Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
Depuis le premier bornavirus identifié (Mammalian 1 orthobornavirus ou BoDV-1), responsable depuis le XVIIe siècle de la maladie de Borna chez les chevaux et les moutons, dont la présence a été signalée pour la première fois en 2000 chez des chevaux français [1], d’autres bornavirus ont été décrits chez des oiseaux puis chez des écureuils exotiques non autorisés en France (variegated squirrel bornavirus 1 ou VSBV-1). Contrairement aux bornavirus aviaires, le BoDV-1 et le VSBV-1 pourraient être des agents zoonotiques.
Le risque zoonotique du BoDV-1 a été longtemps controversé mais les trois cas d’encéphalites mortelles observées chez des propriétaires d’écureuils exotiques entre 2011 et 2013 [2],ont confirmé un risque zoonotique avec cette famille de bornavirus [3].
Cette découverte d’un risque zoonotique lié au VSBV-1 a relancé la question du risque zoonotique du BoDV-1, surtout après trois cas d’encéphalites mortelles signalées en 2016 chez des personnes immunodéprimées après une greffe [4] et deux autres cas non transplantés [5, 6]. Sur 103 cas d’encéphalite d’étiologie inconnue constatés en Allemagne entre 2018 et 2020, quatre infections à bornavirus ont été détectées par sérologie [7]. Un cas chronique a été causé par le VSBV-1 après un contact professionnel d’une personne avec des écureuils exotiques, et trois cas aigus ont été causés par le BoDV-1 dans des zones où le virus est endémique. Les quatre patients sont décédés. La rareté des cas observés ne permettait pas de répondre à toutes les questions concernant l’épidémiologie de ces encéphalites humaines. A la même époque, la maladie de Borna a été aussi identifiée chez quatre chevaux de Haute-Autriche en 2015 et 2016 [8]. La distance maximale des écuries touchées était de 17 km. L’agent causal était également hébergé par la musaraigne bicolore à dents blanches (Crocidura leucodon), seul animal réservoir connu pour ce virus.
A partir de mars 2020, les infections à bornavirus humaines et animales ont été soumises à déclaration obligatoire en Allemagne (Infektionsschutzgesetz, IfSG et Verordnung über meldepflichtige Tierkrankheiten, TKrMeldpflV). Ces déclarations obligatoires et la sensibilisation accrue des vétérinaires et des médecins ont permis de détecter plus de cas d’encéphalites humaines ces dernières années, la maladie semblant toutefois rare. En Bavière, sur 56 cas mortels d’encéphalites humaines observés entre 1999 et 2019, huit cas étaient dus à un BoDV-1 dont deux immunodéprimés après transplantation d’organe, deux cas supplémentaires étant ensuite identifiés à Munich [9]. Dans une commune bavaroise d’environ 2000 habitants, deux cas pédiatriques d’encéphalite mortelle à BoDV-1 sont survenus en 2019 et en 2022 chez des enfants âgés de 11 ans et 6 ans respectivement, constituant le premier foyer connu pour cette virose [10]. Une importante enquête épidémiologique publiée en 2024 a permis de noter que la zone d’endémie connue du virus BoDV-1 était remarquablement restreinte à certaines parties de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Suisse et du Liechtenstein [11]. Cette enquête a permis de confirmer l’infection virale RT-qPCR chez 207 animaux domestiques, 28 humains et 7 musaraignes bicolores à dents blanches (Crocidura leucodon). La principale question que l’on peut poser est celle de la répartition géographique des cas d’encéphalites humaines répertoriés et de celle de son réservoir animal. En raison de la faible mobilité de ce réservoir, les séquences des virus BoDV-1 ont montré une association géographique remarquable, avec des clades phylogénétiques individuels occupant des zones distinctes avec des distances inférieures à 40 km. La recherche du BoDV-1 chez les musaraignes, seuls hôtes réservoirs connus, permet d’apporter des informations plus précises sur sa présence endémique. Ce rongeur est présent dans une grande partie de l’Europe (dont les zones urbaines, comme les jardins). Le territoire français (sauf le sud) héberge aussi ce réservoir.
Une revue du Lancet Infectious Diseases publiée en janvier 2025 met en évidence le manque de connaissances concernant le transport cellulaire, les voies d’entrée et les mécanismes de propagation du BoDV-1, en particulier chez l’Homme, chez qui la recherche est nettement moins avancée que chez l’animal. Bien que des hypothèses concernant la principale voie d’entrée par le tractus olfactif aient été émises, d’autres voies (par exemple, la voie gustative) méritent d’être prises en considération en raison des connexions anatomiques qui pourraient faciliter l’entrée du virus. Les voies de transmission par les musaraignes ne sont pas encore élucidées (transmissions intranasales, horizontales et verticales ? excrétion par l’urine, les fèces… ?, voie d’entrée olfactive ?…). Les animaux sensibles (principalement les chevaux, les moutons, les alpagas, les bovins, les moutons…) sont des culs de sac épidémiologiques.
