Yves Agid
(Albin Michel, 2023, 208 p. 20,90€)
Yves Agid est professeur de neurologie émérite à l’université Pierre et Marie Curie et a joué un rôle très important pour la création de l’Institut du cerveau à Paris, centre de recherche d’excellence localisé à l’hôpital de la Salpêtrière.
Dans cet essai, il se livre à une réflexion sur la découverte et propose une démarche en trois étapes : (1) une analyse des étapes successives d’une découverte ; (2) l’identification des principaux déterminants requis pour faire une découverte, accompagnée de la description des principaux profils types de «découvreurs» ; (3) et enfin la nature des circuits de neurones cérébraux qui sont mis en jeu pour faire une découverte. Le but qu’il se fixe est de reconnaître les mécanismes qui peuvent conduire à faire une découverte.
Il est bien conscient du caractère ambitieux de son propos mais il se donne une certaine légitimité car, dit-il, «même si je n’ai jamais fait de grandes découvertes, j’aime les chercheurs comme j’aime la science». Et il met au service de cette ambition une démarche associée à une écriture simples qui rendent la lecture de ce livre et sa compréhension faciles.
La première partie s’intitule «Faire une découverte, comment ?». Partant du principe que découvrir, «c’est ce qui était inconnu ou caché», il reprend la description des quatre phases cognitives du processus de découverte élaborée par Graham Wallas : préparation, incubation, illumination, vérification : «Je m’étonne ; je me questionne, ce qui peut me donner des idées ; je cherche, la réponse me survient sous la forme d’une illumination ; je vérifie.»
Yves Agid cite en exemple la découverte fortuite des «neurones miroirs» qui jouent un rôle dans la représentation de ce que fait un partenaire, comme si ces neurones permettaient d’inférer ce qui se passe dans le cerveau de l’autre, par exemple dans le phénomène d’empathie.
L’idée qui mène à la découverte le plus souvent ne vient pas par hasard (ce qui serait exceptionnel) mais d’un raisonnement logique, parfois même à partir d’une idée fausse ! En fait, la recherche est une construction laborieuse, consciente et subconsciente, mais rarement une découverte se fait en toute conscience, bien qu’il n’y ait pas de consensus sur la signification du mot conscience. Aujourd’hui, même un génie ne fait plus une découverte tout seul, les découvertes ne peuvent plus être que collectives et ubiquitaires.
La deuxième partie s’intitule «Qu’est-ce qui conduit à faire une découverte ?». La science, en permettant la création d’un cercle vertueux, fait progresser la société, qui fait progresser la science. Généralement, les grandes découvertes suivent toujours ou presque une rupture technologique. En neurobiologie, par exemple, les grandes évolutions scientifiques ont toutes été dépendantes des progrès en amont des physiciens et des chimistes par la mise au point de nouvelles technologies qui ont permis à chaque fois de franchir un grand pas dans la compréhension d’un processus, comme par exemple la découverte de l’imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle, qui réalise l’étude du fonctionnement du cerveau d’un sujet in vivo en temps réel et qui a permis le développement de l’exploration du cerveau. Qui sont donc les «bons» scientifiques, et parmi eux les «bons» découvreurs ? Pour répondre à cette question, Yves Agid cherche à décrire quelle est la personnalité du découvreur et pour cela propose quatorze exemples de personnalités de chercheurs, depuis le «théoricien visionnaire» jusqu’au «chercheur fou inutile» !
Dans la troisième partie, «Les déterminants de la découverte», Yves Agid cherche à interpréter ses hypothèses en s’appuyant sur les éléments de la neurobiologie, tels que les neurones modulateurs cérébraux de ce qu’il appelle l’élan vital, ensemble de facultés mentales qui nous poussent à agir et assurent notre survie ; ou bien les différentes connexions neuronales dans le cerveau. Et bien sûr, il cite l’importance de l’irruption de l’informatique et de l’intelligence artificielle en faisant référence au développement des réseaux de neurones formels, outils mathématiques dont le fonctionnement s’inspire directement du fonctionnement physiologique des neurones. Par exemple, il cite le programme de Google, AlphaZero, en 2017, qui a battu le champion du monde des échecs (28 victoires, 72 parties nulles). Parmi les qualités requises pour faire une découverte, il cite la mémoire et l’imagination, tout en se posant la question de savoir de qui passe dans le cerveau quand on imagine. Et, «in fine, écrit-il, le cortex frontal est l’épicentre de la découverte» car «il joue un rôle dans la conceptualisation de tous les comportements».
Enfin, dans sa conclusion, Yves Agid trace les chemins de la découverte en cherchant à identifier qui est le futur découvreur et en soulignant le fait que faire des découvertes, cela s’apprend, mais c’est surtout un travail collectif.
Ce livre s’adresse donc à un large public, qui sera intéressé par le monde de la recherche et des chercheurs, même si son contenu ne porte pas trop sur le cerveau «comme machine à inventer» comme l’annonce le titre, mais plutôt sur les chemins de la découverte.