Alain Delacroix
Ancien professeur titulaire de la chaire « Chimie industrielle – Génie des procédés » du Conservatoire national des arts et métiers
© Souvenir de Ferdinand de Lesseps et du Canal de Suez / Lebas Photographie Paris
L’isthme de Suez est depuis la nuit des temps un passage stratégique entre l’Asie, l’Egypte et les pays qui bordent la Méditerranée. Au temps des pharaons, un canal est déjà creusé et relie la mer Rouge avec un bras du Nil. Aristote cite un canal qui se déverse dans la mer Rouge et pense que ce serait Sésostris III, avant la guerre de Troie, qui aurait entrepris de creuser l’ouvrage. Hérodote, quant à lui, précise qu’il est alimenté par l’eau du Nil et que 120 000 Egyptiens périrent en le réalisant.
Ces informations ne sont pas confirmées par des textes ni des fouilles archéologiques. En revanche, on dispose de quatre stèles de granit érigées par le roi de Perse Darius Ier, qui montrent qu’il existe un canal entre le Nil et la mer Rouge 500 ans av. J.-C. Ce canal aurait duré jusqu’au VIIIe siècle et aurait disparu par manque d’entretien.
C’est Saïd Pacha et Ferdinand de Lesseps qui, poussés par les idées saint-simoniennes, vont relancer le projet de canal. Cependant, la Sublime Porte et l’Angleterre s’y opposent farouchement et, de plus, la différence de niveau potentielle entre la mer Rouge et la Méditerranée est une source d’inquiétude car la nécessité d’écluses plomberait l’entreprise. Malgré cela, Ferdinand de Lesseps, soutenu par l’empereur Napoléon III, va aller jusqu’au bout de son aventure humaine, financière et surtout technologique. En particulier pour ce dernier point, il fait l’hypothèse que la flotte internationale, constituée essentiellement de bateaux à voiles, va rapidement être remplacée par des bateaux modernes à vapeur, lesquels, en passant par le canal, vont gagner 8000 km sur la distance Londres-Bombay. Par ailleurs, pour le creusement, il va utiliser largement la nouvelle énergie qu’est la vapeur.
Napoléon III, ne voulant pas choquer les Anglais, donne son accord pour que l’entreprise soit une compagnie internationale sous l’autorité du Gouvernement égyptien. 21 000 souscripteurs, presque tous français, mettent la main à la poche, mais cela ne suffisant pas, l’Egypte va abonder 44% du capital.
Le canal, d’une longueur de 164 km, nécessite l’évacuation de 75 millions de mètres cubes de déblais. Au départ, les opérations se font de façon archaïque par 25 000 ouvriers égyptiens recrutés sous le régime de la corvée. Mais Saïd Pacha meurt en 1863 et son successeur Ismaël Pacha supprime la corvée, ce qui entraîne l’arrêt des travaux. François Philippe Voisin, le nouveau chef de chantier, va alors moderniser l’entreprise en employant les nouvelles méthodes du génie civil conduites en France. Des centaines de kilomètres de voies ferrées sont construites pour l’élimination des déblais et plusieurs machines sophistiquées pour l’époque sont employées. Alphonse Couvreux met en œuvre une excavatrice à godets brevetée en 1860, qui permet automatiquement de détacher des morceaux de roches et de les envoyer dans des wagonnets. Des dragues énormes sont imaginées par la société Borel Lavalley et Compagnie et réalisées par les constructeurs Goüin et les Forges et chantiers de la Méditerranée. L’ensemble de ces moyens est mû par la nouvelle énergie qu’est la vapeur. A l’Exposition universelle de 1867 à Paris, le pavillon de la Compagnie du canal de Suez présente ces machines innovantes.
© Archives nationales du monde du travail (Roubaix)
Après dix années de travaux et la mobilisation d’un million et demi de travailleurs égyptiens et internationaux, le canal est inauguré le 17 novembre 1869, en présence de l’impératrice Eugénie. Depuis, le canal a changé de main, après diverses vicissitudes politico-militaires, mais se développe toujours. En 2015, des travaux gigantesques doublent sa capacité. En 2016, 17 004 navires l’ont traversé alors qu’ils n’étaient que 486 en 1870.
L’exposition L’épopée du canal de Suez, des pharaons au XXIe siècle [1] à l’Institut du monde arabe, grâce, entre autres, aux archives du groupe Engie, héritier de la Compagnie de Suez, nous montre l’évolution de cette aventure passionnante qui a duré quatre mille ans.
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