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Les membres de l’Afas publient régulièrement des articles. Ils sont à retrouver ici :

Jean-François Cervel

Commission nationale française pour l’Unesco, IGAENR
 

Le rapport de Mme Suzanne Berger : Reforms in the French Industrial Ecosystem (janvier 2016) répond à une lettre de mission adressée par le ministre de l’Economie et le secrétaire d’Etat à l’Enseignement supérieur et à la Recherche.
Plus que d’un rapport, il s’agit d’une note de réflexion très synthétique en fonction d’éléments de comparaison tirés de l’expérience internationale et notamment américaine de l’auteur.
Elle s’organise en trois grands paragraphes : les deux malentendus originels, le point de vue des acteurs du système d’innovation, les performances des institutions de transfert de technologie, et se conclut par deux remarques et neuf brèves recommandations.

Après avoir rappelé que les efforts de réforme engagés depuis des années se sont concentrés sur la création d’institutions de transfert de technologie entraînant un empilement de nouvelles institutions, Mme Berger analyse «deux malentendus originels» : «Ce que les Universités peuvent (et ne peuvent pas) faire pour l’économie» et «Un institut Fraunhofer à la française ?».
Au titre du premier, Mme Berger s’interroge sur ce que font réellement les universités étrangères réputées performantes. Estimant avec prudence qu’il n’y a pas d’études permettant une compréhension totale des processus vertueux, elle s’appuie sur l’étude de success story, sur un rapport de la LERU (League of European Research Universities) et sur un rapport du MIT (Massachusetts Institute of Technology) pour conclure que «ce qui compte c’est l’ampleur, la profondeur et la continuité des interactions à tous les niveaux entre les entreprises et les chercheurs universitaires issus de différentes disciplines. C’est l’échange durable grâce à une large interface qui engendre un impact économique».
Elle ajoute que même les grandes universités ayant tissé les liens les plus étroits avec les écosystèmes régionaux n’en tirent pas de grands profits financiers. Sauf cas exceptionnels de découvertes majeures (exemple fameux du Taxotère en France), les revenus tirés des licences sont faibles et sans commune mesure avec le coût de la recherche. Seuls 16% des bureaux de licensing des universités américaines parviennent à s’autofinancer.
Elle ajoute que, même pour les grandes entreprises (exemples de General Electric et de DuPont), l’itinéraire entre la découverte et la réalisation de bénéfices est encore extrêmement long. Hormis dans quelques secteurs, il est rare que de nouveaux produits, même les plus prometteurs, deviennent rentables en moins de dix ans.
Conclusion : la création d’un ensemble dense de connexions le long de l’interface liant les chercheurs et les entreprises est ce qui compte le plus. Les échanges essentiels sont ceux qui s’opèrent entre êtres humains. L’octroi de licences et la maturation de la recherche sont utiles lorsqu’elles s’intègrent dans ce réseau de connexions productives.
Au titre du second malentendu, Mme Berger pointe l’excessive référence française aux Instituts Fraunhofer allemands. En une vingtaine de lignes extrêmement claires, elle montre que les Instituts Fraunhofer ne sont qu’un élément d’un vaste écosystème allemand qui fait intervenir de nombreux acteurs économiques, financiers, de formation professionnelle, d’universités techniques, de comités industriels…, sur lesquels l’Etat s’appuie pour allouer des aides peu élevées sans avoir besoin d’un crédit d’impôt recherche.

Mme Berger présente ensuite un rapide panorama des points de vue des acteurs du système d’innovation tiré des 111 entretiens qu’elle a eus au cours de sa mission.
Elle met en lumière les points de consensus suivants : le rôle indispensable du crédit d’impôt recherche, le sentiment de complexité et d’incertitudes, le besoin de stabilité.
Le crédit d’impôt recherche (CIR) est unanimement plébiscité tant par les entreprises que par les chercheurs académiques. Il constitue l’élément déterminant pour le maintien sur le territoire français de départements de R&D. Un dirigeant d’entreprise affirme qu’il garde sa division R&D en France car les grandes écoles donnent d’excellents diplômés et que le CIR réduit les coûts d’embauche. Il a permis, grâce notamment au dispositif du doublement, de développer les relations entre entreprises et organismes publics de recherche.
La complexité des dispositifs : les dispositifs français sont complexes, non pérennes, instables, difficiles à comprendre pour l’entreprise. L’intervention des régions vient encore complexifier le système ainsi que les multi-tutelles sur les laboratoires, qui allongent considérablement les délais de traitement des dossiers.
Le besoin de stabilité : même si le système est très complexe, il faut peut-être le laisser s’autoréguler plutôt qu’engager de nouveaux changements.

Mme Berger analyse enfin les performances des institutions de transfert de technologie.
Des multiples évaluations intervenues au cours des années récentes et de ses entretiens, Mme Berger tire une conclusion simple : il n’y a aucune réussite éclatante parmi tous les dispositifs mis en place.
Les appréciations portées par les acteurs concernant tant les IRT (instituts de recherche technologique) que les SATT (sociétés d'accélération du transfert de technologies) sont dubitatives voire carrément négatives.
Elle en conclut que, dans un souci d’efficacité à court terme, il faut soutenir les projets les plus utiles qu’elle a observés au cours de sa mission à savoir les PRRT (plateformes régionales de transfert de technologie) du CEA.

