Aurélien Barrau
(Dunod, 2016, 96 p. 11,90 €)
« De la vérité dans les sciences », quel vaste et passionnant sujet ! On pourrait l’exprimer sous la forme d’une question, « La vérité existe-t-elle ? ».
Et on pense à Louis Pasteur qui disait de la notion d’infini qu’elle était aussi incompréhensible qu’indispensable. Ne peut-on pas dire la même chose de la notion de vérité ?
D’ailleurs, en introduction, l’auteur, l’astrophysicien Aurélien Barrau, prévient : « Ce petit livre donne peu de réponses, il pose également peu de questions. Il entend seulement plonger le lecteur dans un certain « inconfort » propice à la réflexion ». Cet avertissement a valeur de résumé.
On ne se méfie jamais assez des certitudes. Ni du confort que les certitudes procurent.
Aurélien Barrau plaide, milite même, pour une certaine forme de relativisme, pour un relativisme éclairé pourrait-on dire. Il n’y a pas de science sans conviction, pas de science sans la conviction que certaines hypothèses sont plus vraies que d’autres. Toutes les hypothèses, toutes les opinions ne se valent pas, bien sûr ! Car si tout se vaut, rien ne vaut. Pour autant il n’y a pas non plus de science, et c’est là l’essentiel, sans le doute, sans la remise en question de ce qui pourtant semble vrai, de ce qui pourtant a toujours semblé vrai. D’où cet appel, d’où cet engagement même, pour une certaine forme et un certain degré de relativisme.
Astrophysicien s’interrogeant sur ce qu’il y avait avant le Big Bang (Big Bang et au-delà, Aurélien Barrau, Dunod), il mentionne qu’il est désormais convenu de s’interroger sur l’univers : est-il unique ou multiple ? est-il univers où « multivers » ? un au milieu d’une infinité d’autres ?
Philosophe, il s’interroge, à la suite du philosophe analytique américain Nelson Goodman, sur les différentes manières de faire des mondes, irréductibles les uns aux autres, au gré des différentes activités créatrices humaines, monde de la physique quantique, monde de la musique, monde des contes de fées, monde de la poésie, et bien d’autres. Univers multiples, mondes multiples, ces exemples montrent le degré d’inconfort, d' »intranquillité » auquel il convie son lecteur.
« Penser en scientifique, écrit-il, c’est d’abord accepter de se laisser surprendre, c’est vouloir penser au-delà de nos fantasmes et de nos croyances ».
Et sur la vérité : « Cherchons la Vérité. Naturellement ! Qui pourrait s’y opposer ? Mais est-il un concept plus équivoque que celui de vérité ? ». « Soyons sérieux avec la vérité : rien ne serait pire que de l’appeler, à la manière d’une prière, sans comprendre les difficultés et les subtilités qui lui sont associées. » Et aussi : « [La vérité] encadre, elle limite. Elle fixe la ligne de démarcation entre le possible et l’interdit non négociable […] Pourtant, et c’est là tout le paradoxe, elle constitue elle-même une part de la construction. Elle est à la fois frontière de l’édifice et partie de celui-ci ». « Plus qu’un devoir, la vérité est une méthode. La contrainte de vérité n’est pas optionnelle ».
La vérité dans la Grèce archaïque, rappelle-t-il, n’était pas opposée au mensonge mais à l’oubli. Il y a là une observation essentielle. Car lorsque la vérité est croyance, que la réfuter est donc impossible, il reste le danger de la négligence et de la tiédeur à son égard.
Le propos d’Aurélien Barrau va, comme on le voit, bien au-delà de la science. Il y est question à plusieurs reprises de la violence, violence de la vérité érigée en source de diktats, violence de la radicalité soit d’un scientisme naïf soit d’un obscurantisme nocif. Violence de l’exclusion lorsqu’on tente d’établir une frontière entre science et non-science. Toutes les guerres n’ont-elles pas été menées, ne sont-elles pas toutes menées, au nom de l’idée que chaque camp se fait de la vérité ?
En guise de conclusion, pour mettre une note finale à l’inconfort du lecteur, et lui donner envie d’en savoir plus en lisant ce livre passionnant, cette définition, citée par Aurélien Barrau, de la vérité par Nietzsche : « La vérité est une sorte d’erreur, faute de laquelle une certaine espèce d’êtres vivants ne pourraient vivre ».