Si on connaît l’infection du chat par le BoDV-1 [12], il est possible que l’on ait pu confondre la maladie de Borna avec la staggering disease (car les chats titubent), encéphalomyélite des chats domestiques européens, dont on a montré récemment qu’elle était due au virus Rustrela (RusV) [13]. Cependant un chat infecté pourrait potentiellement servir de vecteur passif du bornavirus entre les musaraignes et l’Homme.
En conclusion, ces enquêtes récentes sur les cas d’encéphalites humaines dues au BoDV-1 semblent démontrer la rareté de la maladie, même dans les régions où la maladie animale est endémique et à déclaration obligatoire. Cependant la présence du réservoir sauvage de ce virus dans une grande partie du territoire français ainsi que la présence connue depuis 2000 du bornavirus en France, notamment chez les chevaux, justifie de prendre en compte cette affection virale dans le diagnostic différentiel des encéphalites humaines.
[1] Brugère-Picoux J, Bode L, Del Sole A, Ludwig H. Identification du virus de la maladie de Borna en France. BAVF. 2000;153(4):411‑20.
[2] Hoffmann B, Tappe D, Höper D, Herden C, Boldt A, Mawrin C, et al. A Variegated Squirrel Bornavirus Associated with Fatal Human Encephalitis. N Engl J Med. 9 juill 2015;373(2):154‑62.
[3] Tappe D, Schlottau K, Cadar D, Hoffmann B, Balke L, Bewig B, et al. Occupation-Associated Fatal Limbic Encephalitis Caused by Variegated Squirrel Bornavirus 1, Germany, 2013. Emerg Infect Dis. juin 2018;24(6):978‑87.
[4] Schlottau K, Forth L, Angstwurm K, Höper D, Zecher D, Liesche F, et al. Fatal Encephalitic Borna Disease Virus 1 in Solid-Organ Transplant Recipients. N Engl J Med. 4 oct 2018;379(14):1377‑9.
[5] Korn K, Coras R, Bobinger T, Herzog SM, Lücking H, Stöhr R, et al. Fatal Encephalitis Associated with Borna Disease Virus 1. N Engl J Med. 4 oct 2018;379(14):1375‑7.
[6] Coras R, Korn K, Kuerten S, Huttner HB, Ensser A. Severe bornavirus-encephalitis presenting as Guillain–Barré-syndrome. Acta Neuropathol. juin 2019;137(6):1017‑9.
[7] Eisermann P, Rubbenstroth D, Cadar D, Thomé-Bolduan C, Eggert P, Schlaphof A, et al. Active Case Finding of Current Bornavirus Infections in Human Encephalitis Cases of Unknown Etiology, Germany, 2018-2020. Emerg Infect Dis. mai 2021;27(5):1371‑9.
[8] Weissenböck H, Bagó Z, Kolodziejek J, Hager B, Palmetzhofer G, Dürrwald R, et al. Infections of horses and shrews with Bornaviruses in Upper Austria: a novel endemic area of Borna disease. Emerg Microbes Infect. 21 juin 2017;6(6):e52.
[9] Niller HH, Angstwurm K, Rubbenstroth D, Schlottau K, Ebinger A, Giese S, et al. Zoonotic spillover infections with Borna disease virus 1 leading to fatal human encephalitis, 1999–2019: an epidemiological investigation. The Lancet Infectious Diseases. avr 2020;20(4):467‑77.
[10] Grosse L, Lieftüchter V, Vollmuth Y, Hoffmann F, Olivieri M, Reiter K, et al. First detected geographical cluster of BoDV-1 encephalitis from same small village in two children: therapeutic considerations and epidemiological implications. Infection [Internet]. 23 févr 2023 [cité 28 févr 2023]; Disponible sur: https://doi.org/10.1007/s15010-023-01998-w
[11] Ebinger A, Santos PD, Pfaff F, Dürrwald R, Kolodziejek J, Schlottau K, et al. Lethal Borna disease virus 1 infections of humans and animals – in-depth molecular epidemiology and phylogeography. Nat Commun. 10 sept 2024;15(1):7908.
[12] Lutz H, Addie DD, Boucraut-Baralon C, Egberink H, Frymus T, Gruffydd-Jones T, et al. Borna disease virus infection in cats: ABCD guidelines on prevention and management. Journal of Feline Medicine and Surgery. juill 2015;17(7):614‑6.
[13] Matiasek K, Pfaff F, Weissenböck H, Wylezich C, Kolodziejek J, Tengstrand S, et al. Mystery of fatal ‘staggering disease’ unravelled: novel rustrela virus causes severe meningoencephalomyelitis in domestic cats. Nat Commun. 4 févr 2023;14(1):624.