De ces analyses, Mme Berger tire deux remarques et neuf brèves propositions.
Les deux remarques concernent d’une part le constat d’une diversité d’évolution des dispositifs selon les régions et les écosystèmes et, d’autre part, le besoin de mettre en place des expérimentations évaluables, avec des financements à résultats quantifiables, conduisant à des modèles non identiques selon les lieux et selon les secteurs économiques.
Les neuf propositions :

  • identifier trois à cinq universités d’excellence (IDEX) pour y développer un large éventail d’activités contribuant à la relation monde académique-monde économique ;
  • donner aux établissements l’objectif de diffuser les résultats de la recherche et non de financer leurs coûts ;
  • mieux articuler les IRT et ITE (instituts pour la transition énergétique) avec les laboratoires et les établissements ;
  • distinguer les niveaux d’horizons temporels visés ; court terme, moyen terme, long terme ;
  • établir des contacts réels entre chercheurs et directions des entreprises ;
  • simplifier la cartographie du système d’innovation ; clarifier le rôle et les missions de France Brevets ;
  • avoir un mandataire de gestion unique pour chaque laboratoire ;
  • orienter les actions des agences de transfert autant vers les entreprises en voie d’expansion que vers les start-up ;
  • mettre les clients au cœur du système, pas les technologies.

Discussion

L’analyse et les propositions, même si elles sont assez sommaires, sont plutôt frappées au coin du bon sens. Elles montrent bien qu’il ne faut pas faire de contre-sens tant sur les objectifs que sur les effets des politiques conduites en matière de relations entre les institutions de recherche et les entreprises.
J’en retiens pour ma part quelques éléments principaux qui rejoignent ceux que j’ai présentés dans mon texte publié par NTE (News Tank Education) le 9 février dernier.
Les situations sont différentes selon les écosystèmes et selon les secteurs économiques ; les réponses doivent donc être différenciées.
Un sujet clé est celui de la qualité des ressources humaines ; il faut donc conforter les filières de formation supérieure répondant aux besoins des entreprises et notamment les formations d’ingénieurs ; j’y ajoute pour ma part qu’il ne faut ne pas négliger les actions développées en formation continue qui sont un bon outil de transfert des connaissances et qui doivent faciliter la circulation et les échanges des personnes entre les établissements et les entreprises.
C’est à l’échelle des établissements que doivent se conduire les actions ; il faut leur laisser toute liberté pour utiliser la palette des outils utiles pour multiplier les occasions d’interfaces avec les entreprises.
Dans cette logique, il faut se décider à soutenir clairement la montée en puissance de quelques universités de recherche et quelques universités de technologie qui doivent être les acteurs moteurs, en articulation avec les organismes de recherche et notamment ceux spécialisés dans les domaines technologiques (CEA, INRIA, ONERA…).
Il faut veiller à ne pas casser les dispositifs qui marchent sous peine de départ des centres de recherche des entreprises en d’autres lieux du monde. Le crédit d’impôt recherche, les contrats CIFRE (conventions industrielles de formation par la recherche) mais aussi les centres techniques industriels doivent être ainsi clairement confortés.

Alain Delacroix

Ancien professeur titulaire de la chaire "Chimie industrielle - Génie des procédés" du Conservatoire national des arts et métiers
 

Les molécules produites par l’industrie chimique sont toujours créées pour résoudre un problème et avant de les critiquer (ce qui est à la mode en France actuellement), il est bon de savoir à quoi elles servent. Comme pour les médicaments, qui sont des molécules chimiques comme les autres, il faut toujours considérer le rapport bénéfice/risque. Aucune molécule active n’est sans risque. C’est, par exemple, en cosmétique que les molécules utilisées doivent présenter le minimum de risque car le problème qu’elles traitent ne présente pas de danger. Rappelons toutefois que L’Oréal, à l’origine, a été créé par Eugène Schueller sous le nom de «Société française de teintures inoffensives pour cheveux», ce qui en dit long sur celles qu’on utilisait à l’époque.
Le risque le plus important (en dehors de celui qui leur est propre) dans l’utilisation de médicaments, produits cosmétiques ou industriels et aliments contenant de l’eau, même en très faible quantité, est la contamination par des bactéries ou des champignons pathogènes. Ceux-ci peuvent provoquer des maladies très graves contre lesquelles on doit se défendre. C’est ainsi que dans pratiquement tous les produits courants utilisés tous les jours, on introduit en très faibles quantités des bactéricides et des fongicides. Parmi ceux-ci, les parabens sont les plus connus en raison des controverses récentes sur leur utilisation.

Paraben

Paraben

Les parabens (formule ci-dessus) sont des parahydroxybenzoate d’alkyle qui ont une formule simple et sont peu coûteux. Ils ont de bonnes propriétés antibactériennes et antifongiques et des propriétés physiques adéquates, par exemple la solubilité. Cela les a largement introduits dans les cosmétiques, les médicaments, les aliments, etc.
Il existe une infinité de parabens car le groupement R peut correspondre à n’importe quel groupe alkyle, le plus simple étant le méthyl. Il existe industriellement les méthyl, éthyl, propyl, isopropyl, butyle, isobutyl et même benzyl parabens.
Les parabens sont aussi des molécules naturelles que l’on peut trouver, par exemple, dans les fraises, la vanille, la carotte, certains jus de fruit, etc. (les plantes fabriquent aussi des molécules pour se défendre contre, entre autres, leurs prédateurs !).
Les bonnes propriétés des parabens font qu’on les a introduits dans la majorité des produits que l’on utilise tous les jours : shampoings, crèmes diverses, mousses à raser, etc. De ce fait, l’être humain est exposé régulièrement à ces produits. Mais des études récentes montrent que les parabens pourraient présenter des risques : baisse de fertilité pour l’homme et augmentation des tumeurs œstrogèno-dépendantes car ils peuvent se lier aux récepteurs des œstrogènes. En liaison avec le principe de précaution, leur interdiction a été votée par l’Assemblée nationale en 2011.

