Des vaches laitières touchées par le virus de la panzootie de peste aviaire aux Etats-Unis

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
 

 
Aux Etats-Unis, les premiers cas d’infection par le virus IAHP 5N1 ont concerné tout d’abord cinq chevreaux nouveau-nés le 19 mars 2024 (dans une ferme du Minnesota où un foyer de peste aviaire venait d’être déclaré le 27 février dans un élevage de basse-cour), puis plusieurs foyers ont été déclarés dès le 25 mars dans des élevages de vaches laitières. Ces premiers cas chez des vaches furent une surprise car on connaissait peu les infections par les virus influenza chez les bovins (où le virus influenza D ne fut découvert qu’il y a une dizaine d’années).

Origine du virus H5N1 clade 2.3.4.4.b prédominant dans la panzootie mondiale actuelle

L’ancêtre de ces panzooties aviaires observées depuis ces dernières années est principalement le virus IAHP H5N1 (Gs/Gd/1996), qui fut isolé en 1996 chez l’oie à Guangdong en Chine. A l’époque, la peste aviaire n’était pas encore classée dans les zoonoses. Elle ne le fut qu’en 1997 après le foyer de Hong Kong (dix-huit malades, six morts) provoqué par le virus de Guangdong. Le virus IAHP H5N1 clade 2.3.4.4.b a atteint l’Amérique du Nord en 2021. La panzootie est devenue majeure du fait de la perte de saisonnalité du virus, de la diversification des espèces sauvages atteintes (avec mortalité massive chez de nombreuses espèces d’oiseaux sauvages en été) et d’une augmentation du nombre de cas dans les élevages. C’est pourquoi en France, il a été décidé de vacciner les élevages de canards pour limiter la propagation du virus.

Contamination de plusieurs espèces de mammifères notamment aux Etats-Unis

Depuis janvier 2022, quarante-neuf espèces de onze familles différentes (terrestres et marines) ont été contaminées par le clade 2.3.4.4.b (élevages de visons, renards…, ou le plus souvent de prédateurs carnivores). Citons le cas particulier d’une importante mortalité des otaries en Argentine qui a permis de suspecter la possibilité d’une transmission intra-espèce. Cette augmentation apparente du nombre de mammifères atteints, favorisée par la panzootie aviaire, peut être aussi liée à une recherche accrue de l’infection virale dans ces espèces.

Cas particulier des chats
On connaissait la sensibilité des félins au virus IAHP H5N1. Le premier cas observé avec le clade 2.3.4.4.b a concerné un chat français en novembre 2022. Plus tard, en 2023, il s’est agi de quarante chats en Corée du Sud et d’une douzaine de cas en Pologne, qui seraient d’origine alimentaire. Les symptômes chez le chat sont caractérisés par une atteinte neurologique prédominante. Aux Etats-Unis, il y a eu vingt cas, dont quatre dans des fermes laitières.

Présence du virus dans le lait

Au 26 avril 2024, il y a eu trente-trois troupeaux laitiers atteints dans huit États. La première inquiétude fut de découvrir le virus dans le lait, avec une modification de son aspect (plus épais et plus jaune) et une baisse de production, ce qui a justifié d’une part, d’éliminer le lait des vaches infectées et la recommandation de ne pas consommer le lait cru, et d’autre part, une recherche sur le risque sanitaire pour le consommateur. La FDA (Food and Drug Administration) a publié les résultats confirmant que l’approvisionnement commercial en lait pasteurisé était sûr, même si la présence de fragments inactivés de virus a pu être détectée par PCR dans un échantillon de lait sur cinq. Pour les laits en poudre destinés aux nourrissons, tous les résultats ont été négatifs. Le risque d’une transmission par le lait lors de la traite d’une vache à l’autre a été aussi évoqué. Pour ces raisons, des mesures de biosécurité ont été prises : restriction des mouvements des vaches en lactation sur le territoire américain, obligation de tests…

Contamination humaine dans un élevage bovin

Le 1er avril 2024, le CDC d’Atlanta a annoncé un cas de conjonctivite chez une personne ayant pu être en contact avec des bovins infectés par le virus IAHP H5N1 au Texas (la conjonctivite est un symptôme bénin qui peut être observé dans les foyers de peste aviaire, comme ce fut le cas pour quatre-vingt-six éleveurs avicoles hollandais en 2003 avec un virus IAHP H7N7). Les formes graves de la maladie humaine due à ce virus n’ont été rencontrées que dans certains pays (principalement en Asie) dans des conditions particulières (contacts très étroits avec des volailles vivantes ayant permis au virus d’atteindre les cellules réceptives aux virus dans les alvéoles pulmonaires) sans transmission interhumaine ultérieure. Par précaution, les autorités américaines ont envisagé la protection des employés dans les exploitations de bovins laitiers.

Inquiétude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS)

Le 18 avril 2024, Jeremy Farrar, scientifique en chef de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a fait part de son «énorme inquiétude» concernant la propagation croissante du virus IAHP H5N1 de la peste aviaire lors d’une conférence de presse à Genève. Puis le 24 avril, l’OMS, bien qu’elle ait souligné que «malgré la découverte du virus dans du lait, les risques restent limités», a «appelé à une surveillance accrue de différentes espèces animales».

Quel sera le virus de la prochaine pandémie grippale ?

Comme l’a souligné Bruno Lina lors de la séance biacadémique «Influenza» du 12 octobre 2023 à l’Ecole nationale vétérinaire d’Alfort, le virus influenza présente une forte diversité et une capacité évolutive mais les mécanismes d’adaptation à un nouvel hôte sont multifactoriels et il est impossible de prévoir : «ces adaptations ne sont rendues possible que par des modifications très importantes sur le génome viral, soit dans sa composition (le réassortiment), soit dans ses spécificités d’hôte (les mutations), soit en combinant les deux». Selon un article récent non révisé de Hu et al. [1], ce clade 2.3.4.4.b ne possède pas les mutations critiques dans les gènes PB2 et PB1 qui améliorent la virulence ou l’adaptation aux mammifères».
Actuellement, le virus IAHP H5N1 clade 2.3.4.4.b demeure une catastrophe pour les espèces animales, qu’il s’agisse d’animaux domestiques ou sauvages (principalement les oiseaux), mais la composition du virus qui sera à l’origine de la future pandémie est impossible à prédire.
Rappelons-nous les alertes de 2005 pour ce virus H5N1 de la peste aviaire «candidat à la future pandémie grippale» alors que celle-ci a eu pour origine un virus H1N1 en 2009…

 

[1] Hu X et al. Highly Pathogenic Avian Influenza A (H5N1) clade 2.3.4.4b Virus detected in dairy cattle. bioRxiv 2024.04.16.588916 https://doi.org/10.1101/2024.04.16.588916