Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
Depuis quelques décennies, on a pu observer l’importance croissante accordée par les particuliers pour des animaux autres que le chien et le chat, qu’il s’agisse d’animaux possédés au domicile ou de certaines espèces animales présentes dans des lieux publics destinés aux enfants (zoos, parcs aquatiques, écoles…). Ces animaux ne sont ni nouveaux ni exotiques (rongeurs, poissons, oiseaux…). Le terme «animal de compagnie non traditionnel» ou ACNT, utilisé depuis 2022 dans plusieurs pays européens, est préférable à celui de «nouveaux animaux de compagnie» (NAC) car beaucoup d’espèces ne sont ni nouvelles, ni exotiques. Elles peuvent même correspondre à un changement de statut de certains animaux domestiques initialement élevés pour leurs productions (lapin, chèvre, porc, volailles…), rencontrés aussi bien dans des lieux publics (fermes pédagogiques, mini-fermes, petting zoos…) que chez des particuliers.
C’est pourquoi un groupe de travail de l’Académie nationale de médecine, composé principalement de vétérinaires, de pédiatres et d’infectiologues, a rapporté un avis très complet le 12 mars 2024 sur les risques traumatiques et/ou infectieux pour l’enfant en contact avec ces ACNT [1].
Ce risque est accru chez le jeune enfant âgé de moins de 5 ans pour plusieurs raisons : 1° son système immunitaire immature le rend plus sensible aux infections ; 2° à cet âge, porter les mains à la bouche faisant partie de son comportement, la recommandation de se laver les mains est inadéquate ; 3° il est inconscient du risque traumatique ou infectieux encouru avec certains animaux.
Parfois ces risques sont sous-estimés du fait de l’apparente bonne santé de l’animal réservoir de l’agent pathogène. C’est le cas par exemple, dans les lieux publics, des ruminants pouvant être porteurs asymptomatiques d’Escherichia coli entérohémorragique (ECEH), susceptible de provoquer un syndrome hémolytique et urémique (SHU). En 2008, l’Académie vétérinaire de France avait alerté sur ce risque. A la même époque, une enquête réalisée par des pédiatres français a permis de noter que sur 1215 cas de SHU recensés de 2007 à 2016 (moyenne d’âge des enfants : 30 mois), 20% (soit 243 enfants) étaient liés à des contacts avec des animaux de ferme ou leur environnement. Une étude allemande, publiée en 2022, concernant 300 chèvres apparemment en bonne santé réparties dans 14 petting zoos confirme ce risque sous-estimé avec la détection d’ECEH chez 20% de ces chèvres (22,7% étant aussi excrétrices de Campylobacter).
Les risques liés aux ACNT au domicile peuvent être divers. Il peut s’agir d’un traumatisme (morsure, griffure, constriction…), en général sporadique et non déclaré par le propriétaire ignorant qu’une morsure peut permettre l’inoculation d’un agent pathogène présent naturellement dans la salive de l’animal asymptomatique (Capnocytophaga chez les carnivores, Streptobacillus chez les rongeurs…) et provoquer une septicémie mortelle. D’autres agents infectieux sont présents chez diverses espèces animales asymptomatiques (cf. tableau). Aux Etats-Unis, ces risques ont été recensés durant la période allant de 1996 à 2017, démontrant que l’enfant âgé de moins de 5 ans est le plus souvent affecté. Ils peuvent conduire au décès, et la maladie la plus fréquemment transmise par les ACNT est la salmonellose (81% des cas). En Europe, la sous-estimation de ces risques est liée à plusieurs facteurs : 1° le non-signalement des cas isolés ; 2° l’absence d’un système d’alerte à même, comme aux Etats-Unis, de collecter les cas sporadiques ; 3° la méconnaissance de certaines zoonoses, qu’elles soient émergentes ou liées à certaines espèces d’ACNT.
L’avis de l’Académie nationale de médecine fait l’objet de recommandations soulignant la sous-estimation des risques pour les enfants et résumées dans deux communiqués qui sont complémentaires.
Le premier communiqué, correspondant aux lieux publics, est paru le 26 avril [2] :
- rappelant que les liens entre animaux et enfants doivent donner lieu à des précautions sanitaires ;
- invitant, selon une approche «une seule santé», à une surveillance épidémiologique des zoonoses infantiles, en vue de la prévention et du traitement précoce de ces maladies ;
- recommandant que le grand public soit informé des risques potentiels liés à un contact étroit entre de jeunes enfants et des ACNT, le lavage des mains devant être la règle après avoir touché un tel animal, et qu’un affichage des mesures de «biosécurité» soit instauré dans les établissements accueillant enfants et ACNT, notamment concernant les règles d’hygiène et de sécurité approuvées par les directions départementales de la protection des populations ;
- déconseillant fortement, comme le fait Santé publique France, que des enfants de moins de 5 ans touchent des ACNT (ruminants, en particulier) dans les lieux publics ;
- et enfin, recommandant une interdiction de zones de restauration trop proches d’une mini-ferme (ou d’un petting-zoo), afin d’éviter que de jeunes enfants nourrissent des animaux tout en mangeant leur propre repas.
Dans le second communiqué paru le 2 mai [3], l’Académie nationale de médecine, considérant la présence au domicile de certains ACNT dont la détention est autorisée, recommande :
- d’informer le public de ces risques ;
- de déconseiller, lorsque des enfants âgés de moins de 5 ans sont présents au domicile, la détention des ACNT pouvant représenter un risque de morsure (furet, rat, iguane) ou de transmission d’agents infectieux (rongeurs, serpents, tortues, amphibiens, oiseaux, petits ruminants…) ;
- de rappeler aux parents l’importance, devant toute maladie chez un enfant de moins de 5 ans, de prévenir le médecin si un ACNT est présent au domicile ;
- de renforcer les contrôles sanitaires dans les animaleries hébergeant des ACNT commercialisés, en fonction des risques zoonotiques propres à chaque espèce ;
- de créer une plateforme de surveillance épidémiologique des zoonoses observées chez l’enfant exposé à la présence d’un ACNT, mobilisant tous les acteurs concernés (laboratoires médicaux et vétérinaires…) et permettant un partage des données pour la détection, le traitement précoce et la prévention de ces maladies.
Cet avis peut être extrapolé aux risques en Ehpad pour les personnes âgées dans le contexte actuel visant à leur permettre d’être accompagnées de leur animal de compagnie.
[2] Attention au contact étroit des enfants, au domicile, avec des animaux de compagnie non traditionnels (ACNT). Communiqué de l’Académie nationale de médecine, 26 avril 2024.
[3] Risques pour les enfants en contact étroit avec des animaux de compagnie non traditionnels (ACNT), dans les lieux publics. Communiqué de l’Académie nationale de médecine, 2 mai 2024.
- L’eau dans l’Univers
- Comment habiter la Terre maintenant ?