Eugenia Cheng
(Flammarion, 2016, 270 p. 19 €)
Comment cuire un 9 ? Que se cache-t-il derrière ce jeu de mots/chiffres subtil ? Le complément du titre, Et comprendre enfin les maths en 15 recettes de cuisine, a un côté inquiétant qui met le lecteur potentiel en haleine. On se précipite donc sur le premier chapitre intitulé « Qu’est-ce que les mathématiques ? ». On y trouve un mélange de la recette des brownies au chocolat sans gluten et des phrases du genre : « Un nœud, en effet, peut alors se considérer comme un cercle plongé dans l’espace tridimensionnel ». Ce mélange hétéroclite d’éléments simplistes et d’autres plus abstraits met l’eau à la bouche et on continue. Le deuxième chapitre commence par la recette de la sauce mayonnaise et, avec de nombreux exemples, montre ce qu’est l’abstraction. Avec un certain bagage mathématique, on commence à adhérer au mélange d’exemples triviaux et d’équations. On passe ensuite à la recette du pudding au chocolat, d’où l’on extrait, après moult méandres, la notion de principe, puis on rentre dans les processus avec la pâte feuilletée. La généralisation est abordée avec le cake aux prunes, une course en taxi et une notion de topologie, mélange de gâteau et de tores. Le pain perdu anglais permet de comprendre comment on peut avancer la recherche en mathématiques. L’axiomisation est ensuite présentée à partir de la recette des Pim’s, du gâteau au gingembre, et on rentre dans le dur avec quelques exemples qui mènent jusqu’à la notion de groupes. A partir de la crème anglaise, entre autres, on aborde la nature des mathématiques et c’est à ce stade un vrai plaisir de suivre les méandres de la pensée de notre mathématicienne primesautière.
Dans la seconde partie, l’auteur théorise davantage et on commence par les catégories, explicitées par l’utilisation des Legos. Le contexte utilise les lasagnes et nous promène dans les nombres complexes. Les relations démarrent au porridge, passent par le féminisme, le nombre d’Erdös et les arbres généalogiques, et nous font atteindre l’axiomatisation des catégories. A ce stade, il faut s’accrocher un peu pour suivre les associations d’idées parfois saugrenues, mais justes, dont l’auteur raffole. L’omelette norvégienne permet de digresser sur la notion de structures en s’aidant, entre autres, du gâteau de Battenberg. La similitude est invoquée à partir des cookies au chocolat et la fabrication de la crème. Les propriétés universelles sont explicitées par le crumble aux fruits, les aventures de Cendrillon, etc.
Le dernier chapitre intitulé « Ce qu’est la théorie des catégories » permet à l’auteur de philosopher sur les mathématiques. Je cite ces phrases qui m’ont bien plu : « Pourquoi pi est un nombre irrationnel ? Je ne connais aucune explication particulièrement convaincante de ce fait hormis ce vague sentiment que le cercle étant courbe et le diamètre droit, un rapport rationnel paraîtrait étrangement simple. »
La lecture du livre d’Eugenia Cheng est un vrai plaisir intellectuel et recadre bien les mathématiques dans la réalité. A lire donc par tous ceux qui aiment la cuisine et les mathématiques, et tous les autres !