Comment être élu à tous les coups ? Petit guide mathématique des modes de scrutin

Jean-Baptiste Aubin, Antoine Rolland

(EDP Sciences, 2022, 264 p. 22€)

 
Comment être élu à tous les coups (J.-B. Aubin, A. Rolland, EDP Sciences, 2022)Les mathématiciens devraient-ils être conviés aux débats des soirées électorales ? Ils auraient beaucoup à dire, semble-t-il. «A défaut d’être invités à la télévision», les statisticiens Jean-Baptiste Aubin et Antoine Rolland ont écrit ce petit livre dévoilant le monde étonnant des modes de scrutin.

«Pour décider, il faut un nombre impair de personnes, et trois c’est déjà trop». La boutade de Clemenceau évoque le «mode de scrutin» de loin le plus répandu dans l’histoire de l’humanité : l’absence totale de consultation du citoyen ! Pourtant, il y a 2500 ans, à Athènes, certains se disent que le meilleur moyen de garantir la paix sociale serait de faire accepter les règles par le plus grand nombre. Ainsi naît la démocratie. Le citoyen est convié à intervenir dans la vie de la cité : «Un homme ne se mêlant pas de politique mérite de passer, non pour un citoyen paisible, mais pour un citoyen inutile», juge Périclès. L’épisode démocratique grec ne dure qu’un siècle. S’ensuit une longue nuit sans vote ni élection jusqu’aux cités-Etats de Venise et Florence à la Renaissance, puis aux Révolutions américaine et française. Les premières réflexions théoriques sur les modes de scrutin émergent avec les savants français Borda (1770) et Condorcet (1785) dont les ouvrages sont encore des références. Ce livre en est un lointain descendant, enrichi par 250 ans d’expérience démocratique.

Quelles sont les propriétés souhaitables d’un mode de scrutin ? Les auteurs en recensent une dizaine. En particulier, celle dite du «vainqueur de Condorcet». On appelle ainsi le candidat qui gagnerait tous ses duels avec chacun de ses concurrents. On peut légitimement penser qu’un tel candidat, s’il existe, devrait être élu. A noter que, parfois, il n’existe pas, comme dans l’exemple suivant, appelé «paradoxe de Condorcet» : une majorité de votants préfère le candidat A au candidat B, mais aussi B à C, et C à A. Un ordre de préférence qui serait incohérent pour un individu, mais qui est possible et normal pour un groupe.

Les auteurs présentent une douzaine de modes de scrutin. Dans les scrutins majoritaires, l’électeur déclare le nom d’un candidat. Les députés britanniques, américains, canadiens sont ainsi élus sur un tour. Les députés français sont élus sur deux tours de même que les présidents de nombreux pays, dont la France.
L’électeur peut aussi déclarer non plus un nom, mais un classement, ou ordre de préférence de tous les candidats. C’est le cas de l’élection des députés australiens, choisis par éliminations successives automatisées. C’est aussi le cas du scrutin dit de Borda, qui régit entre autres l’élection annuelle du Ballon d’or de football, et de ses nombreuses variantes, dont l’une a été développée par Lewis Carroll.
Avec les scrutins «par évaluation», l’électeur attribue une note à chaque candidat. A Sparte, le candidat était choisi selon la force des cris de la foule ! L’élection des doges de Venise était basée sur des notes. Aujourd’hui, on élit ainsi le secrétaire général des Nations unies, le vainqueur d’une compétition de patinage artistique ou le meilleur restaurant sur Internet.

Les auteurs testent les modes de scrutin sur un même exemple concret, judicieusement choisi. Le résultat laisse le lecteur pantois. Chacun des cinq candidats gagne au moins une fois. «Choisissez votre mode de scrutin, et vous pouvez choisir votre vainqueur», plaisantent (à moitié) les auteurs.

Il n’y a pas de scrutin idéal. Les scrutins majoritaires engendrent des majorités nettes et favorisent les candidats clivants. Ils ne tiennent pas compte des ordres de préférence entre les candidats et donc n’élisent pas toujours le «vainqueur de Condorcet», tel Bayrou en 2007 : Sarkozy fut élu alors que les sondages indiquaient qu’une majorité lui préférait Bayrou. De la même façon, ni Jospin en 2002, ni Barre en 1988, tous deux «vainqueurs de Condorcet», ne furent élus.
Le scrutin de Borda favorise les candidats de compromis. Les variantes de Borda élisent toujours le «vainqueur de Condorcet» et auraient donc élu Barre, Jospin et Bayrou.
Avec le vote par évaluation, les élus sont consensuels ; on peut choisir plusieurs candidats («choisir sans renoncer») ou les refuser en partie ou en totalité. L’intérêt d’aller voter s’en trouve vivifié. C’est le mode favori des auteurs.

Un dernier chapitre est consacré aux élections d’assemblées, avec leurs multiples variantes : circonscriptions géographiques, proportionnelle simple ou double et panachages.

La lecture de cet ouvrage ne nécessite aucun bagage mathématique, juste un peu de concentration. Les explications sont limpides et s’appuient toujours sur des exemples. Le lecteur peut se faire une opinion éclairée sur le mode de scrutin qu’il souhaiterait voir s’établir. Comme l’écrit Etienne Ghys dans sa préface, « ce livre résolument élémentaire fera le plus grand bien à la démocratie».