Alors comment remplacer les parabens ? La publicité nous a inondés de produits «sans paraben», mais qu’a-t-on mis à la place ?
Du 2-phénoxyéthanol (formule ci-dessous) qui, lui aussi, existe à l’état naturel dans le thé vert ou la chicorée mais qui pourrait induire des allergies ou des troubles neurologiques ? Il est déconseillé maintenant dans les lingettes pour bébés en attendant des études plus poussées sur sa toxicité.
 
2 phénoxyéthanol
On peut utiliser aussi la méthylisothiazolinone (formule ci-dessous), excellent biocide, mais en 2014, la Commission européenne a émis un avis de méfiance sur ce produit.
 
MIT

Il faut noter à ce stade qu’un produit biocide, bactéricide ou fongicide, qui tue par définition des objets vivants, ne peut être sans effets sur l’être vivant macroscopique que nous sommes. De ce fait, chaque molécule de ce type devra faire l’objet de recherches approfondies et longues, voire sans fin.
Alors y a-t-il d’autres solutions pour formuler des produits sans conservateurs ? On peut utiliser la stérilisation UHT, comme pour le lait, pour les produits relativement stables à la chaleur, on peut aussi diminuer la taille des gouttelettes d’eau de telle manière que la bactérie n’ait pas assez de place pour se développer. Mais ces techniques n’ont, semble-t-il, pas une utilisation aussi générale et facile que les molécules biocides. A suivre donc…

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, ancienne présidente de l’Académie vétérinaire de France
 

Aedes aegypti
 

En 1947, les chercheurs A. Haddow et W. Bearcroft, travaillant sur le virus de la fièvre jaune à l’Institut ougandais de recherche à Entebbe, découvrent dans la forêt Zika un autre virus chez un singe rhésus présentant une hyperthermie. Ils reproduisent aussi la maladie chez des souris. L’année suivante, ils isolent ce même virus chez des moustiques Aedes africanus, vecteurs de la fièvre jaune. Si, pendant près de sept décennies, ce virus Zika est resté une curiosité virologique, il importe de rappeler que les chercheurs de l’Institut d’Entebbe avaient continué de l’étudier, allant même jusqu’à se l’inoculer (W. Bearcroft) pour démontrer son effet pathogène (les symptômes ont été discrets avec une légère hyperthermie et une migraine). Ils concluent alors : «L'absence de la reconnaissance de la maladie chez l'homme causée par le virus Zika ne signifie pas nécessairement que la maladie est rare ou sans importance». Plus tard, il a fallu deux contaminations de laboratoire (l’un à l’Institut d’Entebbe, l’autre dans un autre institut au Mozambique) pour que l’on découvre d’autres symptômes, notamment cutanés (éruption maculo-papuleuse) et le potentiel pathogène du virus Zika. On peut d’ailleurs remarquer qu’il a souvent fallu des accidents de laboratoire pour comprendre le rôle pathogène des arbovirus pour l’espèce humaine.
L’infection humaine par le virus Zika est restée anecdotique en Afrique et en Indonésie jusqu’à la découverte surprenante d’une épidémie due à ce virus en Micronésie dans l’île de Yap en 2007. Cette maladie ressemblait alors à de la dengue mais avec des troubles cutanés [1].
Quelques cas importés ont été signalés dans certains pays (Australie, Etats-Unis) jusqu’à l’annonce d’une nouvelle épidémie en 2013 en Polynésie française avec 333 cas confirmés et 19 000 suspicions. Il est possible que cette épidémie ait été à l’origine de 42 cas de Guillain-Barré ainsi que de 18 malformations congénitales, dont 13 microcéphalies et 5 bébés nés avec un trouble de la déglutition, dont 2 décédés depuis. En fait il n’était pas toujours facile de distinguer l’infection due au virus Zika de la Dengue ou du Chikungunya, plus connus des praticiens (cf. tableau I). Puis un premier cas autochtone est déclaré en Nouvelle-Calédonie le 21 janvier 2014. En juillet 2015, dans un rapport publié le 10 août, le Haut conseil de la santé publique annonce que «les conditions pour une transmission autochtone du virus Zika en métropole sont réunies» du fait de la présence du moustique tigre en France.
Le Brésil a annoncé des cas autochtones à partir de mai 2015. Fin décembre 2015, ce même pays a suspecté un risque de préjudice grave de microcéphalie pour les nouveau-nés lors d’une atteinte des mères par le virus Zika pendant leur grossesse. Très rapidement, d’autres pays ont identifié ce virus devenu médiatique. De janvier 2007 au 25 février 2016, 52 pays ont déclaré des cas autochtones, le principal vecteur étant le moustique tigre Aedes aegypti [2].

 

Tableau I. Tableaux cliniques comparatifs Dengue, Chikungunya et Zika [3]

 

 

L’annonce brésilienne d’un risque de préjudice grave lié au neurotropisme du virus pour les fœtus a amené l'Organisation mondiale de la santé à déclarer que le virus Zika devenait une «urgence de portée internationale de la santé publique». Cette annonce a aussi alerté les médias dans le monde entier. Pourtant l’importance réelle de ce risque à l’échelon d’un pays reste encore incertaine du fait du faible nombre de preuves scientifiques. Certes, il existe des cas particuliers permettant de suspecter un effet tératogène du virus Zika comme, par exemple, celui d’une femme slovène enceinte contaminée au Brésil à la 13e semaine de grossesse [4]. Revenue en Slovénie, une microcéphalie et de graves malformations cérébrales sont observées sur le fœtus à 29 et 32 semaines. Un avortement thérapeutique a été décidé et le virus Zika a été retrouvé uniquement dans l’encéphale du fœtus. D’autres observations signalent la présence du virus Zika dans le tissu cérébral de nouveau-nés mort-nés atteints de microcéphalie, voire dans le placenta et les tissus fœtaux lors d’avortements spontanés, les mères ayant présenté des symptômes pendant leur grossesse.

