Cancer, l’ennemi intérieur

Jacques Robert

(CNRS Editions, 2024, 352 p. 25€)

 
Cancer, l'ennemi intérieur (J. Robert, CNRS Ed., 2024On peut être étonné de lire dans cet ouvrage du Pr Jacques Robert, publié début 2024, une préface d’Axel Kahn, décédé en 2021, président notamment de la Ligue nationale contre le cancer sur ses dernières années, de 2019 à 2021. C’est dire le long travail qu’a nécessité cet ouvrage de synthèse, destiné à un lecteur pas spécifiquement médecin ni cancérologue, ni même aux patients, mais aux personnes désireuses d’élargir le champ de leur savoir. C’est bien le propos de l’AFAS, la promotion des sciences et techniques auprès d’un public curieux.

La couverture du livre, en belles couleurs bleu et vert, contraste avec le titre ; elle présente de plus une photo d’un glioblastome en microscopie confocale, tumeur cérébrale très agressive ! Le ton est donné : l’ennemi, le combat, la lutte, la lutte pour la vie, car il s’agit bien de cela dans les processus de développement des tumeurs malignes. Axel Kahn parle même dans sa préface d’insurrection cellulaire et de révolte des esclaves.
L’auteur utilise dans le titre et dans le livre le mot cancer au singulier, mais le propos concerne bien les cancers, ces diverses maladies avec des points communs et des spécificités ; il s’en explique dans son avant-propos.

L’ouvrage est articulé en cinq parties, que l’auteur nomme cinq définitions, on peut le comprendre ainsi : le niveau anatomique et physiologique, le niveau étiologique et épidémiologique, le niveau cellulaire et moléculaire, le niveau thérapeutique et le niveau social. Ces cinq parties font appel à des disciplines scientifiques différentes et requièrent des compétences plus ou moins grandes. Le propos est toujours clair, rigoureux, actuel, pas toujours simple, comme le dit l’auteur lui-même d’ailleurs. De nombreux exemples empruntés aux différents types de cancers permettent de comprendre les étapes entre tissu normal et tissu cancéreux, ou les quatre stades (échelle de I à IV) selon l’extension locale et générale… A la fin de l’ouvrage, des références établies pour chacune de ces parties proposent en dix pages, livres, webographie et commentaires.
En partie 1, on peut trouver une classification générale, simplifiée des tumeurs, présentant plus de vingt types de cancer, du carcinome épidermoïde à l’adénocarcinome, au mélanome, pour exemples de tumeurs d’origine épithéliale ; au lipocarcinome, au léiomyocarcinome ou au mésothéliome pour exemples de tumeurs d’origine mésenchymateuse.
Dans la partie 2, les causes sont abordées, sans abord moralisateur ; on sait aujourd hui que «40% des cancers sont évitables, i.e. attribuables à une cause environnementale, 10% à des facteurs endogènes et le reste à une mauvaise chance aléatoire». Un tableau donne une liste de quelques-uns des principaux composés et mélange cancérigènes identifiés de façon certaine ; ils relèvent d’une origine qualifiée de culturelle (exemples, tabac, alcool), professionnelle (exemple, amiante), alimentaire (exemple, aflatoxines), atmosphérique (exemple, oxydes d’azote ou de soufre) ou thérapeutique (exemple, œstrogènes).
Biologie moléculaire et génomique des cancers constituent le propos de la partie 3. S’il n’existe pas de cause unique ni de mécanisme universel expliquant l’oncogenèse, il y a un point de départ commun, l’instabilité génétique de la cellule initiale. Il s’agit de maladies des gènes des cellules somatiques, exceptionnellement germinales. Les mécanismes fondamentaux de l’oncogenèse sont abordés à partir de la description des travaux sur les virus à ADN initiés dès les années soixante sur les fibroblastes de poulet pouvant induire des sarcomes. Le terme d’oncogène est utilisé pour la première fois en 1969. Ces travaux ont été complétés par ceux de 1976 montrant que ces oncogènes viraux étaient d’origine cellulaire et existaient dans le génome animal ! Le cancer est bien «l’ennemi intérieur» comme le qualifie l’auteur. Les développements de la génomique ont permis des progrès spectaculaires comme, dès 2005, le recensement des mutations dans l’ADN tumoral de plusieurs cancers : sein, côlon, cerveau, pancréas. La conception actuelle des mécanismes de l’oncogenèse est discutée en fin de cette partie.
La partie 4 est certainement la partie la plus médicale car elle aborde les traitements, locaux et médicaux. L’accent est bien sûr mis sur le dépistage et sur la prévention. En traitements locaux, approche chirurgicale et approche radiothérapeutique sont expliquées : principes, exemples choisis, pistes innovantes (cœliochirurgie, cryothérapies… pour la chirurgie ou radiothérapie conformationnelle). En traitements médicaux, généraux, il est question de chimiothérapie classique ou ciblée et d’hormonothérapie, introduite dès les années soixante-dix pour les deux types de cancers hormonodépendants, sein et prostate. La découverte de l’imatinib dans le traitement de la leucémie myéloïde chronique a contribué au développement des thérapies ciblées.
Les aspects sociétaux font l’objet de la partie 5. La prévention primaire, pour éviter l’apparition d’un cancer, est présentée de façon simple, type de cancer par type de cancer, de même que leur dépistage. Les grands changements survenus en France après 2000, avec le lancement du premier «Plan cancer» en 2003, la création de l’Institut national du cancer (INCa) sont salués. Recherche, financement de celle-ci, formations scientifiques et médicales, carrières universitaires ou hospitalo-universitaires sont également abordés.

Livre riche, au contenu dense, peu illustré toutefois mais le propos se suffit à lui-même et reste accessible, étant écrit par un spécialiste talentueux quant à la diffusion de ses connaissances. Bravo pour cet exercice difficile : parler de phénomènes biologiques complexes dans un langage clair.
Un livre nécessaire et à recommander.