Les combats pour la nature. De la protection de la nature au progrès social

Valérie Chansigaud

(Buchet-Chastel, 2018, 256 p. 20€)

 
Les combats pour la nature (V. Chansigaud, Buchet-Chastel, 2018)« L’écologie est un peu comme le sexe : chaque génération aime à penser qu’elle est la première à la découvrir » (The Times, 1989). Il n’y a aucun risque de tomber dans ce travers après avoir lu le livre de Valérie Chansigaud, historienne des sciences, qui a placé cette accroche en exergue de son ouvrage. On y découvre en effet trois siècles d’histoire de ces combats pour la nature, riches d’évènements, de débats, de courants d’idées, très variés et finalement peu connus du grand public.

Ces combats ne se limitent pas à la défense des petits oiseaux et débordent souvent sur les questions de modèle de société. L’auteure a organisé son récit selon des thèmes : la démographie, le progrès technique, le lien avec la nature, la société de consommation, la pollution, les moyens d’action. C’est à un défilé impressionnant de penseurs en tous genres (une centaine !) que nous sommes conviés, dont quelques figures inattendues comme T. Roosevelt, R. Gary, ou le pape François !

Valérie Chansigaud présente ses sujets avec l’objectivité d’une historienne mais elle nous donne aussi son opinion personnelle, ce qui donne à l’ouvrage un intérêt supplémentaire. Prenons l’exemple de la démographie : le sujet était déjà d’actualité en 1679, lorsque le Hollandais Leeuwenhoek, découvreur du spermatozoïde, calculait le nombre d’humains que la Terre pouvait supporter. Puis Malthus est arrivé avec ses fameuses lois et ses terribles mesures pour l’éradication des pauvres, en opposition avec les Lumières, tels Godwin et Condorcet. Depuis, le sujet revient régulièrement, avec quelques best-sellers, et en 2017, dans l’appel des 15 364 scientifiques pour alerter l’opinion sur la détérioration de l’environnement, l’accroissement de la population est clairement nommé comme un facteur de risque. V. Chansigaud ne semble pas d’accord : « Certains parlent de solidarité tout en nourrissant le rêve de voir se réduire la population humaine », ironise-t-elle, et elle affirme qu’il n’y a pas aujourd’hui de consensus scientifique sur cette question. Le vieux débat se poursuit.

Sur le sujet du progrès, l’auteure s’oppose clairement aux nostalgiques de la Préhistoire (certains voient réellement la Préhistoire comme un âge d’or !). Elle est du côté de ceux, aujourd’hui rares, déplore-t-elle, qui favorisent le progrès technique. De même, elle refuse de suivre ceux qui condamnent d’un bloc la société de consommation, laquelle « est à la fois subie et voulue ».

Elle montre l’évolution historique des luttes vertes (défense de la nature vierge) vers les luttes marron (contre la pollution). Les premières ont été l’apanage des classes aisées alors que les secondes, plus récentes, concernent l’ensemble de la société. On apprend que la première dénonciation de produits toxiques dans la consommation date de 1933, et que c’est le livre de Rachel Carson, en 1962, qui a conduit à l’interdiction du DDT en 1972. V. Chansigaud narre l’incroyable odyssée du navire-poubelle Khian Sea qui finira par se décharger en haute mer. Et elle nous conte l’édifiante histoire de la lente contamination au mercure de la baie de Minamata au Japon, qui a fait 1700 morts. La société chimique a nié sa responsabilité durant les 36 ans où elle a rejeté son mercure, tout en constituant sa propre équipe de scientifiques, qu’elle contrôlait. Elle a bénéficié de l’appui de l’administration et des syndicats. C’est ce qui explique in fine l’ampleur du drame.
Notons l’analyse de l’auteure sur ceux qui propagent aujourd’hui le scepticisme environnemental. Elle estime que les scientifiques « semeurs de doute » qui en sont à l’origine sont largement minoritaires, rarement évalués par leurs pairs contrairement à la science à laquelle ils s’opposent, et disposant de moyens importants, « soutenus par des think tank dotés par des fondations et des entreprises ».

En conclusion de son ouvrage, V. Chansigaud fustige les écologistes purs et durs pour qui la défense de la nature est une fin en soi. « Mesure-t-on vraiment ce qu’il y a à gagner lorsqu’on troque la main invisible du marché pour la main invisible de la nature ?». Sa ligne directrice est le progrès social, indissociable, selon elle, du combat pour la nature.

Un livre passionnant et utile pour tout humaniste, favorable ou adversaire de l’écologie, parce que la résolution des problèmes d’aujourd’hui ne peut se faire sans l’éclairage du passé.