Risque surévalué ou réel ?

Comme l’a souligné R. St. John, qui fut directeur général de la santé publique du Canada, l’importante réaction médiatique liée au virus Zika a peut-être été amplifiée avec notre système de communication instantanée par Internet. Malgré la frénésie que nous avons connue sur les dernières découvertes sur ce virus, nous avons encore beaucoup trop d’incertitudes sur les risques réels de transmission de la maladie autrement que par les moustiques, qu’il s’agisse de la présence du virus dans la salive, dans l’urine, dans le sang ou dans le sperme. Y a-t-il réellement un risque de transmission sexuelle ou par transfusion sanguine ?
La preuve d’un lien entre les cas de microcéphalie et le virus Zika n’est pas encore certaine. N’y a-t-il pas eu un surdiagnostic de ces cas au Brésil alors que la Colombie, pays également fortement touché par ce virus, n’a pas déclaré cette atteinte tératogène. Pourtant les conséquences d’une telle suspicion sont importantes, en particulier par les conseils aux femmes enceintes ou susceptibles de l’être ainsi qu’aux voyageurs vers les pays touchés (report de la grossesse conseillé dans certains pays, voyages déconseillés ou annulés vers les pays atteints, avortements thérapeutiques, risque lié aux transfusions sanguines, menace potentielle pour les participants aux jeux olympiques de Rio, etc.). On a pu ainsi constater une diminution du nombre des voyages vers les pays considérés touchés par ce virus.
De plus, puisque «lorsque l’on cherche, on trouve !», il est évident que l’on va découvrir la présence du virus Zika dans d’autres pays. Mais des recherches sont encore nécessaires pour évaluer le risque d’une transmission autre que par les moustiques (un nouveau cas de transmission par la voie sexuelle, le premier en France, vient d’être annoncé le 27 février 2016). La découverte récente d’une transmission autre que par les moustiques de l’encéphalite japonaise, due à un autre flavivirus chez le porc, démontre que nous avons encore à apprendre sur cette famille virale redoutable. Le développement et la disponibilité de tests rapides et fiables permettront une surveillance accrue et une meilleure évaluation du nombre de cas asymptomatiques ainsi que du risque de microcéphalie ou de syndrome de Guillain-Barré. De même, la mise au point rapide d’un vaccin polyvalent efficace à la fois contre la dengue, le chikungunya et le virus Zika peut être très utile dans l’avenir.
En conclusion, les conseils de prudence devant les incertitudes des risques réels liés au virus Zika sont justifiés, notamment pour les femmes enceintes. Mais il ne s’agit que d’un principe de précaution qui ne doit pas être amplifié à l’extrême. Il y a sans aucun doute un problème mais les faits scientifiques sont trop peu nombreux pour évaluer l’ampleur de la menace potentielle.
D’autres pistes ne doivent pas êtres négligées comme, par exemple, le risque lié à l’emploi intensif d’un insecticide, le pyriproxyfène, dans les régions touchées depuis fin 2014. Ce risque, où l’antidote serait plus nocif que la maladie, a été dénoncé par des médecins argentins et brésiliens mais il n’a pas été démontré. N’oublions pas l’alerte que nous avons connue en 2005 avec l’OMS sur la «grippe aviaire» due au virus influenza aviaire hautement pathogène H5N1, considérée comme la future pandémie mondiale.

 

[3] In « Information aux professionnels de santé et au public (Dengue, Chikungunya, Zika-virus) - DASS. http://www.dass.gouv.nc/portal/page/portal/dass/librairie/fichiers/24792169.PDF »
[4] Mlakar J et al. Zika Virus Associated with Microcephaly. Published on February 10, 2016, at NEJM.org. DOI: 10.1056/NEJMoa1600651.

 

Crédit photographique : James Gathany (PHIL, CDC) [Public domain], via Wikimedia Commons
Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, ancienne présidente de l’Académie vétérinaire de France
 

L’encéphalite japonaise est la principale cause d’encéphalite humaine en Asie (cf carte ci-dessous). Lors d’une épidémie d’encéphalite japonaise, seulement 0,1 à 4% des personnes infectées développent une encéphalite avec des symptômes, les enfants étant les plus souvent atteints. L'incidence annuelle de ces cas serait de 50 000 à 175 000, avec un taux de mortalité de 25 à 30% alors que 50% des survivants présenteront des séquelles neurologiques parfois graves.

 

Pays affectés par l’encéphalite japonaise (Centers for Disease Control and Prevention. National Center for Emerging and Zoonotic Infectious Diseases, NCEZID. Division of Vector-Borne Diseases, DVBD)

 
Encéphalite japonaise
 

On avait toujours considéré que la maladie était uniquement transmise par des moustiques, le porc étant le réservoir amplificateur de cette virose également véhiculée par les oiseaux.
Des chercheurs suisses ont démontré que ce virus pouvait aussi se propager par contact entre porcs, expliquant ainsi la persistance de la maladie pendant l’hiver, en particulier dans l'île japonaise du nord de Hokkaido, toujours atteinte par de nouveaux foyers malgré l’absence de moustiques. Ces mêmes scientifiques ont montré que le virus se répliquait dans les amygdales où il pouvait persister 25 jours, la voie de transmission directe pouvant être oro-nasale.
On peut cependant noter que les cas humains d’encéphalite japonaise importés n’ont jamais été suivis d’une contamination secondaire.
Cette découverte est importante car les flaviviroses sont souvent des zoonoses. Parmi celles-ci, on avait déjà démontré chez l’Homme la possibilité de transmission interhumaine du virus du Nil occidental, notamment par transfusion sanguine. Par ailleurs, on suspecte un autre mode de transmission pour l’infection due au virus Zika (transmission sexuelle).

