La résistance aux antibiotiques

Patrice Courvalin

Professeur émérite à l’Institut Pasteur, département de microbiologie

(Conférence du 12 octobre 2017 à l’Institut Pasteur – Partenariat AFAS / Chercheurs Toujours)

 
résistance aux antibiotiques

Depuis le début de l’ère antibiotique dans les années quarante, les bactéries pathogènes pour l’homme ont évolué vers la résistance et, dans de nombreux cas, vers la multi- voire la pan-résistance. A l’inverse de cette évolution constante, durant les deux dernières décennies, la recherche en matière de découverte et de développement de nouveaux agents antibactériens a considérablement diminué. Ces tendances inverses ont entraîné une diminution importante des possibilités de choix thérapeutique.

Les mécanismes de résistance

Il en existe deux grands types :

  • la résistance intrinsèque (ou naturelle), qui est la présence d’un mécanisme de résistance chez tous les membres d’une espèce ou d’un genre bactérien et qui définit le spectre d’activité d’un antibiotique,
  • la résistance acquise, qui est la présence du mécanisme chez seulement certains isolats de la même espèce ou du même genre.

Les antibiotiques sont regroupés en classes (ou familles) sur la base de leur structure chimique. Les membres d’une classe sont des molécules étroitement reliées qui, généralement, possèdent le même mode d’action. Ils sont donc soumis au risque de la résistance croisée, c’est-à-dire qu’une bactérie résistante à l’un des membres de la classe sera résistante également à tous les autres membres. Le raisonnement en matière de résistance doit donc se fonder sur la classe d’antibiotiques plutôt que sur une molécule isolée.

Les bactéries ont développé quatre mécanismes majeurs de résistance :

  • modification de la cible, qui conduit à la perte ou à la diminution de l’affinité de l’antibiotique pour sa cible,
  • production d’une enzyme capable de neutraliser le pouvoir toxique de l’antibiotique,
  • imperméabilité à l’antibiotique,
  • efflux (ré-export) de l’antibiotique à l’extérieur des bactéries par des pompes qui requièrent de l’énergie.

L’objectif commun de ces divers mécanismes est d’empêcher l’interaction de l’antibiotique avec sa cible. Les mécanismes de résistance intrinsèques ou acquis ne sont pas différents sur le plan biochimique.

Le génome de la bactérie est constitué d’un seul chromosome et d’éléments génétiques accessoires : plasmide et transposon. Le chromosome contient toute l’information génétique requise pour le cycle de vie de la cellule bactérienne alors que, comme leur nom l’indique, les éléments génétiques accessoires portent des gènes qui ne sont pas indispensables bien que, dans certaines instances, ils puissent fournir un avantage décisif pour la survie de la bactérie hôte, telle la résistance aux antibiotiques. Le chromosome est hérité verticalement par la descendance de la bactérie alors que les éléments génétiques accessoires peuvent également être transférés horizontalement à d’autres bactéries. En conséquence, la résistance peut être de deux types : endogène ou exogène. La résistance endogène est le résultat de mutations dans des gènes chromosomiques ; elle ne se transmet pas de bactérie en bactérie, mais seulement dans la descendance, le chromosome n’étant pas transférable. A l’inverse, la résistance exogène est due au transfert horizontal (latéral) d’information génétique entre les bactéries par acquisition d’éléments génétiques mobiles.

Résistance endogène

La survenue de mutations chromosomiques est une voie efficace de résistance. Les mutations sont classiquement considérées comme rares, car elles surviennent à une fréquence basse, de 10-7 à 10-10. Cependant, au cours des infections chez l’homme, les populations bactériennes sont souvent importantes et en phase de croissance active, ce qui rend probable la survenue de ces mutations qui sont des erreurs lors de la réplication de l’ADN du chromosome. Ce type de résistance peut être secondaire à des modifications de la protéine cible de la bactérie (mutation qualitative) ou des mécanismes de régulation (mutation quantitative).

Les mutations qualitatives se produisent dans les gènes de structure qui dirigent la production des protéines qui sont les cibles des antibiotiques. Les mutations ainsi sélectionnées dépendent du mécanisme d’action de l’antibiotique et confèrent donc une résistance croisée à l’ensemble des membres de la classe.

Comme déjà mentionné, la résistance est utile seulement transitoirement et il est donc logique que l’expression des gènes responsables puisse être modulée dans le temps, c’est-à-dire ne s’opère que lorsque l’antibiotique contre lequel ils confèrent la résistance est présent dans l’environnement. C’est ainsi que les bactéries ont développé diverses façons d’exprimer la résistance de façon réversible. La régulation de l’expression des gènes de résistance est donc fréquente et représente un ajustement efficace entre l’économie d’énergie (nécessaire pour la résistance) et l’adaptation à un environnement aux changements rapides. Il existe divers mécanismes de survenue de ces mutations qualitatives et, de fait, la surexpression de nombreux gènes chromosomiques peut conférer la résistance aux antibiotiques.

Résistance exogène

Il y a trois niveaux de dissémination de la résistance selon le vecteur : bactéries (dissémination clonale), plasmides ou gènes. Ces divers niveaux de résistance, qui coexistent dans la nature et expliquent l’extraordinaire augmentation de la résistance chez les bactéries, sont non seulement infectieux (de mammifère en mammifère pour les bactéries, de bactérie en bactérie pour les plasmides, de réplicon en réplicon pour les transposons) mais également exponentiels dans la mesure où chacun est associé à la duplication de l’ADN.

La dissémination clonale est associée à la réplication du chromosome, la conjugaison plasmatique à un transfert réplicatif et la migration de gène avec la transposition réplicative.

L’évolution des bactéries vers la résistance est la résultante de deux événements indépendants, l’émergence et la dissémination. On ne peut rien faire contre l’émergence de la résistance, un événement qui survient par hasard, mutation ou transfert, et qui représente un aspect particulier de l’évolution bactérienne. La résistance existe donc potentiellement dans la nature, non seulement avant l’utilisation en clinique d’un antibiotique, mais également avant la découverte ou même la conception d’un nouvel antibiotique. La survenue de la résistance peut être un événement rare, même transitoire, s’il ne procure pas un avantage sélectif contre une molécule présente dans l’environnement.