Le bug humain

Sébastien Bohler

(Robert Laffont, 2019, 270 p. 20€)

 
Le bug humain (S. Bohler, Robert Laffont, 2019)L’homme a atteint l’extraordinaire stade de développement que nous connaissons aujourd’hui. Il l’a atteint car son corps lui a permis cette performance. Son corps, c’est-à-dire son corps en entier, à commencer par son cerveau.
Son corps, et donc aussi son cerveau, se sont adaptés, au fur et à mesure, millénaire après millénaire, à toutes sortes d’événements et de contraintes extérieures. Chaud, froid, pénurie, surabondance, maladies, catastrophes naturelles, guerres… non sans mal, non sans beaucoup de pertes, il a traversé tout cela et est devenu ce qu’il est désormais.
La question que pose Le bug humain est la suivante : notre cerveau n’est-il pas devenu notre ennemi ? Les qualités qui lui ont permis de surmonter tant d’obstacles, et que ces obstacles mêmes ont contribué à forger, ne se retournent-elles pas contre nous ?

Sébastien Bohler, journaliste spécialiste des neurosciences, décrit longuement le fonctionnement de la partie du cerveau qui est en cause ici, le striatum. Elle est celle qui secrète la dopamine, l’hormone dite de la récompense. Tous les animaux sans exception ont un striatum. Il est la vie. Il est la voix intérieure qui nous dit, ainsi que l’écrit l’auteur : « Va, mange autant que tu peux car la nourriture n’est pas donnée dans ce monde. Va, copule autant que tu peux car plus ta descendance sera nombreuse, plus tu auras de chances de transmettre tes gènes à la postérité. Va, montre-toi plus important que les autres, car c’est ainsi que tu t’assureras une situation qui te garantira des ressources matérielles et des partenaires sexuels. Va, avale autant d’informations que tu pourras sur le monde qui t’entoure car cela augmentera tes chances de t’en sortir. Et fais cela plus que les autres, car sinon ce sont tes gènes qui seront submergés par ceux de tes concurrents. En conséquence, ne te modère surtout pas, ne te limite pour rien au monde. »
La sélection naturelle sélectionne les individus ayant un striatum en bon état de marche, un striatum dont le message exprime bien, fort et clair, ce toujours plus conditionnant la survie.

Oui mais voilà, comme le dit le sous-titre du livre, Pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète, une exploitation illimitée de ressources limitées est impossible.
Notre striatum nous mène-t-il à notre perte ?
Heureusement notre cerveau contient aussi le cortex, qui nous rend capable de raison, de conscience. C’est lui, le cortex, qui fait le constat de cette impossibilité de l’exploitation illimité de ressources limitées.
Le constat suffira-t-il ?
Car le striatum garde, gardera, il est indispensable qu’il le fasse, toute sa force.

L’ouvrage, très documenté, mentionne de nombreux modes d’action du striatum, et du cortex aussi, ainsi que, sous leurs multiples facettes, les répercussions individuelles, sociales, politiques des uns et des autres.

Lequel des deux l’emportera, le striatum ou le cortex ?
Deux hypothèses sont envisagées.
La première consisterait à prendre le striatum à son propre jeu. Puisqu’il nous contraint au toujours plus, faisons en sorte de l’orienter vers des toujours plus préservant l’avenir : toujours plus de frugalité, toujours plus de modestie, toujours plus d’altruisme… Les religions s’y sont essayé. Leur succès n’est pas flagrant.
La seconde consiste à faire fond sur le cortex, c’est-à-dire sur la conscience. En effet, les injonctions du striatum sont obéies tant qu’elles sont inconscientes, masquées. Mises au jour, elles s’évanouissent, car en effet nous savons bien ce qu’elles ont d’absurde. Mais entre conscience et inconscience, entre action décidée et action de type réflexe, la partie n’est pas gagnée d’avance. C’est le pari de la raison.

Le bug humain offre un surprenant autant que séduisant point de vue sur un sujet de grande actualité, notre responsabilité dans l’avenir de la planète.