 

Bibliographie :
Meret E. Ricklin et al. Vector-free transmission and persistence of Japanese encephalitis virus in pigs, Nature Communications (2016). DOI: 10.1038/ncomms10832.
Ricklin et al. Japanese encephalitis virus tropism in experimentally infected pigs. Vet Res (2016) 47:34. DOI 10.1186/s13567-016-0319-z.
Alain Delacroix

Ancien professeur titulaire de la chaire "Chimie industrielle - Génie des procédés" du Conservatoire national des arts et métiers
 

Théophile-Jules Pelouze

Théophile-Jules Pelouze est né le 26 février 1807 à Valognes dans la Manche. Son père Edmond Pelouze est un industriel lié à Saint Gobain et aux forges du Creusot. Il est directeur de cette entreprise alors que Daniel Wilson en est le propriétaire, ce qui explique les relations entre ces deux familles, sur lesquelles je reviendrai plus tard. Edmond Pelouze est l’auteur de nombreux ouvrages techniques, notamment sur la fabrication du coke et du fer.
Théophile-Jules Pelouze débute comme apprenti dans une pharmacie. Sur les recommandations de Vauquelin, lié à son père, il intègre à Paris la pharmacie de Chevallier. C’est là qu’il rencontre Lassaigne qui, avec Gay-Lussac, le prennent comme assistant dans le laboratoire Wilson dont ils sont les directeurs en 1827. En 1829, il commence son internat de pharmacie mais renonce pour raisons de santé et préfère la chimie. En 1830, il reste peu de temps professeur de chimie à Lille pour revenir à Paris en 1833. Il est alors nommé répétiteur à l’Ecole polytechnique, devient professeur au Collège de France, où il succède à Gay-Lussac, et commence à travailler pour l’Hôtel des Monnaies dont il devient le directeur. C’est sous sa responsabilité que sont produits les premiers timbres-poste en France. Il est membre de l’Institut en 1837 et membre du conseil municipal de Paris.
A partir de 1848, il fonde, rue Dauphine à Paris, un laboratoire de chimie où il forme de nombreux étudiants dont Claude Bernard, Marcellin Berthelot, Alfred Nobel et Asciano Sobrero, le découvreur de la nitroglycérine. Aimé Girard y décrit ses débuts modestes, limant des bouchons pour les montages de chimie.
Comme tous les savants du XIXe siècle, Pelouze va effectuer de nombreuses recherches dans des domaines très différents. On peut citer, entre autres, les procédés de fabrication du verre, du sucre de betterave, la purification du gaz d’éclairage, la synthèse de l’acide formique, la synthèse de matières grasses, le dosage du fer dans le sang, la fabrication des explosifs, etc. Sa réputation est telle que son nom est inscrit sur la tour Eiffel.
Théophile-Jules Pelouze épouse Joséphine Künckel, dont il a trois enfants. Son fils Eugène Philippe Pelouze, médecin, épouse le 3 décembre 1857 Marguerite Wilson, la fille de Daniel Wilson. Ce dernier a acquis une grande fortune qui lui a permis, entre autres, d’acheter auprès de Delacroix vers 1845 le célèbre tableau La Mort de Sardanapale. Marguerite Wilson a un frère, Daniel, et tous deux héritent de la fortune de leur père en 1861, date à laquelle ils sortent de l’indivision suite à la majorité de Daniel.
Marguerite achète le château de Chenonceau en 1864 et en confie la restauration à Roguet. Marguerite et Eugène divorcent le 17 mars 1869 à la demande d’Eugène qui aurait surpris sa femme dans une situation peu conventionnelle avec son frère Daniel. Madame Pelouze mène alors grand train dans son château et y reçoit Gustave Flaubert et Claude Debussy. Elle devient la maitresse de Jules Grévy, Président de la République de 1879 à 1887, et favorise le mariage de la fille de Grévy, Alice, avec son frère.
En 1888, cette vie dispendieuse se termine par la faillite. Le château est saisi par les créanciers et racheté par le Crédit foncier. Daniel Wilson, le frère de Marguerite, député radical, siège à gauche avec les partisans de Gambetta et reste député jusqu’en 1889. En 1887, il est acteur du scandale des décorations qui pousse son beau-père à démissionner la même année. Plus tard, Daniel Wilson sera maire de Loches et redeviendra député.

Jean-François Cervel

Commission nationale française pour l’Unesco, IGAENR
 

Le numéro de novembre 2015 des Cahiers de la Fonction publique (n° 360, Berger-Levrault Ed.) consacre son dossier à : « Valoriser les savoirs et les résultats de la recherche publique ».
Onze articles de ce numéro de la revue sont consacrés à ce thème.
On y trouve des présentations d’ensemble des activités de valorisation de deux grands organismes de recherche, le CNRS et l’INRIA, de l’université Pierre et Marie Curie et de l’université de Reims à travers le récit d’« une histoire partagée, le cluster Fabbad ou « la fabrication additive » au service du territoire ».
On y trouve la présentation de structures de valorisation, avec l’exemple de la SATT Paris-Saclay créée en 2014 et une évocation du Réseau Curie qui fonctionne depuis 1991.
On y trouve le compte rendu du rapport « Les relations entre les entreprises et les établissements publics de recherche, regards croisés sur la recherche partenariale » établi pour Futuris, la plate-forme de prospective de l’ANRT. Rapport qui insiste sur les conditions de réussite des partenariats entre les entreprises et les établissements publics de recherche et qui propose « six pistes de progrès » pour les améliorer.
Et on y trouve enfin quatre articles plus généraux sur le thème de la valorisation et des partenariats entre recherche publique et recherche privée.

