Hugues Duffau
(Michel Lafon, 2016, 278 p. 17,95 €)
Paul Broca est l’un des fondateurs de l’AFAS. Et il est l’aïeul de l’auteur de ces lignes. Cela fait deux raisons particulières de lire L’erreur de Broca et deux raisons particulières de s’efforcer plus que jamais à l’objectivité.
Le livre du professeur Hugues Duffau, neurochirurgien, se présente et se lit comme un témoignage autobiographique plus que comme un livre véritablement scientifique.
La spécialité du professeur Duffau est l’ablation, de façon préventive, de tumeurs du cerveau du type « gliome bénin » à des patients bien-portants et surtout à des patients qui sont éveillés pendant l’opération. Il les fait participer à leur opération. Le mode opératoire est le suivant : le patient est endormi pour l’ouverture de la boîte crânienne ; le cerveau étant insensible à la douleur, le patient est ensuite réveillé, et le chirurgien entreprend alors de solliciter par un courant électrique les fibres et connexions de son cerveau, délicatement, point après point, et l’opéré, par ses réactions, sous le regard et la surveillance d’un orthophoniste, d’un psychologue, d’un neurologue ou d’autres spécialistes, montre si ses fonctions cérébrales sont ou non altérées par ces impulsions électriques. Ainsi, au fur et à mesure, le chirurgien peut-il « cartographier » le cerveau qu’il opère et déterminer les parties atteintes qu’il peut sectionner et les parties auxquelles il ne doit pas toucher. Par ce procédé, le professeur Duffau peut enlever jusqu’à 95%, parfois plus, de la tumeur. La technique existait depuis quelque temps, par exemple en cas d’épilepsie ; il l’a remarquablement développée. Elle permet aux patients opérés d’échapper au risque de la transformation de leur tumeur bénigne en tumeur maligne. Elle est considérée comme très prometteuse.
L’opinion qu’exprime le titre du livre, et qui est répétée tout au long de l’ouvrage, est que Paul Broca s’est fourvoyé avec son « localisationnisme », que les neurologues depuis 150 ans, suivant aveuglément Broca, se fourvoient comme lui, et que lui Duffau, grâce à la théorie qu’il nomme « connexionnisme », montre enfin le vrai chemin.
Là, il est difficile de le suivre.
La méthode scientifique, depuis Anaximandre, commande à la fois, aussi paradoxal que cela soit, et de s’appuyer sur les œuvres de ceux qui vous ont précédé et de les remettre en cause. Or Hugues Duffau, loin de s’appuyer sur l’œuvre de Broca, donne l’impression d’avoir besoin de se justifier au contraire par son rejet, en bloc. Alors même que sa technique de « cartographie du cerveau » prolonge l’hypothèse de Paul Broca plus qu’elle ne la contredit. Broca sut se pencher sur le fonctionnement du cerveau. Le sujet avait alors encore quelque chose de sacré, de tabou. On n’en savait à peu près rien. Son hypothèse de la localisation cérébrale a ouvert la voie. Il est curieux de nier cet apport. Même si ce qu’on sait aujourd’hui s’est considérablement développé et bien sûr diffère grandement de ce qu’il a décrit il y a 150 ans. Notamment, et Hugues Duffau y revient longuement, quant à l’unicité de chaque cerveau, et quant à l’extraordinaire plasticité de cet extraordinaire organe, capable de s’adapter, au gré des circonstances et des obstacles, de déplacer ses connexions, d’en créer de nouvelles, etc.
Le sujet, le cerveau, est passionnant. Cette technique à opéré éveillé est impressionnante. Le livre est passionnant et impressionnant, malgré son titre provocateur.