Alain Delacroix
Ancien professeur titulaire de la chaire « Chimie industrielle – Génie des procédés » du Conservatoire national des arts et métiers
Rudolf Christian Karl Diesel est né le 18 mars 1858, rue Notre-Dame de Nazareth à Paris. Son père Théodore, relieur, était né à Augsbourg et avait émigré en France. Le petit Rudolf a probablement eu sa vocation d’ingénieur en visitant le Musée des arts et métiers au Conservatoire national des arts et métiers, tout proche de la rue Notre-Dame de Nazareth.
Malheureusement, en raison de la guerre franco-prussienne de 1870, la famille Diesel doit quitter la France pour se réfugier à Londres. La même année, sa mère l’envoie à Augsbourg chez son oncle, qui est professeur de mathématiques. Très vite, Rudolf Diesel, qui veut devenir ingénieur, s’inscrit à l’école industrielle d’Augsbourg puis à la Königlich Bayerische Technische Hochschule München. Cette école, fondée en 1868, a un professeur célèbre, Carl von Linde, qui va fortement influencer la vie future de Rudolf. En effet, Linde, formé entre autres par le non moins célèbre thermodynamicien Rudolf Clausius à Zurich, est un pionnier des machines de réfrigération. Diesel va commencer à travailler avec lui et devient rapidement son directeur d’usine en 1881.
Diesel se marie en 1883 avec Martha Flasche et, en 1890, il part à Berlin avec sa femme et ses trois enfants pour gérer les sociétés de recherche et de développement de Linde. Pour devenir indépendant et échapper aux brevets de Linde, Diesel se lance alors dans la recherche d’un nouveau moteur car la machine à vapeur n’a pas un bon rendement thermodynamique et est très polluante (ce dernier point n’a pas dû être considéré à l’époque par Diesel !). Un de ses premiers moteurs à vapeur d’ammoniac explose et Diesel finit à l’hôpital et gardera quelques séquelles.
Dès 1887, Diesel publie un livre sur la construction d’un moteur thermique susceptible de remplacer avantageusement ceux du moment. Il imagine utiliser la propriété d’auto-inflammation des hydrocarbures lourds pour initier la déflagration dans le cylindre, ce qui permet d’employer des fiouls peu chers. Ce moteur puissant et performant, après avoir équipé les bateaux, va s’étendre aux locomotives, camions et automobiles, avec le succès que l’on sait.
Après une vie brillante, Diesel disparaît dans des conditions étranges juste avant la guerre de 1914. Le 29 septembre 1913, il est à bord du paquebot Dresden, en route pour l’Angleterre pour une réunion à Londres. Il quitte ses collaborateurs en fin de soirée et ceux-ci découvrent le lendemain matin sa cabine vide et son lit non défait. On découvre plus tard un corps en mer qui porte des objets identifiés par sa famille comme lui appartenant.
On dit qu’avant son voyage, Diesel aurait laissé à sa femme un sac qu’elle n’était censée ouvrir que la semaine suivante. A l’intérieur se trouvaient 200 000 marks et apparemment, tous ses comptes bancaires avaient été vidés. De plus le journal de Diesel retrouvé à bord du Dresden comportait une croix à la date du 29 septembre.
Deux hypothèses sont retenues concernant cette disparition étrange. La première est le suicide, qui pourrait s’expliquer par sa nature dépressive et des soucis dans ses affaires. La deuxième est un peu plus complotiste : l’empereur Guillaume II et ses sbires n’étaient pas très heureux, en 1913, de voir partir vers le futur ennemi un brillant ingénieur dont les moteurs seraient indispensables dans les sous-marins et les bateaux de la marine impériale.
Quant au moteur diesel, il a eu un très grand succès mais très curieusement, en quelques années, il est violemment vilipendé en raison des problèmes de pollution qu’il génère. Comme on l’a vu, ce moteur utilise l’auto-inflammation d’hydrocarbures lourds à haute température et pression et, comme on le sait en chimie industrielle, cela crée des particules de suie, inhérente à ce type de combustion, un défaut en partie corrigé par les filtres à particules. Comme il travaille dans des conditions plus difficiles, ce moteur est plus complexe et donc plus cher. Mais cela est compensé par son meilleur rendement thermodynamique et sa plus faible consommation, ce qui le rend 20% plus performant que son cousin à allumage commandé.
Ce moteur a été favorisé en France dès les années soixante en raison du développement de l’énergie nucléaire, qui n’utilisait plus de fiouls lourds pour produire de l’électricité. Ce type d’hydrocarbure peu cher pouvait ainsi être consommé par le transport routier. Les producteurs français d’automobiles ont donc produit des moteurs diesel de plus en plus performants.
Parallèlement, pour que les voitures à essence consomment moins, on a inventé l’injection directe, ce qui du coup leur fait produire des particules fines largement autant que le moteur diesel. La norme Euro 6b de 2015, qui concerne les deux types de moteurs, tolérait en effet 6×1011 particules au km pour le diesel, contre 6×1012 pour les véhicules à essence, soit dix fois plus. En 2017, le véhicule essence a été aligné sur le diesel. Les mêmes normes antipollution s’appliquent donc aux moteurs diesel et essence, mais comme on l’a vu, les moteurs diesel consomment 20% de moins de carburant, ils émettent donc 20% de moins de CO2 et sont donc beaucoup plus écologiques que leurs cousins à essence.
De plus, la recherche sur ces moteurs continue et de nouvelles solutions apparaissent. Par exemple le moteur à pistons opposés pourrait être 30% plus efficace et aurait un impact écologique total plus favorable que le véhicule électrique fonctionnant à partir d’une électricité non nucléaire.
Par ailleurs, on sait que l’abrasion des pneus, des freins et de la route produit au moins autant de particules fines que l’échappement des véhicules les plus récents, ce qui du coup rend le véhicule électrique un peu moins sympathique.
Pour faire une comparaison réelle des types de motorisation, il faudrait effectuer des analyses des cycles de vie qui prennent en compte le mode de transport, depuis l’extraction du minerai d’uranium ou du pétrole jusqu’à la gestion des déchets ultimes. Cela permettrait de limiter les avis trop péremptoires dont les médias nous abreuvent journellement. Par ailleurs une industrie lourde du type de l’automobile ne peut pas suivre en temps réel les soubresauts des modes, qui vont maintenant un peu trop vite. Bien que l’automobile ait été inventée à la fin du XIXe siècle, je me souviens avoir vu, à Paris, des camions hippomobiles qui y livraient encore de la bière dans les années cinquante.
En France actuellement, sur ce sujet comme sur bien d’autres, les croyances et les avis tranchés remplacent souvent les connaissances scientifiques… l’AFAS a donc encore de beaux jours devant elle !