bas et à la France, soit 53 000, 285 000, 63 000 animaux abattus respectivement [2]. L’épidémie de Bulgarie de 2011, la dernière connue dans l’UE selon l’OMSA, avait pour origine des sangliers ayant traversé la frontière turco-bulgare (plusieurs centaines d’animaux avaient été abattus).
Le virus de la fièvre aphteuse et le risque exceptionnel pour l’Homme
Le virus de la fièvre aphteuse est un virus à simple brin d’ARN (aphtovirus) de la famille des Picornaviridae. Il affecte principalement les ruminants et les porcs. Il se transmet par contact direct entre les animaux infectés mais aussi de façon indirecte par tous les objets, surfaces, produits, etc. contaminés. L’Homme peut favoriser la contamination en cas d’absence d’application des mesures de biosécurité recommandées. Des cas de transmission aérienne ont été également signalés. Le virus est résistant dans le milieu extérieur mais il est inactivé par un chauffage à 70°C pendant au moins 30 mn.
La question du risque zoonotique de la fièvre aphteuse a été souvent débattue. Certains, comme le FLI, concluent à l’absence d’un risque pour l’Homme [1]. Néanmoins, de rares cas ont été signalés dans la littérature. Même si l'incidence de la maladie chez l’animal est élevée, son apparition chez l'Homme est assez rare. Les symptômes sont bénins. Ils se traduisent par l’existence de cloques sur les mains ou d'autres zones exposées, parfois accompagnée de fièvre, de maux de tête ou de maux de gorge. Les patients se rétablissent en quelques jours. Le dernier cas humain en Grande-Bretagne remonte à l'épidémie de 1966 [3].Le virus a été isolé et typé (type O, suivi du type C et rarement du type A) dans plus de quarante cas humains [4]. L’Homme se contaminerait par contact avec les animaux infectés ou par la consommation de lait cru [5]. Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) de Stockholm recommande d’éviter le contact avec les animaux infectés et la consommation de leurs produits non suffisamment chauffés [6].
La fièvre aphteuse est essentiellement une maladie animale et n'a rien à voir avec la maladie humaine, généralement bénigne, causée principalement par le virus Coxsackie A et connue sous le nom du «syndrome pieds-mains-bouche», rencontrée principalement chez les enfants [7]. Elle provoque généralement de la fièvre et une éruption cutanée généralisée (papulovésicules) dans la bouche, sur les paumes, les doigts et la plante des pieds pendant une dizaine de jours. Cette maladie n'affecte pas les animaux.
En conclusion, il faut espérer que ce foyer allemand sera limité du fait du faible nombre de buffles atteints, présents dans un milieu naturel et non dans un élevage, ainsi que de la distance géographique entre Berlin et la frontière française. Néanmoins la prudence est de règle avec cette maladie considérée comme la plus contagieuse en santé animale et avec l’interdiction de la vaccination décidée depuis le 1er avril 1991 pour des raisons économiques (exportations).
[1] Friedrich-Loeffler-Institut (FLI). FLI confirms foot-and-mouth disease in Brandenburg water buffalo [Internet]. 2025. Disponible sur: https://www.fli.de/en/news/short-messages/short-message/fli-confirms-foot-and-mouth-disease-in-brandenburg-water-buffalo/.
[2] Parlement européen. Fièvre aphteuse: leçons à tirer et mesures à prendre. Journal officiel de l’Union européenne [Internet]. 17 déc 2002; Disponible sur: https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52002IP0614.
[3] CDR weekly. Foot and Mouth Disease outbreak - no threat to public health. Commun Dis Rep CDR Weekly 2001:11.
[4] Bauer K. Foot-and-mouth disease as zoonosis. In: Kaaden OR, Czerny CP, Eichhorn W, éditeurs. Viral Zoonoses and Food of Animal Origin [Internet]. Vienna: Springer Vienna; 1997 [cité 11 janv 2025]. p. 95‑7. Disponible sur: http://link.springer.com/10.1007/978-3-7091-6534-8_9.
