Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France

Le 14 août 2024, l’Organisation mondiale de la santé a qualifiée d’« urgence de santé publique de portée internationale » l’épidémie de Mpox (anciennement dénommée variole du singe) alors en cours sur le sol africain. Il s’agissait du clade 1b de l’Orthopoxvirus Monkeypox (MPXV), plus virulent que le clade II (taux de létalité respectifs de 10% vs 1%) qui a émergé en mai 2022 en Europe avec la diffusion sur tous les continents d’un variant (clade IIb), justifiant une alerte de l’Académie nationale de médecine en France [1].
Ces virus reconnaissent une origine zoonotique dans les forêts d’Afrique mais la nature des réservoirs animaux de ce virus ne sont pas connus avec certitude, même si différentes espèces de petits mammifères, et tout particulièrement de sciuridés (écureuils) sont suspectés de permettre la transmission à l’Homme [2] [3]. Mais aucun lien épidémiologique avec une infection humaine n’avait été confirmé en Afrique. Curieusement le risque zoonotique a été confirmé aux États-Unis en 2003 où 72 personnes ont été contaminées par des sciuridés autochtones (Cynomys ludovicianus ou chiens de prairie), ces derniers ayant été contaminés dans une animalerie par des cricétomes ou rats de Gambie (Cricetomys gambianus) importés du Ghana et destinés à être vendus comme animaux de compagnie non traditionnels (ACNT) [4]. Cette zoonose importée explique l’interdiction actuelle d’importation de rongeurs africains dans de nombreux pays.
Pour la première fois une équipe internationale de scientifiques suggère que le réservoir africain du Mpox pourrait être l’écureuil à pattes de feu (Funisciurus pyrropus), un rongeur forestier que l’on trouve en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale [5] [6]. Cette équipe, dirigée par Fabian Leendertz (cf encart), a observé en Côte d’Ivoire une épidémie de Mpox ayant touché le tiers d’un groupe de 80 singes Mangabey fuligineux sauvages (Cercocebus atys) de janvier à avril 2023 (avec 4 décès). Présents au moment de l’épidémie, les scientifiques ont pu disposer des échantillons réalisés dans le cadre de leurs travaux sur la surveillance des singes africains depuis 2001 [7] et isoler le virus. Rétrospectivement, l’étude des tissus et des écouvillons prélevés sur des animaux morts trouvés dans la région ont permis d’identifier un virus de génome identique dans un échantillon fécal datant de décembre 2022 d’une femelle mangabey dénommée Bako, mère du premier décès de Mpox ayant attiré l’attention des chercheurs, qui n’avait pas développé de symptômes. L’origine d’une contamination par la consommation d’un écureuil à pattes de feu fut alors suspectée du fait des enregistrements vidéos démontrant que ce rongeur était chassé et ingéré par les mangabeys dont Bako mais aussi par la découverte du virus dans un cadavre de ce rongeur un mois avant le premier échantillon fécal positif de Bako.
La publication [6], actuellement en cours de relecture dans la revue Nature, est la première preuve d’une transmission du MPXV entre deux espèces mais il reste à démontrer si l’écureuil est un réservoir sauvage asymptomatique ou une espèce sensible pouvant contracter ce virus et le transmettre.
Cette étude est particulièrement importante pour la santé publique car les écureuils et les primates non humains sont chassés, commercialisés et consommés par l’Homme en Afrique (viande de brousse). Leendertz et al auront maintenant pour but d’identifier si d’autres réservoirs animaux du MPXV existent dans la faune sauvage africaine, notamment les écureuils) pour rompre le cercle vicieux d’une exposition humaine (par contact et ingestion) à l’origine des épidémies actuelles dont l’importance est liée à l’arrêt de la vaccination contre la variole en 1980 et à leur extension dans d’autres pays liée à des contaminations interhumaines chez les Hommes ayant des relations Sexuelles avec des Hommes (HSH) et ayant des partenaires multiples [1].
Fabian Leendertz, responsable de ces travaux et directeur fondateur de l’Institut Helmholtz est un vétérinaire allemand. Il est membre de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie vétérinaire de France. Il avait participé à la séance biacadémique organisée par Jeanne Brugère-Picoux et Jean Luc Angot [8] sur le sujet de la surveillance des grands singes africains dans le cadre de la pandémie de COVID-19 [9].
Bibliographie
[1] Académie nationale de médecine. Variole du singe : zoonose et infection sexuellement transmissible (IST) [Internet]. Comm; 2022. Disponible ici
[2] Curaudeau M, Besombes C, Nakouné E, Fontanet A, Gessain A, Hassanin A. Identifying the Most Probable Mammal Reservoir Hosts for Monkeypox Virus Based on Ecological Niche Comparisons. Viruses. 11 mars 2023;15(3):727
[3] Reynolds MG, Carroll DS, Olson VA et al C. A Silent Enzootic of an Orthopoxvirus in Ghana, West Africa: Evidence for Multi-Species Involvement in the Absence of Widespread Human Disease. Am J Trop Med Hyg. 1 avr 2010;82(4):746‑54
[4] Ligon BL. Monkeypox: A review of the history and emergence in the Western hemisphere. Semin Pediatr Infect Dis. oct 2004;15(4):280‑7
[5] Qiu J. An animal source of mpox emerges — and it’s a squirrel. Nature. 17 avr 2025;640(8059):575‑6
[6] Leendertz F, Riutord-Fe C, Schlotterbeck J, Lagostina L, Kouadio L, Herridge H, et al. Fire-footed rope squirrels (Funisciurus pyrropus) are a reservoir host of monkeypox virus (Orthopoxvirus monkeypox) [Internet]. 2025 [cité 15 avr 2025]. Disponible ici
[7] Gogarten JF, Düx A, Gräßle T, Lumbu CP, Markert S, Patrono LV, et al. An ounce of prevention is better: Monitoring wildlife health as a tool for pandemic prevention. EMBO Rep. 7 juin 2024;25(7):2819‑31
[8] Brugère-Picoux J, Angot JL. Covid-19 et «une seule santé» : aspects médicaux, vétérinaires et environnementaux. Séance Bi-académique de l’Académie nationale de Médecine et de l’Académie Vétérinaire de France. 3 décembre 2020. Bull Académie Vét Fr [Internet]. 2021 [cité 16 avr 2025];174. Disponible ici
[9] Gillespie TR, Leendertz FH. COVID-19: protect great apes during human pandemics. Nature. 26 mars 2020;579(7800):497‑497