Marie-Christine de La Souchère
(Ellipses, 2022, 192 p. 22€)
La radioactivité n’a pas bonne réputation. Invisible et mystérieuse, elle évoque des images sombres de maladie et de destruction. Marie-Christine de La Souchère entend démystifier le sujet et donner au lecteur les moyens de se forger une opinion raisonnable. Le plan du livre est simple : la découverte, le fonctionnement, les applications, l’environnement.
Paris est le berceau de la radioactivité. Trois savants exceptionnels ont partagé le prix Nobel de 1903 : Henri Becquerel, le découvreur (1896), Marie et Pierre Curie, les maîtres du radium. A Montréal, à l’Université Mc Gill, Ernest Rutherford a réalisé les expériences explicatives décisives (1902).
Le radium a immédiatement suscité un engouement incroyable auprès du public. On le trouve dans les médicaments, la layette, les appâts pour la pêche, les crèmes de beauté, les ceintures amincissantes, les suppositoires pour «rendre aux hommes leur virilité». La fièvre retombe lorsque le produit magique s’avère dangereux (1920, scandale des «Radium Girls»).
Le mécanisme de la radioactivité est fascinant. Dans tout noyau d’atome s’opposent les forces électriques répulsives des protons et la force attractive nucléaire liant protons et neutrons.
S’il y a déséquilibre, le noyau est radioactif. Il éjecte des particules et se transforme en un autre élément «fils», avec forte production d’énergie. Etrangement, le moment de cette désintégration spontanée est totalement aléatoire. Et pourtant c’est selon une courbe précise que la population des noyaux décroît dans le temps (la hauteur de mousse dans un verre de bière suit la même courbe exponentielle !). La demi-vie d’un radioélément est le temps au bout duquel il ne reste que la moitié de ses noyaux initiaux.
Si l’élément fils est lui-même radioactif, le processus se répète. Ainsi l’uranium 238 (demi-vie : 4,5 milliards d’années) mute en thorium 234, qui lui-même se transforme pour aboutir, après quatorze mutations, au plomb 206, non radioactif. Une véritable «alchimie naturelle» !
Les applications de la radioactivité dans de multiples disciplines constituent la partie la plus originale du livre. En voici quelques exemples : la datation au carbone 14 (demi-vie : 5740 ans) a été corrigée et l’âge des premières peintures rupestres de Lascaux est passé ainsi de 17 000 à 21 000 ans. Selon une datation au samarium, la doyenne des roches terrestres serait au Québec (4,28 milliards d’années).
La radioactivité modifie la couleur des diamants naturels, pour le bonheur des faussaires. Source constante d’énergie, elle alimente les missions spatiales depuis Apollo jusqu’aux robots martiens. Elle se fait «mouchard des mers» en traquant les rejets des usines. Elle piège les séquences d’ADN recherchées par les biologistes. Par son rayonnement destructeur, elle réduit les tumeurs cancéreuses, et ce dès 1925. Elle dévoile nos activités cérébrales en 3D (tomographie). Elle démasque des faux en peinture grâce au «pic de la bombe», celui du taux de carbone 14 dans l’air en 1965. Et elle a même stérilisé une momie (Ramsès II).
Les radioéléments peuvent provoquer des lésions graves aux organismes, notamment en cas d’ingestion ou d’inhalation. Certains se fixent sur leur organe préféré, comme l’iode 131 sur la thyroïde. Et de façon plus sournoise, ils bousculent l’ADN des cellules, entraînant un risque de cancer d’autant plus haut que la dose reçue est intense.
Nous sommes tous plongés en permanence dans une soupe de radioactivité naturelle provenant des rayons cosmiques de l’espace, des radioéléments de l’écorce terrestre, de l’air, de l’eau et des aliments. Le radon, descendant gazeux de l’uranium, émane du sol ; il est la deuxième cause de cancer du poumon après le tabac.
Les essais nucléaires du XXe siècle ont engendré des radioéléments encore présents sur le globe. Les vents qui viennent du Sahara sont porteurs de césium 137. L’auteure relate en détails les accidents de Tchernobyl et de Fukushima. En France métropolitaine, toutes ces retombées sont largement en deçà des normes.
Les déchets radioactifs des centrales nucléaires les plus problématiques sont les «actinides mineurs», car non recyclables, non transmutables, à haute activité, et à longue durée de vie, que l’auteure ne chiffre pas (il s’agit de milliers d’années). Mais elle avertit : «Ils constituent une réelle menace pour l’humanité». La seule solution est d’enfouir profondément ces déchets dans le sol. C’est ce que l’on envisage de faire dans le nord de la France.
Lorsque l’on referme ce livre, on a le sentiment d’avoir fait le tour de la question. Les informations sont claires et factuelles, selon la devise annoncée en préface : «ni apologie, ni condamnation». Chaque chapitre est prolongé d’une bibliographie «pour aller plus loin». L’approche historique régulière et l’ouverture sur de multiples disciplines scientifiques renforcent l’intérêt de l’ouvrage.