[5] Prempeh H, Smith R, Müller B. Foot and mouth disease: the human consequences. The health consequences are slight, the economic ones huge. BMJ. 10 mars 2001;322(7286):565‑6.
[6] ECDC. Transmission of Foot and mouth disease to humans visiting affected areas [Internet]. 2012. Disponible sur: https://www.ecdc.europa.eu/sites/default/files/media/en/publications/Publications/TER-RRA-Transmission-of-foot-and-mouth-to-humans-visiting-affected-areas.pdf.
[7] Capella G. Foot and mouth disease in human beings. Lancet. 2001; 358, 1374. http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(01)06444-3/fulltext.
Denis Monod-Broca
Ingénieur et architecte, secrétaire général de l'Afas
La démarche expérimentale, avec ses biais, ses imprévus, ses déceptions – qui font aussi sa force – est difficile à expliquer aux profanes.
Aussi une équipe de l’université et du CHU de Rennes, associée à d’autres équipes européennes, a-t-elle tenté une expérience bien particulière qui a consisté, en simplifiant un peu, à : réunir des équipes de non-scientifiques, leur donner à toutes exactement les mêmes ingrédients et la même recette de meringue, leur demander, en suivant scrupuleusement la recette, de cuisiner leurs meringues, et enfin d’accepter la comparaison de toutes les meringues ainsi obtenues.
Taille, forme, couleur, consistance, goût : les qualités des 845 meringues ainsi fabriquées furent d’une étonnante diversité. Présentées en public à un jury, elles ont reçu des notes allant de 1 à 7,5.
Cette dispersion n’est pas un échec mais au contraire un enseignement très enrichissant.
Et cette explication, par l’expérience, de ce qu’est une expérience est une bien séduisante idée.
Vinatier C, Fahed E, Chollet Y, Caquelin L, Jaillard S, Van den Eynden V, Kozula M, Naudet F, Using reporting guidelines to improve the reproducibility of cooking Christmas tree meringues: the “People tasting trees” cluster-randomised controlled trial, MetaArXiv Preprints, 8 octobre 2024.
Larousserie D., Des meringues pour faire goûter la démarche scientifique, Le Monde, 23 décembre 2024.
Jean-Gabriel Ganascia
Professeur d’informatique à la faculté des sciences de Sorbonne Université, membre de l’Institut universitaire de France, ancien président du comité d’éthique du CNRS
Un article fort controversé et signé, entre autres, par le professeur Didier Raoult, vient d’être officiellement rétracté, plus de quatre ans après sa publication. Paru en mars 2020, au tout début de la pandémie de Covid-19, il portait sur les prétendus effets curatifs de l’hydroxychloroquine pour les patients atteints de cette maladie. Il eut, souvenons-nous en, un effet retentissant dans la population, à une époque où l’on se trouvait tous dans l’expectative d’un traitement efficace et fiable. Il semblait ouvrir des perspectives salutaires au grand public, très soucieux de sa santé, et peu familier avec la démarche scientifique. Pourtant, très tôt, à sa lecture, des spécialistes soulignèrent les multiples infractions aux bonnes pratiques qu’il contenait. Rappelons que l’étude portait sur vingt-six patients, ce qui à l’évidence était trop faible pour donner une réponse fiable dans le cas d’une maladie dont le taux de létalité était, à l’époque, de l’ordre de 5%. En effet, 26*5% = 1,3, ce qui fait un peu plus d’un mort statistique sur l’échantillon… Faute à pas de chance ! A cet égard notons que six patients parmi les vingt-six traités, dont un qui a succombé et deux qui sont allés en réanimation, ont été arbitrairement retirés de l’étude. Enfin, le placement des patients dans le groupe placebo n’était ni aléatoire, ni fait en double aveugle, ce qui signifie que les médecins savaient si les patients avaient été traités ou non. Au reste, les conflits d’intérêts avec la revue en question, l’International Journal of Antimicrobial Agents, étaient manifestes puisque deux des co-auteurs sont membres de son comité éditorial.
