Sous la direction de Corine Defrance et Anne Kwaschik
(CNRS Ed., 2016, 156 p. 29 €)
Cet ouvrage est la suite du colloque « Science, internationalisation et guerre froide. Bilan et perspectives de recherche », organisé à l’université de Berlin en juin 2012 en partenariat avec le Comité d’histoire du CNRS.
Il s’agit d’une série de neuf textes coordonnés par deux historiennes, l’une du CNRS (C. Defrance) et l’autre de l’université de Berlin (A. Kwaschik). Tous les auteurs sont eux-mêmes historiens de différents horizons, aussi bien nationaux que thématiques.
Cette socio-histoire de la guerre froide et de son retentissement sur la gestion de la science se découpe en quatre parties :
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- La première traite de « Collaboration internationale et stratégies nationales ». Elle commence d’emblée par l’impact du passé de la guerre (crimes nazis et comportement de certains savants allemands) sur la reprise difficile des collaborations scientifiques franco-allemandes. Puis il est question de la mise en place de nombreuses institutions scientifiques internationales au cours de l’affrontement bipolaire de la guerre froide.
- La deuxième sur « Institutions nationales et les pratiques scientifiques internationales » décrit les efforts de F. Braudel pour développer après 1945 des recherches collectives et interdisciplinaires en sciences sociales. L’objectif de ces études sur les aires culturelles (areas studies) vise une connaissance globale du monde et par contrecoup, le maintien de la paix. La renommée de F. Braudel permet de garantir l’autonomie de la France dans cette organisation qui englobe le Centre européen et la Fondation Rockefeller des Etats-Unis. Ces programmes amènent à la découverte de « l’American way of life » qui animera la vie intellectuelle et sociale française en 1950-60. Dans cette partie se trouve également un texte sur le CNRS, qui doit se positionner entre la recherche américaine, et son aide financière, et l’activité scientifique impressionnante des Russes (Spoutnik en 1957). Cependant, toutes les relations d’échanges avec l’URSS vont être stoppées après le printemps de Prague. Vont alors se mettre en place davantage de collaborations avec les Etats-Unis et l’OTAN pour traiter les défis de la société moderne.
- La troisième partie « La science entre les blocs : coopération ou rivalité ? » traite des enjeux scientifiques, à distinguer des enjeux politiques tout en tenant compte des méfiances existant de part et d’autre. Les échanges entre scientifiques contribuent plutôt à la circulation des savoirs qu’à une réelle internationalisation de la science. Dans cette partie est également présenté le cas particulier des manuels scolaires et de leurs révisions internationales. Se basant sur ceux de l’histoire, il est admis que l’analyse des différents points de vue européens et mondiaux sur un événement doivent être reconnus tout en conservant la légitimité de l’histoire nationale. Apparaît alors l’incompatibilité entre ce principe révisionnel de l’Ouest et l’historiographie de l’Est.
- En quatrième partie, « Construction d’une Europe de la science », est analysée la construction de l’Europe de la science et de sa politique de coopération. La guerre froide 1945-1989 se termine par la chute du mur. Pendant cette période, l’hégémonie économique des Etats-Unis prédomine en même temps que progresse l’émergence d’une communauté européenne. Le but stratégique de la Recherche en Europe est de répondre à des impératifs de croissance économique. Les Etats-Unis, hyperpuissance scientifique et technologique, coopèrent avec l’Europe et privilégient un challenge technologique. La relation franco-allemande devient un partenariat privilégié, surtout après 1980. Mais toujours dans un certain contexte d’antagonisme et de rivalité.
En conclusion, nous avons ici l’analyse de différents aspects de la construction européenne de la science. Cette construction, influencée directement par les Etats-Unis en réponse à la guerre froide, amène à des programmes de recherche de type finalisé débouchant sur une nouvelle technoscience. D’où des interrogations sur le danger d’un travail scientifique trop lié à l’industrie et au politique et sur le développement d’une innovation forcenée oblitérant l’accroissement des connaissances pour un meilleur mode d’existence humaine.
Au total, nous nous trouvons avec des analyses pertinentes et richement documentées sur cette histoire récente de l’évolution de la recherche. Les enjeux économiques et politiques certes particuliers de l’époque sont éclairants en ce qui concerne la compréhension de notre présente actualité.