Mario Livio
(CNRS Editions, 2017, 344 p. 23 €)
« La science est infaillible ; mais les savants se trompent toujours » faisait dire Anatole France à un de ses personnages, Sembobitis. Mais, ajoute-t-il, « Savant et vieux, il n’aimait pas les nouveautés. ».
L’ouvrage de Mario Livio (traduit et préfacé par Jean Audouze) est de nature à conforter ces aphorismes. Le propos affiché de l’auteur « est de présenter de façon détaillée quelques-unes des erreurs surprenantes commises par des scientifiques de premier rang et d’en analyser les conséquences inattendues ». On comprend sa préoccupation, mais on peut cependant faire la remarque que les erreurs sont consubstantielles au progrès de la science puisqu’on peut toujours déclarer que l’étape précédente de la connaissance était une erreur par rapport à l’état actuel.
Son texte sous amène à suivre quelques épisodes de l’histoire des sciences dans ses contradictions et ses tâtonnements. Parmi ces tâtonnements, il y a des traits de génie et Mario Livio les met bien en évidence à propos des différents savants qu’il examine. Chacun concrétise une grande idée.
Il y a d’abord Darwin (1809-1882), qui a jeté une lumière sur le mystère de l’adaptation des organismes à leur milieu. Adaptation qui a été prise comme la preuve d’un plan préconçu, un « grand dessein ». Darwin a montré que cette adaptation pouvait s’expliquer par une sélection naturelle des espèces, à condition d’admettre qu’elles évoluaient, et que le temps, pour ce faire, ne leur était pas compté. Cette idée est vraiment révolutionnaire et il faut se faire intellectuellement violence pour se rendre à ses raisons et pour admettre qu’à partir d’un ancêtre qui pourrait être quelque chose comme une éponge, nous en sommes arrivés là. D’ailleurs beaucoup encore ne se sont pas rendus à cette idée, et même parmi ses partisans, on lit souvent des phrases du style « cette espèce s’est adaptée… », comme si elle l’avait fait volontairement et non du fait qu’elle ait été naturellement sélectionnée, ses caractéristiques lui donnant le plus de chances de survie dans son milieu d’existence.
Mais alors quelle erreur a pu commettre Darwin ? Selon Livio, ce serait d’avoir utilisé l’idée que l’hérédité pouvait se faire par un mélange des caractères, comme on mélange des peintures de couleurs différentes. Au bout d’un certain temps, la peinture minoritaire se dissout et sa couleur disparaît pratiquement. Pour qu’un caractère nouveau se transmette, il faut qu’il le fasse en tant que particule, mécanisme que nous a révélé l’hérédité mendélienne, sous les formes successives des gènes et de l’ADN. Mais, nous assure Livio, Darwin n’avait pas lu Mendel.
Le second savant, mentionné cette fois à propos de l’âge de la Terre, est William Thomson, plus connu sous le nom de Lord Kelvin (1824-1907). Bien évidemment, cet âge est en rapport avec l’évolution de la vie. Il lui faut du temps pour se dérouler, certainement plus que les quelque 6000 ans qu’une lecture textuelle de la Bible lui donne. D’où des polémiques où les préoccupations scientifiques n’étaient pas seules en cause. Mais comment aborder le problème ? La géologie proposait des arguments comme, et surtout, la durée nécessaire pour accumuler les sédiments que l’on avait pu recenser dans le monde entier : au minimum des millions d’années. Mais la physique se devait d’apporter davantage de précision et c’est ce qu’elle a fait. Les idées de Kelvin sur l’évolution n’étaient pas du tout en faveur de celles de Darwin. En se basant sur un refroidissement naturel de notre planète, supposée fondue à son origine, il avait fini par estimer son âge entre 20 et 40 millions d’années, trop court pour donner du champ à une évolution des espèces. La découverte de la radioactivité par Henry Becquerel en 1896 avait cependant permis de fournir une énergie calorifique à la Terre prolongeant les évaluations de son âge mais Kelvin, ayant fixé l’âge du Soleil à 20 millions d’années, ne pouvait approuver ces prolongations.
C’était une erreur, mais Kelvin pouvait-il savoir que, là aussi, non ses calculs, mais ses prémisses étaient inexactes et que le Soleil devait son éclat à la fusion nucléaire ?
Le troisième savant sur lequel Livio s’est penché est Pauling (1901-1994), qui partage avec Marie Curie l’honneur d’avoir été deux fois récipiendaire du prix Nobel à titre personnel. Pauling a été celui qui a expliqué la nature des liaisons chimiques et a révélé la structure des molécules de protéines. Mais, soulignant sa brillante carrière, Livio retient cependant qu’il a fauté en interprétant la molécule d’ADN comme formée par trois brins, et non deux, comme l’ont démontré, à peu près en même temps, Watson et Crick. Ce n’était évidemment pas de chance.
Le quatrième savant, c’est Fred Hoyle (1915-2001), personnalité originale et controversée. Bien qu’auteur du terme big-bang pour désigner l’idée d’un univers en expansion, il n’en était pas partisan, imaginant un univers stationnaire. Dans ces conditions, et compte tenu d’un âge de l’Univers tiré de la valeur de la constante de Hubble, il ne pensait pas que des molécules complexes, notamment vivantes, aient pu se former. On retrouve ici le « dessein intelligent », la probabilité de la création aléatoire d’une cellule vivante étant pour lui du même ordre que celle « qu’une tornade s’abattant sur un dépôt de ferraille puisse assembler un Boeing 707 à partir des matériaux qui s’y trouvent ». L’argument est polémique, certainement pas scientifique…
Le cinquième savant retenu par Livio est Albert Einstein (1879-1955). Beaucoup de ses géniales découvertes sont connues du public, si elles ne sont pas toujours comprises : la relativité restreinte et la relativité générale, l’espace-temps, l’équivalence de la masse et de l’énergie, popularisée par la formule W=mc2. Livio nous entraîne dans une longue discussion sur la constante cosmologique introduite par Einstein, puis retirée comme inutile, puis réintroduite. Ces palinodies nous montrent combien il est difficile d’avoir une image de l’Univers, image que complique la présence de la matière noire et de l’énergie noire et, encore, l’hypothèse de l’existence de plusieurs univers, un « multivers » où la vie aurait pu apparaître ailleurs que sur Terre.
Cette fois-ci, quelle est la grande erreur d’Einstein ? La seule qu’il confesse n’est pas d’ordre scientifique : elle est d’avoir en 1939 écrit au président Roosevelt de mettre en œuvre la construction d’une bombe atomique.
Par son ouvrage, qui mérite d’être lu par tous, Livio nous donne accès à des épisodes cruciaux de l’histoire des sciences, ses renseignements étant particulièrement précieux pour ceux qu’il a eu personnellement à connaître.