Compte tenu de ces infractions à l’intégrité scientifique, l’étude aurait dû être récusée très vite. Soulignons qu’on engage des procédures de rétractation dans trois cas de figure : une erreur de bonne foi, une entorse à l’intégrité scientifique ou une appropriation frauduleuse du travail d’un autre, par exemple du plagiat. Ici, nous nous trouvons à l’évidence — et, point n’est besoin d’être un spécialiste pour s’en convaincre ! — dans le second cas de figure. Comment se fait-il qu’il ait fallu attendre quatre ans pour s’en rendre compte ? Il faut le déplorer. Mais, il faut plus encore déplorer l’incapacité qu’on eut les scientifiques invités dans les médias de convaincre le grand public des inepties que contenait cet article.
Denis Monod-Broca
Ingénieur et architecte, secrétaire général de l'Afas
Dans un récent article du Monde [1], Mark Lilla, historien, professeur à Columbia, s’interroge sur ce qu’il appelle la «passion de l’ignorance».
A l’origine de sa réflexion, et sans doute est-ce là son événement déclencheur, se trouvent les discours de campagne de Donald Trump, discours souvent sans queue ni tête, parfois dénués de toute espèce de pertinence, et qui pourtant viennent de le faire élire à la présidence des Etats-Unis d’Amérique.
Mais, très vite, s’écartant de ce cas politique particulier ainsi que des ravages bien connus de la démagogie sous toutes ses formes, sa réflexion amène Mark Lilla à mettre l’accent sur notre propension commune à parfois préférer de pas savoir. Ainsi écrit-il :
Ou encore :
Et :
Concluant par ces mots :
Le propos rejoint la représentation, dans certains tableaux classiques, de la Vérité : une jeune femme nue portant un miroir à bout de bras. Et ce miroir qu’elle nous tend, à nous qui regardons le tableau qui la représente, nous le voyons, bien sûr, mais cherchons-nous à savoir ce qu’il pourrait bien nous montrer de nous-mêmes ?
Nous vivons une drôle d’époque.
Une époque inquiétante à plus d’un titre.
Tout le monde croit savoir mieux que tout le monde, tout le monde accuse tout le monde de se tromper.
La connaissance scientifique en pâtit.
De nombreux sujets scientifiques (et autres), qui devraient être débattus avec calme, sont l’objet de polémiques publiques, parfois d’une grande violence, avec participation de scientifiques s’opposant eux aussi les uns aux autres, chacun ayant choisi son camp.
La «passion de l’ignorance» : Mark Lilla a su nommer, par cette formule surprenante, l’un des ressorts principaux du mal qui nous frappe. Tous autant que nous sommes, nous ne voulons pas savoir, ou pas toujours, ou nous ne voulons pas vraiment savoir, ou nous ne voulons pas tout savoir, ou nous nous accrochons à un savoir erroné ou incomplet, ou nous nous satisfaisons de quelques certitudes sujettes à caution...
Quand Gérard de Nerval dit «l’ignorance ne s’apprend pas», il dit juste. Un savoir s’apprend, une absence de savoir, elle, ne saurait s’apprendre. Cette lapalissade est joliment trouvée et exprimée. Mais l’ignorance n’est pas seulement un état de fait opposé au savoir, elle a aussi le caractère d’une pulsion instinctive, d’une passion, qu’il appartient à chacun de combattre, en lui-même.
«Et pourtant, elle tourne», aurait dit Galilée face à ses juges qui ne voulaient pas le savoir. Cette phrase si volontiers répétée appartient à la légende, elle n’en exprime pas moins, par ses quelques mots si simples, à quel point il peut être difficile de s’extraire du refus de savoir.
Le savoir, le savoir vrai, confirmé, est le remède, il est notre planche de salut.
Il est dans la mission de l’Afas de le transmettre, au moins dans le domaine qui est le sien, celui des sciences.
Et pour cela il importe de ne pas nous cacher cet obstacle majeur, la passion de l’ignorance, que l’historien des idées américain qu’est Mark Lilla met si bien en évidence dans cet article.