  • Un chargé de mission de France-Stratégie insiste sur l’intérêt de la comparaison internationale et rappelle la complexité des processus de valorisation jusqu’aux stades du brevet et de la licence susceptible d’être rentable. Il rappelle que les recettes issues de la valorisation ne contribuent que marginalement au financement des organismes de recherche et insiste sur la nécessité de trouver une articulation intelligente entre SATT régionales et dispositifs de valorisation des organismes de recherche nationaux.
  • La présentation du rapport de l’OCDE Science, technologie et industrie : perspectives de l’OCDE 2014. Rapport qui montre un paysage mondial en évolution, en raison notamment de la crise financière, une volonté des pays de se positionner au mieux dans les chaînes de valeur mondiales et de renforcer l’attractivité de leur système de recherche, un développement des mécanismes de financement par projets à côté du financement institutionnel récurrent. Il insiste également sur la prégnance des préoccupations environnementales et sociétales et sur les perspectives de « la prochaine révolution industrielle » qui ne fait que renforcer la place de l’innovation dans les politiques publiques de STI et le développement de partenariats public-privé.
  • Ce partenariat public-privé fait l’objet d’un article plus approfondi qui en montre bien l’intérêt mutuel pour les deux parties, la diversité des modalités, le développement d’une culture commune de l’innovation.
  • Un « libre opinion » sur l’organisation de la recherche technologique et de la valorisation de la recherche en France qui propose notamment de développer quelques grandes universités de technologie du type de celles qui existent dans la plupart des grands pays du monde.

Ce numéro fait donc ainsi un tour d’horizon assez complet sur le sujet de la valorisation des résultats de la recherche publique.

Jean-François Cervel

Commission nationale française pour l’Unesco, IGAENR
 

Rapport de l'Unesco sur la science

Le dernier rapport de l’Unesco sur la science a été publié en novembre 2015 à l’occasion de la 38e session de la conférence générale.
Intitulé « Vers 2030 », il se situe dans le droit fil de l’agenda 2030 pour le développement durable voté par l’ONU.
Depuis le précédent rapport, publié en 2010, des évolutions sensibles se font jour.
D’abord, les dépenses en matière de recherche et développement continuent de croître en dépit de la crise financière. Mais une part importante de ces investissements concerne les sciences appliquées et est assurée par le secteur privé, relançant le débat entre recherche à effets économiques rapides et recherche fondamentale.
Ensuite, le fossé se réduit entre pays du Nord et pays du Sud, la plupart des pays intégrant désormais le développement de la science, de la technologie et de l’innovation dans leurs plans de développement. Même si les pays développés continuent à occuper la place principale, les pays en développement investissent aussi beaucoup en ce domaine.
Enfin, il y a toujours plus de scientifiques dans le monde, ils sont de plus en plus mobiles et échangent de plus en plus entre eux.

L’avant-propos met l’accent sur quelques éléments de questionnements transversaux.
Patrick Aebischer, président de l’université polytechnique fédérale de Lausanne, montre le rôle croissant des universités comme acteurs globaux, la révolution digitale (MOOCs…) accentuant encore ce phénomène. L’université de demain sera une entreprise globale, à multi-implantations avec des partenaires stratégiques et une forte présence virtuelle.
Bhanu Neupane, de l’Unesco, insiste sur la nécessité de contrôler et d’utiliser au mieux la data revolution au service des objectifs du développement durable. Il ne peut y avoir de développement durable sans science et sans une approche intégrée des différentes disciplines.
Heide Hackmann, membre du Conseil international pour la science, et Geoffrey Boulton, de l’université d’Edinbourg, s’interrogent sur le nouveau cadre d’une politique scientifique globale pour une science au service d’un monde juste et durable. Que signifie être un scientifique à l’ère de l’Anthropocène ?
Douglas Nakashima, de l’Unesco, fait un point sur l’émergence de la prise en considération des connaissances locales et indigènes, notamment dans le cadre de l’Intergovernmental Platform on Biodiversity and Ecosystem Services.

Après cet avant-propos, 27 chapitres dressent un panorama très riche et très complet de l’état mondial de la science et des politiques scientifiques.
Les trois premiers chapitres présentent une analyse transversale de la situation.
Le premier fait une présentation globale d’ « un monde en quête d’une stratégie de croissance efficace ». Il analyse d’abord les principaux facteurs influant sur les politiques et la gouvernance de la STI, facteurs géopolitiques, crises environnementales, recherche d’une stratégie de croissance efficace. Il dégage ensuite les principales tendances mondiales en matière de dépenses de R&D, en matière de capital humain et en matière de production scientifique. Les unes et les autres continuent à croître avec désormais près de 8 millions de scientifiques dans le monde. Il en et de même pour la production de connaissances. Il développe d’intéressantes analyses comparatives entre pays et groupes de pays et donne des perspectives en vue d’atteindre les objectifs de l’agenda 2030.
Le deuxième présente les grandes tendances en matière d’innovation et de mobilité de la connaissance. Il souligne l’augmentation de la compétition pour attirer les compétences et donc de la mobilité des étudiants et scientifiques.
Le troisième se demande si la différence entre les sexes diminue en science et en technologie et présente une analyse très complète de la situation selon les champs scientifiques et selon les régions et les pays.

24 chapitres sont enfin consacrés à des monographies par pays ou groupes de pays : Canada, Etats-Unis d’Amérique, Caricom, Amérique latine, Brésil, Union européenne, Europe du Sud-Est, AELE, Pays de la mer Noire, Fédération de Russie, Asie centrale, Iran, Israël, Etats arabes, Afrique de l’Ouest, Afrique centrale et de l’Est, Afrique du Sud, Asie du Sud, Indes, Chine, Japon, République de Corée, Malaisie, Asie du Sud-Est et Océanie.

