Hervé Le Guyader, Julien Norwood
(Belin, 2018, 272 p. 40€)
C’est un livre que l’on commence par feuilleter. On y découvre de magnifiques illustrations en couleurs de fleurs, insectes, oiseaux, reptiles, mammifères. Ces quelque 250 dessins, réalisés à la main par Julien Norwood représentent autant de jalons de l’histoire de ce que l’on appelait auparavant les sciences naturelles.
Car ce livre est un livre d’histoire : D’Ulysse à Darwin, 3000 ans d’expéditions naturalistes, annonce le sous-titre. L’auteur, Hervé Le Guyader, spécialiste en biologie évolutive, relate 32 histoires d’expéditions principalement maritimes qui ont permis de bâtir le socle de nos connaissances du monde des vivants. Si elles ont commencé en Chine, les grandes expéditions sont parties essentiellement d’Europe. L’objectif principal des premiers voyages n’était pas particulièrement scientifique mais d’ordre mercantile ou stratégique. On cherchait de nouvelles voies d’accès aux épices ou à acquérir de nouveaux territoires. Au fil des années, la partie « scientifique » des expéditions a pris de l’importance : sur les bateaux, les naturalistes, botanistes, zoologues, géographes, géologues, astronomes sont de plus en plus nombreux à côtoyer les marins et les marchands. Les expéditions durent plusieurs années, sont financées par les Etats ou les compagnies de commerce, mais aussi par des savants fortunés (Banks, Humboldt) ou par des groupes de collectionneurs. Les bateaux rapportent des milliers de spécimens de graines, plantes, insectes et échantillons de roches.
L’auteur ne se perd pas en longues considérations théoriques mais se concentre sur la description pratique et détaillée de chacune de ces 32 expéditions, avec une érudition impressionnante. Chaque voyage est une histoire en soi, souvent digne d’un scénario de film d’aventures, avec des personnages hors norme, des savants, des héros, des corsaires, des espions, des tricheurs, des contrebandiers, des passagères clandestines, des cannibales, des naufrages, des mutineries, des abandons, des prises d’otage, des massacres, des emprisonnements, des maladies, des controverses théologiques ou scientifiques. Et toute cette agitation débouche sur de magnifiques découvertes scientifiques, de nouvelles espèces de plantes et d’animaux, superbement illustrées en regard du texte. Ce contraste permanent entre le texte de l’histoire souvent remuante et les illustrations à la calme beauté un peu figée constitue une originalité de ce livre. Par exemple, sur une même page, on lit les arguments théologiques de la controverse de Valladolid sur l’existence ou non d’une âme chez les Indiens d’Amérique, et on admire l’illustration de face et de profil d’un grand poisson volant d’Amérique !
Citons quelques autres exemples d’illustrations : l’admirable plante-pichet, carnivore, endémique du mont Kinabalu (Bornéo), découverte par Wallace ; ou bien le délicat hortensia, originaire du Japon, et nommé ainsi en hommage à une savante française, épouse de l’horloger de Louis XV. Du côté des animaux, le paresseux à gorge brune qui ne descend de son arbre que tous les dix jours pour faire ses besoins ! Ou une espèce de papillon non toxique, en tous points identique à une autre espèce qui, elle, est toxique. Ou encore l’étrange grenouille de Darwin dont le mâle couve les œufs dans sa bouche. Il y a aussi des illustrations d’espèces éteintes, par exemple, le paresseux géant (6 m de long !), la vache de mer (8 m de long; exterminée en 20 ans) ou la tourte voyageuse.
A côté des explorateurs et naturalistes célèbres comme Drake, Cook, Bougainville, La Pérouse, Linné, Humboldt, Lewis et Clarke, Wallace, Darwin, on en découvre beaucoup d’autres comme Leeuwenhoek, drapier autodidacte qui a inventé et construit 400 microscopes ; Jeanne Baret, la première femme naturaliste à faire le tour du monde ; Sébastien Vaillant, qui a découvert la sexualité des arbres grâce au pistachier, lequel se trouve encore au Jardin des Plantes à Paris ; Joseph de Jussieu, botaniste, membre de l’expédition rocambolesque au Pérou pour mesurer un arc de méridien ; Kerguelen, qui fait un rapport complètement faux sur l’île qu’il vient de découvrir et finit en prison avant d’être gracié par Louis XVI ; John Muir, précurseur de la défense de la nature en Amérique, mais qui ne regrette pas l’extinction des bisons.
Ce livre est une véritable mine d’informations qui passionnera tout amateur de sciences naturelles et d’histoire des sciences. Il est destiné à être bien placé dans sa bibliothèque pour y être consulté souvent.