Autrement dit, ne convient-il pas, en accueillant la contestation, de sortir la science de la tour d’ivoire qu’elle s’est construite, en contradiction avec ses propres principes ?
Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
C’est la plus grande épidémie de son histoire que vient d’observer la Grande-Bretagne avec 770 personnes atteintes. Pour les responsables de la santé britanniques, la propagation de cette infection est sans précédent. Deux autres épidémies ont touché 700 personnes supplémentaires depuis 2023, dont des dizaines ayant nécessité une hospitalisation.
L'Agence britannique de sécurité sanitaire (UK Health Security Agency ou UKHSA) a démontré que c’étaient des mini-fermes (ou petting zoos) permettant un contact avec des agneaux (avec apport de nourriture et câlins) qui étaient à l’origine de ces épidémies. Ce sont essentiellement des femmes âgées de 18 à 48 ans et des enfants de moins de 16 ans qui étaient atteints. Au moins 75 personnes ont été hospitalisées, ce qui témoigne d’un problème de santé publique majeur. L’enquête diligentée par les services sanitaires a permis de découvrir l’absence de mesures de biosécurité pourtant recommandées pour prévenir ces infections dans les fermes ouvertes au public, notamment aux enfants (possibilité de lavage des mains, avertissements, personnel non compétent...). La découverte la plus inquiétante était la possibilité d’une restauration dans ou à proximité des zones où les animaux étaient manipulés.
La cryptosporidiose est très contagieuse, un individu infecté étant capable d'excréter jusqu'à cent millions de cryptosporidies en une seule défécation, selon le CDC d’Atlanta (Etats-Unis). Fait alarmant, l'ingestion de seulement dix cryptosporidies suffit à provoquer la maladie. La contamination est féco-orale (mains sales, contact direct avec les animaux ou leur environnement, des infections secondaires interhumaines étant possibles au domicile. Le risque de contamination augmente pendant la saison d’agnelage ou lors de fortes pluies.
Rappelons le communiqué de l’Académie nationale de médecine du 26 avril 2024 : Risques pour les enfants en contact étroit avec des animaux de compagnie non traditionnels (ACNT) dans les lieux publics recommandant les mesures de prévention nécessaires pour éviter ce type d’infection.
More than 770 people struck down with gruesome parasite that causes 'bowel cancer-like' symptoms, GB News, 29 novembre 2024, https://www.gbnews.com/health/cryptosporidium-parasite-diarrhoea-bowel-cancer-symptoms
Cryptosporidiosis - UK (03): (England) lamb petting zoo, ProMED, 3 décembre 2024, https://promedmail.org/promed-post/?id=8720408
Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
Depuis quelques décennies, on a pu observer l’importance croissante accordée par les particuliers pour des animaux autres que le chien et le chat, qu’il s’agisse d’animaux possédés au domicile ou de certaines espèces animales présentes dans des lieux publics destinés aux enfants (zoos, parcs aquatiques, écoles...). Ces animaux ne sont ni nouveaux ni exotiques (rongeurs, poissons, oiseaux...). Le terme «animal de compagnie non traditionnel» ou ACNT, utilisé depuis 2022 dans plusieurs pays européens, est préférable à celui de «nouveaux animaux de compagnie» (NAC) car beaucoup d’espèces ne sont ni nouvelles, ni exotiques. Elles peuvent même correspondre à un changement de statut de certains animaux domestiques initialement élevés pour leurs productions (lapin, chèvre, porc, volailles...), rencontrés aussi bien dans des lieux publics (fermes pédagogiques, mini-fermes, petting zoos...) que chez des particuliers.
C’est pourquoi un groupe de travail de l’Académie nationale de médecine, composé principalement de vétérinaires, de pédiatres et d’infectiologues, a rapporté un avis très complet le 12 mars 2024 sur les risques traumatiques et/ou infectieux pour l’enfant en contact avec ces ACNT [1].