C’est donc un très vaste panorama que dresse ce rapport, qui est une mine d’informations sur l’évolution des systèmes et des politiques scientifiques mondiaux depuis 2010, date du précédent rapport.

Jean-François Cervel

Commission nationale française pour l’Unesco, IGAENR
 

Par décret en date du 24 avril 2012 modifié en juillet 2014, a été mis en place un Conseil national de la culture scientifique, technique et industrielle (CNCSTI). Le nouveau Conseil, dont les membres ont été nommés après la modification réglementaire intervenue en juillet 2014, s’est réuni pour la première fois, le 24 novembre 2015.
Placé auprès du ministre chargé de la Culture et du ministre chargé de la Recherche, ce Conseil « participe à l’élaboration d’une politique nationale en matière de développement de la CSTI, en cohérence avec les grandes orientations de la stratégie nationale de recherche (…). Il propose des actions communes à ses membres et des actions partagées à l’ensemble des acteurs de la CSTI (…). Il dresse un bilan annuel des actions en matière de CSTI (…). Il peut être saisi de toutes questions relevant de ce domaine (…) ».
Il comprend, outre son président, 22 membres :

  • huit représentants de l’Etat et de ses établissements publics (ministère de la Recherche, ministère de la Culture, ministère de l’Education, président d’Universcience, président du Muséum national d’histoire naturelle, administrateur général du Cnam, président du musée du Quai Branly, président de l’IHEST) ;
  • trois représentants de l’Association des régions de France ;
  • un député et un sénateur désignés par l’OPECST ;
  • deux représentants du monde associatif dont l’un représentant les centres de science et les musées et l’autre représentant les associations d’éducation populaire ;
  • sept personnalités qualifiées dont deux sur propositions de l’ARF, une sur proposition du CNRS et une sur proposition de la CPU.

La présidente, Mme Dominique Gillot, sénatrice, et les membres, ont été nommés par arrêté du 26 mars 2015.
Le conseil a été installé par M. Thierry Mandon, secrétaire d’Etat chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche qui a rappelé l’importance des enjeux concernant la CSTI.
Les membres du Conseil ont procédé à un premier échange de vues sur les activités de CSTI, sur les actions à conduire et sur l’articulation entre le niveau national et le niveau régional. La présidente a retenu quelques thèmes prioritaires de réflexion et de travail : l’après COP 21, les filles et la science, l’utilisation des technologies et notamment du numérique dans la médiation scientifique, les entreprises et l’innovation, l’appui de la recherche aux décisions publiques. Elle a également rappelé l’importance de la visibilité du débat public autour de ces questions.
Cette réunion a été suivie par la remise du prix "Le goût des sciences 2015", prix qui a pour objectif de valoriser le travail des chercheurs et des éditeurs, d’encourager les vocations scientifiques et d’affirmer l’importance de la culture scientifique au sein de la culture générale contemporaine.

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, ancienne présidente de l’Académie vétérinaire de France
 

Chaque année, nous découvrons de nouvelles maladies soit du fait d’une amélioration des techniques de détection, soit du fait de l’introduction d’un nouvel agent pathogène dans un pays jusque-là indemne. Cette possibilité d’introduction d’un nouvel agent pathogène est avant tout liée à l’accroissement des échanges commerciaux et des voyages. Par exemple, le commerce des pneus de rechapage a permis de transporter le moustique tigre du continent asiatique vers le continent américain ou vers l’Europe. Si l’on considère l’estimation de Jones et al. publiée dans Nature en 2008, sur les 335 maladies ayant émergé entre 1940 et 2004 dans le monde, la majorité de ces maladies concerne des zoonoses (60,3 %), dont 71,8 % ont pour origine la faune sauvage. On peut aussi remarquer dans cette évaluation que 54,3 % de ces maladies émergentes étaient causées par des bactéries ou des rickettsies et 22,8 % étaient d’origine vectorielle.

Tout d’abord, qu’avons-nous appris des deux crises majeures que nous avons connues ces deux dernières décennies ?
La première, l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), a montré que les lanceurs d’alerte n’étaient pas obligatoirement suivis lorsqu’ils annonçaient un risque potentiel de zoonose, qu’il s’agisse des consommateurs, des médias ou de l’administration. En revanche, les crises de 1996 et 2000 liées à l’ESB ont créé une telle psychose qu’il s’ensuivit un excès de mesures de précaution aboutissant à la ruine de nombreux tripiers et à de nombreux problèmes, notamment dans la filière dinde du fait de l’interdiction des farines animales dans leur alimentation.
La seconde, la « grippe aviaire » témoigne de la méconnaissance de la pathologie des volailles des spécialistes de l’OMS annonçant une future pandémie de grippe humaine due au virus de la peste aviaire H5N1 (de 2003 au 4 septembre 2015, il y a eu 844 malades, dont 449 morts). En effet, la peste aviaire n’était pas classée dans les zoonoses jusqu’en 1997 (lorsqu’il y eut 18 malades et 6 morts à Hong Kong attribués à cette infection virale). Finalement, la pandémie que nous avons eue fut celle due à un virus influenza plus classique de sous-type H1N1.

Les maladies émergentes et/ou résurgentes menaçant l’Homme sont nombreuses et nous ne pourrons citer que quelques exemples. Actuellement elles concerneront surtout les maladies à transmission vectorielle mais les risques émergents de zoonoses à partir d’un réservoir animal ne manquent pas, qu’il s’agisse de la faune sauvage, des animaux domestiques ou des nouveaux animaux de compagnie (NAC).

