Alain Delacroix
Professeur honoraire, chaire « Chimie industrielle – Génie des procédés » du Conservatoire national des arts et métiers
Face au 103 du boulevard Saint-Michel se trouve la Fontaine de la guérison, érigée à la gloire de Pierre Joseph Pelletier et Joseph Bienaimé Caventou. Sur le dessus figure une femme nue allongée, du sculpteur Pierre-Marie Poisson, qui remplace les statues d’Edouard Lormier fondues en 1942.
Ce sont ces deux chimistes pharmaciens qui ont isolé la quinine, célèbre médicament contre le paludisme, à partir de l’écorce de certains quinquinas. Leurs travaux ont été communiqués à l’Académie de médecine il y a deux cents ans, les 11 septembre et 16 octobre 1820.
Joseph Pelletier est le descendant de chimistes et de pharmaciens. Son père, Bertrand Pelletier, né à Bayonne en 1761, est décédé jeune à Paris en 1797. C’est un savant reconnu qui est nommé membre de l’Académie des Sciences en 1792. Il achète, en 1784, une pharmacie parisienne créée en 1750 par le célèbre Rouelle. Cette pharmacie, du temps de Pelletier, se trouvait à l’actuel 45 rue Jacob (qui était numéroté 43 avant un décret de 1847). Elle a ensuite déménagé en face, au numéro 48, et elle existe toujours. Cette pharmacie sera reprise par madame veuve Pelletier en 1797. C’est là que naît Joseph Pelletier le 22 mars 1788.
Joseph Pelletier obtient en 1810 son diplôme de l’Ecole de pharmacie et reprend la pharmacie de ses parents. Docteur en sciences en 1812, il est nommé, dès 1815, professeur adjoint à l’Ecole de pharmacie.
En 1817, il décrit l’émétine à partir de la racine d’ipéca. Peu après, il fait la connaissance de Joseph Caventou et, ensemble, ils vont extraire, en 1818, la strychnine (à partir de la noix vomique), en 1819, la brucine et la vératrine (à partir du même végétal), en 1820, la cinchonine et la quinine (à partir d’écorce de quinquina) et, en 1821, la caféine. Toujours avec Caventou, il va créer une usine pour produire la quinine afin de traiter le paludisme et ils publient leur procédé.
A la suite de ces travaux reconnus, Pelletier est nommé membre du Conseil de la salubrité de Paris de 1821 à 1849. Il devient professeur à l’Ecole de pharmacie en 1825, puis son directeur adjoint en 1832. En 1827, il est président de la Société de pharmacie et devient membre de l’Académie de médecine lors de sa fondation en 1820. Enfin, il est promu officier de la Légion d’honneur en 1828.
Joseph Pelletier décède le 19 juillet 1842 et est inhumé au cimetière du Montparnasse à Paris.
Joseph Bienaimé Caventou est né en 1795. Son père est pharmacien aux Armées de la République et détaché à l’hôpital militaire. C’est là que Joseph Caventou commence ses études de pharmacie et, de mai à septembre 1815, il est appointé comme pharmacien. En 1816, il entre à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, où il dispose d’un laboratoire de recherche. A la fin de son internat, il publie avec son chef de service la traduction d’un livre en allemand et, à seulement 21 ans, une nouvelle nomenclature chimique d’après la classification de Thénard.
Joseph Caventou fait alors la connaissance de Pelletier, son aîné de sept ans, avec qui il va faire les nombreuses recherches vues plus haut. Ces travaux le font nommer, en 1821, dans la section de pharmacie de l’Académie royale de médecine que Louis XVIII vient de créer à la demande du baron Portal.
Comme Pelletier, Caventou va posséder une pharmacie. Celle-ci sera située rue Gaillon à Paris.
Le 18 juillet 1830, un décret de Charles X le nomme professeur adjoint à l’Ecole de pharmacie. Le 7 janvier 1834, une ordonnance royale de Louis-Philippe crée deux cours à l’Ecole de pharmacie, dont un en toxicologie. Caventou devient titulaire de ce cours de 1834 à 1859. La mort prématurée de Pelletier va le marquer profondément et sa production scientifique diminue dès 1842.
L’activité de Caventou concernant la toxicologie s’est manifestée lors d’un procès retentissant : le 19 septembre 1840, Marie Capelle, veuve Lafarge, est reconnue coupable (avec circonstances atténuantes !) d’avoir empoisonné son mari à l’arsenic et est condamnée, à Tulle, aux travaux forcés à perpétuité. C’est grandement en raison des conclusions du célèbre Orfila, auteur du Traité des poisons, que la veuve est condamnée, alors que Raspail les conteste. Suite à cette querelle d’experts, les Académies des sciences et de médecine vont nommer une commission dont Caventou est le rapporteur. Son rapport intitulé Les moyens de constater la présence d’arsenic dans les empoisonnements par ce toxique ne permettra pas de calmer les débats. Il est curieux de constater qu’un cas voisin s’est produit une centaine d’années plus tard avec «la bonne dame de Loudun», où, sur le même sujet, la même querelle d’experts a fait rage.
Joseph Caventou demande sa mise à la retraite à 64 ans, ce qui est tôt pour l’époque, et il est nommé professeur honoraire par décret impérial du 2 décembre 1859. Il partage alors sa vie entre l’Ecole, sa maison de campagne de Saint-Mandé, sa maison de famille à Saint-Omer et son «chalet» de Saint-Valery-sur-Somme. Il décède à Paris le 5 mai 1877 et est inhumé à Saint-Mandé.
Pelletier et Caventou, en tant que pharmaciens, vont se lancer très tôt après leur découverte dans la fabrication industrielle de la quinine. En 1826, ils produisent 1800 kg de sulfate de quinine à partir de 138 tonnes d’écorces de quinquina. Toutefois, en rendant public leur procédé – ce qui est généreux –, ils vont participer à la fortune de l’industrie pharmaceutique allemande et américaine. Cela rappelle un peu le don des brevet français à la communauté internationale par les révolutionnaires français, qui fera les beaux jours de l’industrie chimique anglaise grâce au procédé Leblanc !
L’isolement de la molécule de quinine constitue un grand progrès dans le traitement du paludisme, qui fait, aujourd’hui toujours, 400 000 morts par an. Avant la découverte de Pelletier et Caventou, on broyait les écorces de quinquina et la dose de quinine donnée au malade était très variable en fonction de la qualité du quinquina. Il était alors impossible de relier la dose à l’effet et on pouvait être soit inefficace, soit dépasser la dose toxique. A partir de 1820, on a pu alors prescrire le médicament à sa dose optimale. Toutefois, la toxicité de la quinine a induit de nombreuses recherches afin de trouver d’autres molécules présentant moins de risques. C’est ainsi qu’on a mis sur le marché les célèbres chloroquine et hydroxychloroquine.