Ce risque est accru chez le jeune enfant âgé de moins de 5 ans pour plusieurs raisons : 1° son système immunitaire immature le rend plus sensible aux infections ; 2° à cet âge, porter les mains à la bouche faisant partie de son comportement, la recommandation de se laver les mains est inadéquate ; 3° il est inconscient du risque traumatique ou infectieux encouru avec certains animaux.
Parfois ces risques sont sous-estimés du fait de l’apparente bonne santé de l’animal réservoir de l’agent pathogène. C’est le cas par exemple, dans les lieux publics, des ruminants pouvant être porteurs asymptomatiques d’Escherichia coli entérohémorragique (ECEH), susceptible de provoquer un syndrome hémolytique et urémique (SHU). En 2008, l’Académie vétérinaire de France avait alerté sur ce risque. A la même époque, une enquête réalisée par des pédiatres français a permis de noter que sur 1215 cas de SHU recensés de 2007 à 2016 (moyenne d’âge des enfants : 30 mois), 20% (soit 243 enfants) étaient liés à des contacts avec des animaux de ferme ou leur environnement. Une étude allemande, publiée en 2022, concernant 300 chèvres apparemment en bonne santé réparties dans 14 petting zoos confirme ce risque sous-estimé avec la détection d'ECEH chez 20% de ces chèvres (22,7% étant aussi excrétrices de Campylobacter).
Les risques liés aux ACNT au domicile peuvent être divers. Il peut s’agir d’un traumatisme (morsure, griffure, constriction...), en général sporadique et non déclaré par le propriétaire ignorant qu’une morsure peut permettre l’inoculation d’un agent pathogène présent naturellement dans la salive de l’animal asymptomatique (Capnocytophaga chez les carnivores, Streptobacillus chez les rongeurs...) et provoquer une septicémie mortelle. D’autres agents infectieux sont présents chez diverses espèces animales asymptomatiques (cf. tableau). Aux Etats-Unis, ces risques ont été recensés durant la période allant de 1996 à 2017, démontrant que l’enfant âgé de moins de 5 ans est le plus souvent affecté. Ils peuvent conduire au décès, et la maladie la plus fréquemment transmise par les ACNT est la salmonellose (81% des cas). En Europe, la sous-estimation de ces risques est liée à plusieurs facteurs : 1° le non-signalement des cas isolés ; 2° l’absence d’un système d’alerte à même, comme aux Etats-Unis, de collecter les cas sporadiques ; 3° la méconnaissance de certaines zoonoses, qu’elles soient émergentes ou liées à certaines espèces d’ACNT.
L’avis de l’Académie nationale de médecine fait l’objet de recommandations soulignant la sous-estimation des risques pour les enfants et résumées dans deux communiqués qui sont complémentaires.
Le premier communiqué, correspondant aux lieux publics, est paru le 26 avril [2] :
- rappelant que les liens entre animaux et enfants doivent donner lieu à des précautions sanitaires ;
- invitant, selon une approche «une seule santé», à une surveillance épidémiologique des zoonoses infantiles, en vue de la prévention et du traitement précoce de ces maladies ;
- recommandant que le grand public soit informé des risques potentiels liés à un contact étroit entre de jeunes enfants et des ACNT, le lavage des mains devant être la règle après avoir touché un tel animal, et qu’un affichage des mesures de «biosécurité» soit instauré dans les établissements accueillant enfants et ACNT, notamment concernant les règles d’hygiène et de sécurité approuvées par les directions départementales de la protection des populations ;
- déconseillant fortement, comme le fait Santé publique France, que des enfants de moins de 5 ans touchent des ACNT (ruminants, en particulier) dans les lieux publics ;
- et enfin, recommandant une interdiction de zones de restauration trop proches d’une mini-ferme (ou d’un petting-zoo), afin d’éviter que de jeunes enfants nourrissent des animaux tout en mangeant leur propre repas.
