Pierre Spagnou
(CNRS Editions, 2020, 214 p. 25€)
Les ondes gravitationnelles sont à la mode et il y a de bonnes raisons pour cela. Il y a 100 ans, elles étaient prédites par la théorie de la relativité générale d’Einstein, lequel n’y croyait pas vraiment : il pensait qu’elles n’avaient pas de réalité physique. Il a même écrit un article dans ce sens en 1936, pour la Physical Review… qui l’a refusé ! Einstein finit par admettre l’existence de ces ondes étranges, mais il était convaincu qu’on ne pourrait jamais les détecter. Or, c’est ce que l’on a fait le 14 septembre 2015 !
Le dernier livre de Pierre Spagnou est entièrement consacré aux ondes gravitationnelles. Son point de départ est un évènement, relativement banal, qui survint il y a 130 millions d’années dans une galaxie lointaine : la fusion de deux étoiles à neutrons. Celle-ci fait «vibrer la trame même de l’Univers» et engendre une onde gravitationnelle, qui, se propageant à la vitesse de la lumière, atteint notre Terre le 17 août 2017. Ce jour-là, trois interféromètres, situés aux Etats-Unis et en Italie, permettent de capter l’onde très affaiblie et d’identifier une fusion d’étoiles et sa localisation. C’est alors que ce résultat est aussitôt confirmé par le satellite Fermi qui a enregistré une bouffée de rayons gamma, et, la nuit suivante, par le télescope optique Swope, au Chili, qui repère optiquement le nouvel objet résultant de la fusion. C’est un résultat extraordinaire : pour la première fois, l’identification d’un évènement (la fusion de deux étoiles) par une onde gravitationnelle est confirmée indépendamment par des ondes électromagnétiques (rayons ϒ et lumière visible). L’astronomie «multi-messagers» vient de naître.
Pierre Spagnou nous fait le récit détaillé de cette folle journée historique. Ingénieur de formation, il détaille le dispositif expérimental d’une incroyable sophistication, aboutissement d’un projet d’un milliard de dollars amorcé dans les années soixante-dix. Il s’agit, au départ, de détecter une variation spatiale de l’ordre du 1/1000e du diamètre d’un noyau d’atome ! Chaque interféromètre a des bras de 4 km de long, parfaitement rectilignes (l’effet de la courbure terrestre est corrigé), où l’on a fait un vide quasi absolu. La position des miroirs doit être fixée avec une précision d’un millionième de microns. La courbe de l’enregistrement permet d’identifier la nature de l’évènement-source et de le localiser, à partir de 300 000 courbes d’onde précalculées, un peu comme l’application Shazam identifie un morceau de musique à partir d’échantillons préenregistrés.
L’auteur expose la partie théorique, sans équations, en se concentrant sur l’interprétation physique des différents concepts : la relativité restreinte et les ondes électromagnétiques, la relativité générale et les ondes gravitationnelles, l’effet Einstein, les méthodes de calcul des courbes-signatures des évènements, les choix des repères (les jauges). A noter que certains passages peuvent être un peu ardus à suivre.
Pierre Spagnou fait preuve d’un enthousiasme communicatif quant aux perspectives prometteuses de cette nouvelle astronomie, qu’il compare à celle que Galilée inaugura en 1610 en pointant sa lunette sur Jupiter. Toute rotation asymétrique est susceptible de produire une onde gravitationnelle observable : fusions d’étoiles à neutrons (qui expliquent la présence d’atomes d’or dans le cosmos, et donc sur Terre !), fusions de trous noirs (une dizaine déjà observées depuis 2015), supernovas et autres cataclysmes. On dispose désormais d’une nouvelle méthode pour évaluer les distances des astres. On pourra ainsi affiner la mesure de la vitesse d’expansion de l’Univers et faire le tri sur les modèles cosmologiques. Déjà, on travaille à améliorer les dispositifs de détection actuels. L’auteur recense une dizaine de projets à l’étude, comme celui d’un d’interféromètre spatial, formé de trois satellites, avec des bras de 2,5 millions de km ! (2030, conjoint NASA – ESA).
Pierre Spagnou déclare en introduction : «Vulgariser, c’est simplifier, certes, mais sans jamais céder à la facilité». Tout au long de l’ouvrage, on sent ce souci constant de ne pas tromper le lecteur avec des images séduisantes mais fausses. A plusieurs reprises, il dénonce les vulgarisateurs qui manquent de rigueur. Ainsi, il s’insurge contre une analogie très courante utilisant une simple toile pour illustrer la courbure de l’espace-temps de la relativité générale. Les chapitres du livre se terminent souvent par une section intitulée Idées fausses. Ce choix général de la précision se fait au prix d’un texte peut-être plus difficile à lire, mais plus exact. L’auteur jalonne son exposé d’exercices dont la solution est donnée en annexe, ce qui permet une certaine respiration dans la lecture. Avec cet ouvrage, le lecteur aura fait un tour complet et précis des ondes gravitationnelles, nouveau domaine incontournable de l’astronomie de demain.