Le climat en 8 leçons. Ce que nous savons du dérèglement

Kerry Emanuel

(Le Pommier, 2020, 128 p. 11€)

 
Le climat en 8 leçons (K. Emanuel, Le Pommier)Kerry Emanuel est un expert américain mondialement reconnu en climatologie. Professeur au prestigieux MIT de Boston, il a publié plus de 200 articles et quelques livres. En 2006, selon le Time, il était une des 100 personnes les plus influentes au monde. Lorsque Kerry Emanuel parle de climat, le monde écoute (ou devrait écouter !).

Ce petit livre est la traduction de la 3e édition mise à jour (2018) de son ouvrage de vulgarisation What we know about Climate Change, dans lequel il résume l’état des connaissances scientifiques sur le changement climatique (60 pages) et, dans une démarche plus politique, donne des clés pour en gérer les conséquences (40 pages).
L’auteur brosse l’histoire du climat de la Terre qui est loin d’être un long fleuve tranquille. D’amples mutations se sont produites (la Terre a été une boule de glace !), résultant d’interactions entre la Terre, son atmosphère, et le Soleil. Grâce à l’apparition de la vie (photosynthèse des bactéries) nous avons évité le scénario catastrophe de Vénus qui, avec des conditions de départ presque identiques à la Terre, est devenu un enfer à 500°C. Depuis 3 millions d’années, on assiste à une succession de périodes glaciaires (80 000 ans) et tempérées (20 000 ans), parfaitement expliquée par les oscillations de l’axe de rotation de la Terre (cycles de Milankovic).

K. Emanuel nous fait une présentation limpide et magistrale de l’effet de serre, le cœur de la machine climatique. C’est le Français Fourier qui postule le premier, en 1820, que l’atmosphère renvoie vers la Terre une partie du rayonnement (infrarouge) que celle-ci émet. En 1897, le Suédois Arrhenius établit et quantifie la relation entre la teneur en gaz carbonique (CO2) et la température moyenne de la Terre. On peut s’étonner qu’un gaz qui ne représente que 0,04% de l’atmosphère joue un rôle aussi déterminant, que la Terre reçoive deux fois plus d’énergie de l’effet de serre que du Soleil, et que tout ceci était déjà connu au XIXe siècle !

Des éléments viennent perturber de façon ponctuelle la belle mécanique de l’effet de serre et la physique d’Arrhenius, mais sans en changer la tendance fondamentale. L’auteur recense ainsi les nuages et la vapeur d’eau (qui induisent un effet de serre court terme), les aérosols sulfatés, le courant El Niño, les éruptions volcaniques et la nature chaotique des équations du climat, qui ensemble produisent un «bruit climatique» (expliquant, par exemple, des années anormales sans réchauffement).

Comme la quasi-totalité des climatologues, l’auteur n’a aucun doute sur le réchauffement en cours et sur son origine humaine. Les mesures, directes et indirectes, le montrent clairement. Par ailleurs, tous les modèles validés (une dizaine) le confirment.

L’auteur analyse les scénarios du futur : migrations massives, déplacements des zones de cultures, acidité de la mer. Il ne cache pas quelques incertitudes dans les modèles prédictifs, en particulier sur le rôle des nuages. Mais celles-ci ne doivent pas être prétextes à l’inaction. L’option la plus dangereuse est celle de ne rien faire. Il ne s’agit pas tant de sauver la planète (qui en a vu d’autres !) que notre civilisation humaine, construite sur 7000 ans de stabilité climatique. Il propose des mesures qui atténueront, un peu comme une police d’assurance, les effets néfastes d’une catastrophe potentielle : réduire la croissance démographique, favoriser les énergies non carbonées, développer massivement le nucléaire (la France est citée en exemple) et pénaliser les énergies fossiles (en les responsabilisant sur les coûts de santé qu’elles induisent et en cessant les subventions dont elles bénéficient).

K. Emanuel termine sur une note plus polémique : il dénonce les lobbies climato-sceptiques, qu’il compare à ceux de l’industrie du tabac des années soixante. Leur tactique est de distiller un doute sur l’origine humaine du réchauffement, en amplifiant la voix de francs-tireurs isolés, anti pensée unique, comme il en existe dans toute entreprise scientifique, et en créant l’illusion d’une controverse sérieuse (alors que le consensus des scientifiques est de 97%). Et Emanuel de conclure amèrement : «Aussi longtemps que nous élirons et nommerons des illettrés scientifiques tels que James Inhofe [sénateur républicain] et Scott Pruitt [administrateur de l’Agence de l’environnement en 2018], qui croient que le réchauffement climatique est un canular, nous serons empêchés de nous engager dans un débat politique intelligent.»

Le livre est concis mais l’essentiel est là, expliqué de façon simple et claire. Il est recommandé à ceux qui débutent sur la question du réchauffement climatique. Pour le public plus averti, il constitue un excellent moyen de maintenir ses idées en ordre, devant le flot permanent d’informations plus ou moins sérieuses qui circulent sur le sujet.