François Rodhain
(Docis, 2015, 448 p. 39 €)
Voilà un livre de 450 pages qui se présente bien modestement comme un « essai », et sous un titre qui ne fait appel qu’à des mots bien banaux : le parasite, le moustique, l’homme, et même… les autres ! Il y a de toute évidence un mystère sous cette présentation qui ressemble à une fable de La Fontaine, mais celui-ci s’éclaircit bien vite à la lecture : même si l’ouvrage est à la base un précis d’éco-épidémiologie des maladies à vecteurs (le terme de traité est récusé !), donc une somme scientifique très pointue, il est d’un bout à l’autre de lecture facile, tant tout ce qui pourrait relever d’un jargon a été évité ou soigneusement expliqué. Ce n’est pas là un mince mérite de l’auteur qui, évidemment, maîtrise parfaitement non pas un mais plusieurs jargons (médical, épidémiologique, entomologique, microbiologique… entre autres), mais a voulu que tout un chacun puisse en le lisant comprendre l’importance du sujet malgré son extrême complexité. Si le titre avait fait appel à des mots scientifiques, il aurait dévoilé un objectif pédagogique, au risque de paraître pédant. Grâce à ce document, personne n’aura plus d’excuse pour ignorer comment circulent les maladies vectorisées.
Traduisons donc ce titre pour entrer dans le contenu de l’ouvrage : c’est ce qui est fait dans les deux premières parties, qui situent les protagonistes de l’aventure. On comprend très vite que « le parasite » est pris dans un sens littéral, très large. Il est aussi qualifié de « microbe », mais comporte en fait tous les agents infectieux. Plus de 60 pages lui sont consacrées, ce qui atteste du soin pris à définir ces organismes très divers, que ne rapproche que leur capacité à infecter des hôtes vertébrés après une transmission par un vecteur. Quant au « moustique », il a l’honneur d’être le porte-parole de l’ensemble des vecteurs : significativement, c’est à peu près le même nombre de pages qui est consacré à cette seconde base des systèmes vectoriels, au moins aussi complexe que la première. Notons qu’à ce stade, des notions détaillées (et non un survol) de virologie, de bactériologie, de parasitologie, d’entomologie ont été données. Il s’y ajoute des données sur l’importance des maladies vectorisées en médecine humaine et vétérinaire. Ce rappel est loin d’être inutile, tant les maladies infectieuses sont aujourd’hui sous-estimées, du moins dans les pays développés, comme en témoigne par exemple le refus croissant et inquiétant de toute vaccination. Pourtant il n’est nul besoin de réchauffement climatique pour qu’elles continuent à constituer, malgré tous les progrès réalisés, un risque majeur pour l’homme et bien sûr aussi pour « les autres ». Tout cela n’est pourtant encore que la présentation des acteurs : il va falloir les mettre en mouvement, non sans avoir au préalable défini ce qu’est un vecteur. Il s’agit évidemment ici d’une notion centrale parfaitement précisée.
Trois chapitres exposent les relations au sein de chacun des compartiments : vertébrés/vecteurs ; parasites/vecteurs ; parasites/vertébrés. Ils ne peuvent être détaillés ici, mais ils donnent toutes les clefs pour comprendre le quatrième chapitre, qui fait « tourner » les systèmes vectoriels. Les outils les plus modernes (notamment issus de la biologie moléculaire) y côtoient des données classiques ou beaucoup moins traditionnelles, mais devenues incontournables telles que les transmissions trans-stadiales, la compétence vectorielle, l’incubation extrinsèque, les complexes d’espèces jumelles, l’impact de la génétique des vecteurs ou des hôtes vertébrés, la spécificité et les barrières d’espèces… Ces données, et bien d’autres, sont exposées clairement, encore une fois en termes accessibles à tous. Cette partie constitue le cœur de l’ouvrage, indispensable à la compréhension du fonctionnement de l’ensemble. Elle intègre les connaissances les plus récentes, dans des domaines très divers, mais tous contributifs. Peut alors venir le chapitre synthétique, qui décrit la structure et le fonctionnement des systèmes vectoriels. C’est seulement là qu’entrent en scène la bio-écologie des protagonistes, les définitions épidémiologiques, la biogéographie, la circulation des agents et des maladies induites. Là encore, la somme des connaissances nécessaires à la compréhension du fonctionnement est impressionnante, relevant de plusieurs disciplines qu’il est peu habituel de voir maîtriser ensemble. Tout cela est présenté de manière détaillée, mais toujours accessible (notons au passage que 33 annexes individualisent certaines données ou des exemples particulièrement démonstratifs). Il ne reste plus, dans un ultime chapitre, qu’à tirer les conséquences médicales de ces connaissances, en exposant les possibilités de prévention des maladies, notamment par la lutte anti-vectorielle.
Ultime chapitre ? Non : in cauda venenum, l’auteur est un entomologiste, il le revendique avec force même s’il a, nous l’avons vu, bien d’autres cordes à son arc. Il ne peut donc conclure un tel ouvrage sans attirer l’attention sur la situation inquiétante de cette spécialité : de jeunes talents sont attirés par une matière qui a évolué de façon spectaculaire au cours des 20 dernières années, et dont ce livre illustre magnifiquement la richesse, mais rares sont les cas où il est possible de leur proposer une carrière. Le manque de compétences, déjà patent, ne fera que s’aggraver dans l’avenir alors que tout laisse à penser que les besoins ne feront que croître.
Tout au long du livre, François Rodhain illustre ensuite d’une manière particulièrement éclatante le concept « un monde une santé », en consacrant évidemment un chapitre aux zoonoses, mais en n’oubliant pas non plus les maladies qui ne frappent que les animaux, qu’ils soient domestiques ou sauvages. L’une d’entre elles, la fièvre catarrhale ovine, a récemment illustré le déficit dramatique en entomologistes, puisqu’il n’en restait qu’un seul en France qui connaisse les Culicoides vecteurs de cette virose : il a fallu lui en faire former d’autres en urgence. Jugulée par une vaccination très efficace, la maladie est réapparue cette année, et il n’est pas exclu que d’autres outils s’avèrent nécessaires, pourquoi pas la lutte anti-vectorielle ?