Vincent Boudon, Arnaud Cuisset, Cyril Richard, Maud Rotger
(Ellipses, 2024, 240 p. 42€)
«S’émerveiller devant un bel arc-en-ciel après la pluie, c’est bien. Ne pas simplement passer son chemin mais s’interroger sur sa nature, … c’est encore beaucoup mieux». Bel argument des quatre auteurs de ce livre pour nous introduire à leur discipline scientifique, la spectroscopie, et nous dévoiler l’extraordinaire richesse des informations véhiculées par la lumière.
Le voyage commence donc avec l’arc-en-ciel. En décomposant la lumière du Soleil avec un prisme de verre, Newton explique, par les lois de l’optique, le spectre continu de couleurs (dont il fixe arbitrairement le nombre à sept, pour des raisons religieuses !). L’arc-en-ciel est généré par les gouttes de pluie agissant comme de multiples petits prismes.
Peu après, Thomas Melvill, le «Newton écossais», étudie le spectre de la lumière d’une lampe brûlant de l’alcool et des sels. Il découvre avec surprise une mystérieuse raie jaune vif très brillante. C’est l’acte de naissance de la spectroscopie et de la longue quête des raies spectrales, qui va se poursuivre durant deux siècles. Une raie colorée marque la présence d’un élément chimique précis dans la source lumineuse, tel le jaune pour le sodium. Une raie sombre identifie un élément situé entre la source et l’écran, par exemple un gaz. Au début du XXe siècle, un catalogue recense des dizaines de milliers de raies spectrales, qui sont autant de signatures de dizaines d’éléments, atomes ou molécules. Des formules empiriques prédisent partiellement leurs positions (à noter : ce sont les premières formules physiques incluant des nombres entiers !).
L’explication du mystère des raies viendra de la mécanique quantique, que les auteurs exposent brièvement. Planck pose, en 1900, l’hypothèse audacieuse du quantum d’énergie (sans y croire !). Einstein invente le concept du photon de lumière. Bohr établit un modèle d’atome : chaque électron gravite sur une orbite à un niveau d’énergie fixé ; il peut «sauter» sur une autre orbite, en émettant ou absorbant un photon d’une énergie équivalente, selon qu’il se rapproche ou s’éloigne du noyau. Ce modèle explique bien la présence de raies. Mais pourquoi ces orbites et pas d’autres ? Heisenberg introduit la nature probabiliste du phénomène et Schrödinger en écrit l’équation (1926), laquelle permet dès lors d’expliquer, calculer et prédire la position des raies. Calculs complexes, qui ne se développeront qu’avec l’informatique.
La spectroscopie étudie la répartition de l’énergie lumineuse en fonction de la longueur d’onde, non seulement pour la lumière visible, mais pour l’ensemble du spectre électromagnétique : ondes radio, micro-ondes, infrarouges, lumière visible, ultraviolets, rayons X, rayons ϒ, autant d’angles différents pour «voir» le monde. D’où la floraison de techniques de spectromètres et de programmes de mesure, terrestres ou spatiaux, que les auteurs passent en revue.
Le voyage se termine avec le bilan d’une technique devenue incontournable par sa capacité extraordinaire à détecter les éléments chimiques à distance.
En 1835, Auguste Comte, le père du positivisme, annonçait que jamais nous ne pourrions connaître la composition des étoiles. La spectroscopie le contredira avec éclat, en identifiant atomes et molécules jusqu’aux confins de l’Univers. Un cortège de prouesses que les auteurs déroulent en détail. Exemples : 258 molécules ont été détectées. L’hélium a été découvert dans l’espace avant de l’être sur Terre. Le fullerène, cette molécule singulière de 60 atomes de carbone, de la forme d’un ballon de football (icosaèdre tronqué), a été détecté à l’état naturel dans l’espace en 2010, après avoir été «inventé» et synthétisé sur Terre. On a décelé la glycine, un acide aminé, dans une comète : une piste sérieuse pour expliquer la vie sur Terre. On détecte les trous noirs par les rayons X, et des effondrements d’étoiles par les rayons ϒ. Plus près de nous, la spectroscopie est partout, depuis la mesure des gaz à effet de serre et de la couche d’ozone, jusqu’à la surveillance de l’état de fraicheur de barquettes de saumon, en passant par la détection d’explosifs, l’étude du «sfumato» de Léonard de Vinci ou l’analyse de l’air exhalé par un patient.
La lecture de ce livre est passionnante et très instructive, la spectroscopie ayant été très peu vulgarisée. Le texte est simple, sans équation. Il est enrichi par 200 figures, photos, tableaux, schémas, qui sont véritablement exceptionnels par leurs qualités graphiques et pédagogiques.
D’une façon générale, les auteurs ont été très généreux en informations techniques détaillées, ce qui ravira les lecteurs les plus motivés. Les autres pourront élaguer un peu, chaque chapitre pouvant se lire de façon indépendante.
Le livre s’adresse à tout curieux désireux «de ne pas simplement passer son chemin» devant un bel arc-en-ciel.