Dans le second communiqué paru le 2 mai [3], l’Académie nationale de médecine, considérant la présence au domicile de certains ACNT dont la détention est autorisée, recommande :
- d’informer le public de ces risques ;
- de déconseiller, lorsque des enfants âgés de moins de 5 ans sont présents au domicile, la détention des ACNT pouvant représenter un risque de morsure (furet, rat, iguane) ou de transmission d’agents infectieux (rongeurs, serpents, tortues, amphibiens, oiseaux, petits ruminants...) ;
- de rappeler aux parents l’importance, devant toute maladie chez un enfant de moins de 5 ans, de prévenir le médecin si un ACNT est présent au domicile ;
- de renforcer les contrôles sanitaires dans les animaleries hébergeant des ACNT commercialisés, en fonction des risques zoonotiques propres à chaque espèce ;
- de créer une plateforme de surveillance épidémiologique des zoonoses observées chez l’enfant exposé à la présence d’un ACNT, mobilisant tous les acteurs concernés (laboratoires médicaux et vétérinaires...) et permettant un partage des données pour la détection, le traitement précoce et la prévention de ces maladies.
Cet avis peut être extrapolé aux risques en Ehpad pour les personnes âgées dans le contexte actuel visant à leur permettre d’être accompagnées de leur animal de compagnie.
[2] Attention au contact étroit des enfants, au domicile, avec des animaux de compagnie non traditionnels (ACNT). Communiqué de l'Académie nationale de médecine, 26 avril 2024.
[3] Risques pour les enfants en contact étroit avec des animaux de compagnie non traditionnels (ACNT), dans les lieux publics. Communiqué de l'Académie nationale de médecine, 2 mai 2024.
Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
Aux Etats-Unis, les premiers cas d’infection par le virus IAHP 5N1 ont concerné tout d’abord cinq chevreaux nouveau-nés le 19 mars 2024 (dans une ferme du Minnesota où un foyer de peste aviaire venait d’être déclaré le 27 février dans un élevage de basse-cour), puis plusieurs foyers ont été déclarés dès le 25 mars dans des élevages de vaches laitières. Ces premiers cas chez des vaches furent une surprise car on connaissait peu les infections par les virus influenza chez les bovins (où le virus influenza D ne fut découvert qu'il y a une dizaine d’années).
Origine du virus H5N1 clade 2.3.4.4.b prédominant dans la panzootie mondiale actuelle
L’ancêtre de ces panzooties aviaires observées depuis ces dernières années est principalement le virus IAHP H5N1 (Gs/Gd/1996), qui fut isolé en 1996 chez l’oie à Guangdong en Chine. A l’époque, la peste aviaire n’était pas encore classée dans les zoonoses. Elle ne le fut qu’en 1997 après le foyer de Hong Kong (dix-huit malades, six morts) provoqué par le virus de Guangdong. Le virus IAHP H5N1 clade 2.3.4.4.b a atteint l’Amérique du Nord en 2021. La panzootie est devenue majeure du fait de la perte de saisonnalité du virus, de la diversification des espèces sauvages atteintes (avec mortalité massive chez de nombreuses espèces d'oiseaux sauvages en été) et d’une augmentation du nombre de cas dans les élevages. C’est pourquoi en France, il a été décidé de vacciner les élevages de canards pour limiter la propagation du virus.
Contamination de plusieurs espèces de mammifères notamment aux Etats-Unis
Depuis janvier 2022, quarante-neuf espèces de onze familles différentes (terrestres et marines) ont été contaminées par le clade 2.3.4.4.b (élevages de visons, renards..., ou le plus souvent de prédateurs carnivores). Citons le cas particulier d’une importante mortalité des otaries en Argentine qui a permis de suspecter la possibilité d’une transmission intra-espèce. Cette augmentation apparente du nombre de mammifères atteints, favorisée par la panzootie aviaire, peut être aussi liée à une recherche accrue de l’infection virale dans ces espèces.
Cas particulier des chats
On connaissait la sensibilité des félins au virus IAHP H5N1. Le premier cas observé avec le clade 2.3.4.4.b a concerné un chat français en novembre 2022. Plus tard, en 2023, il s’est agi de quarante chats en Corée du Sud et d’une douzaine de cas en Pologne, qui seraient d’origine alimentaire. Les symptômes chez le chat sont caractérisés par une atteinte neurologique prédominante. Aux Etats-Unis, il y a eu vingt cas, dont quatre dans des fermes laitières.