Concernant les maladies à transmission vectorielle, l’hypothèse d’une importation de fleurs exotiques dans la région de Maastricht, véritable carrefour aérien du commerce mondial des fleurs, pourrait expliquer l’apparition surprenante des virus exotiques de la fièvre catarrhale ovine (FCO) en 2006 ou du virus Schmallenberg en 2011.
L’Orbivirus de la FCO, appelée aussi « maladie de la langue bleue », a touché aussi des bovins lors de cette épidémie économiquement dramatique pour les éleveurs (la France, qui était indemne depuis 2010 grâce à une vaccination massive, vient d’être à nouveau touchée).
L’atteinte des bovins et des moutons par l’Orthobunyavirus de Schmallenberg s’est traduite par des baisses de production et des avortements (accompagnés d’un effet tératogène). Les fleurs expédiées dans la région de Maastricht devaient aussi être accompagnées de vecteurs porteurs de ces virus qui ont pu contaminer des ruminants, la présence de vecteurs autochtones dans les régions touchées ayant permis ensuite la pérennisation de la maladie.
D’autres exemples de maladies à transmission vectorielle sont toujours d’actualité, qu’il s’agisse des flavivirus (zoonotiques comme les virus du Nil occidental, Usutu ou de l’encéphalite japonaise, ou le virus Zika chez l’Homme, ou encore le virus Tembusu chez le canard) ou de certaines maladies bactériennes, en particulier la maladie de Lyme ou l’anaplasmose granulocytaire humaine.

Parfois, une autre cause d’émergence ou de résurgence peut être liée à la faune sauvage. Ce fut le cas très particulier des Henipavirus zoonotiques, virus Nipah et Hendra, qui ont émergé chez le porc et le cheval, transmis par des chauves-souris frugivores, mais aussi du syndrome respiratoire aigu sévère (SARS) dû à un coronavirus (peut-être associé à un métapneumovirus), une autre coronavirose (syndrome respiratoire du Moyen-Orient ou MERS), ayant été observée ensuite en Arabie Saoudite puis en République de Corée (le chameau semblant être le réservoir animal principal).
En France, les grandes prophylaxies réalisées par les vétérinaires ont permis l’élimination de deux zoonoses majeures, la tuberculose et la brucellose. Cependant l’infection du blaireau, des cervidés et des sangliers sauvages mettent en danger notre statut de pays indemne de tuberculose.
Par ailleurs, la découverte d’une contamination brucellique possible des élevages bovins du bassin du reblochon fermier au lait cru par des bouquetins infectés dans le massif du Bargy démontre les difficultés d’une prophylaxie pourtant nécessaire pour éliminer cette infection dans une population sauvage certes protégée mais non menacée d’extinction (de plus ces bouquetins avaient été réintroduits en 1974 dans le massif du Bargy).

La mode actuelle des fermes pédagogiques et des « petting zoos », où l’on favorise un contact étroit entre les enfants et des animaux domestiques, en particulier des petits ruminants, ne doit pas nous faire oublier certains risques, surtout connus chez les très jeunes enfants tels que les colibacilles entérotoxinogènes. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, il y a eu suffisamment de cas dramatiques de syndromes hémolytiques et urémiques (SHU) observés chez des enfants âgés de moins de 6 ans pour que l’on recommande la mise en place de mesures de biosécurité pour éviter un SHU, une cryptosporidiose ou toute autre zoonose.
D’autres épidémies peuvent être observées comme ce fut le cas de la fièvre Q observée en Hollande à partir de 2008 du fait de fermes caprines trop proches des zones urbaines (3 522 cas aigus sur 44 000 infections).
Enfin signalons le risque émergent de l’hépatite E du fait du réservoir domestique (porc, lapin) ou sauvage (cervidés).

De petits animaux de compagnie autres que le chien et le chat (nouveaux animaux de compagnie ou NAC) sont parfois considérés comme une solution alternative pour éviter un animal trop encombrant dans un appartement. Cependant, on peut s’étonner de la méconnaissance du risque, certes sporadique mais pouvant se révéler mortel, de certaines affections telles que les salmonelloses transmises principalement par les reptiles, de la streptobacillose (ou fièvre de la morsure du rat) et de la chorioméningite lymphocytaire transmise par la souris et le hamster doré.

Enfin de nouveaux virus ou de nouvelles bactéries peuvent nous menacer. Par exemple, devons-nous avoir peur des nouveaux virus géants découverts du fait du réchauffement climatique dans le permafrost sibérien ? Ou encore, l’emploi de nouvelles technologies telles que le Maldi-Tof (spectromètre de masse couplant une source d’ionisation laser assistée par une matrice et un analyseur par temps de vol) nous permettra peut-être de découvrir rapidement de nouvelles bactéries occasionnellement pathogènes, à la condition d’associer ces découvertes à une excellente expertise clinique. Enfin, la découverte depuis avril 2013 des premiers cas d’infections humaines en Chine provoqués un virus influenza aviaire faiblement pathogène pour les oiseaux H7N9 peut être inquiétante (677 cas confirmés, dont 275 décès au 4 septembre 2015) car seule l’interdiction des marchés de volailles vivantes s’est révélée efficace pour limiter les contaminations, mais le risque d’une nouvelle vague de contaminations n’est pas exclue.

En conclusion, certaines maladies ont disparu grâce aux progrès des méthodes de prévention (exemple de la variole humaine et de la peste bovine). Il n’en reste pas moins que les risques d’importation de nouvelles maladies zoonotiques ou non en Europe sont encore nombreux. Les vétérinaires du terrain seront souvent en première ligne mais cela implique qu’ils soient sensibilisés et formés au diagnostic de maladies inhabituelles dans la pratique courante.