Présence du virus dans le lait
Au 26 avril 2024, il y a eu trente-trois troupeaux laitiers atteints dans huit États. La première inquiétude fut de découvrir le virus dans le lait, avec une modification de son aspect (plus épais et plus jaune) et une baisse de production, ce qui a justifié d’une part, d’éliminer le lait des vaches infectées et la recommandation de ne pas consommer le lait cru, et d’autre part, une recherche sur le risque sanitaire pour le consommateur. La FDA (Food and Drug Administration) a publié les résultats confirmant que l’approvisionnement commercial en lait pasteurisé était sûr, même si la présence de fragments inactivés de virus a pu être détectée par PCR dans un échantillon de lait sur cinq. Pour les laits en poudre destinés aux nourrissons, tous les résultats ont été négatifs. Le risque d’une transmission par le lait lors de la traite d’une vache à l’autre a été aussi évoqué. Pour ces raisons, des mesures de biosécurité ont été prises : restriction des mouvements des vaches en lactation sur le territoire américain, obligation de tests…
Contamination humaine dans un élevage bovin
Le 1er avril 2024, le CDC d’Atlanta a annoncé un cas de conjonctivite chez une personne ayant pu être en contact avec des bovins infectés par le virus IAHP H5N1 au Texas (la conjonctivite est un symptôme bénin qui peut être observé dans les foyers de peste aviaire, comme ce fut le cas pour quatre-vingt-six éleveurs avicoles hollandais en 2003 avec un virus IAHP H7N7). Les formes graves de la maladie humaine due à ce virus n’ont été rencontrées que dans certains pays (principalement en Asie) dans des conditions particulières (contacts très étroits avec des volailles vivantes ayant permis au virus d’atteindre les cellules réceptives aux virus dans les alvéoles pulmonaires) sans transmission interhumaine ultérieure. Par précaution, les autorités américaines ont envisagé la protection des employés dans les exploitations de bovins laitiers.
Inquiétude de l'Organisation mondiale de la santé (OMS)
Le 18 avril 2024, Jeremy Farrar, scientifique en chef de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), a fait part de son «énorme inquiétude» concernant la propagation croissante du virus IAHP H5N1 de la peste aviaire lors d'une conférence de presse à Genève. Puis le 24 avril, l’OMS, bien qu’elle ait souligné que «malgré la découverte du virus dans du lait, les risques restent limités», a «appelé à une surveillance accrue de différentes espèces animales».
Quel sera le virus de la prochaine pandémie grippale ?
Comme l’a souligné Bruno Lina lors de la séance biacadémique «Influenza» du 12 octobre 2023 à l’Ecole nationale vétérinaire d’Alfort, le virus influenza présente une forte diversité et une capacité évolutive mais les mécanismes d’adaptation à un nouvel hôte sont multifactoriels et il est impossible de prévoir : «ces adaptations ne sont rendues possible que par des modifications très importantes sur le génome viral, soit dans sa composition (le réassortiment), soit dans ses spécificités d’hôte (les mutations), soit en combinant les deux». Selon un article récent non révisé de Hu et al. [1], ce clade 2.3.4.4.b ne possède pas les mutations critiques dans les gènes PB2 et PB1 qui améliorent la virulence ou l'adaptation aux mammifères».
Actuellement, le virus IAHP H5N1 clade 2.3.4.4.b demeure une catastrophe pour les espèces animales, qu’il s’agisse d’animaux domestiques ou sauvages (principalement les oiseaux), mais la composition du virus qui sera à l’origine de la future pandémie est impossible à prédire.
Rappelons-nous les alertes de 2005 pour ce virus H5N1 de la peste aviaire «candidat à la future pandémie grippale» alors que celle-ci a eu pour origine un virus H1N1 en 2009...