Les faux savants. Plongée au cœur du complotisme scientifique

Laurent Foiry

(L’Aube, 2024, 184 p. 17€)

 
Les faux savants (L. Foiry, L'Aube, 2024)«Les virus n’existent pas». Au détour d’un blog, cette assertion provocatrice a interpellé Laurent Foiry, docteur en biologie moléculaire. Il a voulu comprendre par quels chemins tortueux des gens en arrivent à dénier une vérité scientifique aussi bien établie. Avec ce livre, il nous emmène au cœur du complotisme scientifique.

L’origine du viro-dénialisme remonte au XIXe siècle alors que le mode de propagation des épidémies fait débat. En 1888, le médecin Antoine Béchamp publie sa thèse de l’inexistence de la contagion. Sa théorie est vite réfutée après les découvertes des bactéries, puis des virus. Mais elle sera adoptée par les viro-dénialistes du monde entier et le livre de Béchamp deviendra leur bible !

Laurent Foiry a étudié une communauté française de quelques milliers d’entre eux, créée en 2020. Leur credo : la virologie est une énorme fraude inventée par des élites corrompues. Le site est animé par des influenceurs et n’a pas de chef officiel. L’objectif est de semer le doute et de réduire la virologie à une simple hypothèse. Les preuves apportées par les contradicteurs sont ignorées. Ce n’est pas un débat scientifique mais un exercice de marketing. Ceux qui insistent dans l’opposition sont bannis. Les membres sont régulièrement invités à consulter un site parallèle prônant des régimes alimentaires entrecoupés de jeûnes.
Tous les dénialistes ou presque prônent des médecines alternatives, défiant parfois l’imagination, telles la rirothérapie ou l’urinothérapie ! Mais le refus de la science officielle peut être désastreux ; le chanteur québécois Bernard Lachance est mort après avoir mis fin à son traitement contre le sida. Et lorsque le dénialisme atteint le sommet de l’Etat, c’est une catastrophe nationale : dans les années deux mille, le président sud-africain, s’appuyant sur des experts dénialistes, a limité l’accès de la population au traitement du sida, entraînant la mort de 300 000 personnes.
L’anthroposophie est un mouvement qui prône la méditation et l’usage de gui pour guérir de tout, y compris du cancer. Il enseigne que la Covid résulte du déploiement de la 5G. Il possède ses propres banques, ses marques, ainsi qu’un réseau mondial de deux mille crèches.
Car le dénialisme est aussi une affaire très lucrative. On vend formations, prestations de thérapeutes, livres, produits dérivés, et l’on collecte de l’argent. L’animateur américain Alex Jones, diffusant (de fausses infos) sur InfoWars peut générer 800 000 $ en une seule journée.
La politique n’est jamais loin sur les réseaux dénialistes et la nuance n’y est pas de mise : «Il faut se débarrasser des élites esclavagistes». Souvent, le but affiché est d’affaiblir l’Etat, considéré comme trop intrusif.

L’auteur prend le temps de désamorcer un à un les arguments classiques des dénialistes. Il décrypte leurs jeux-concours truqués, organisés à la seule fin de donner une illusion d’ouverture au débat. Il rappelle que la science n’est pas parfaite, comme toute activité humaine, mais la méthode scientifique permet, in fine, de corriger les erreurs.

Pourquoi le dénialisme prospère-t-il ? Les bonimenteurs d’antan s’adressaient à quelques dizaines de personnes. Aujourd’hui, ils peuvent raconter n’importe quoi à des millions de personne via les réseaux sociaux.
La population est plus réceptive à ces discours lors de pandémies, comme celle de la Covid. Est-ce par réticence naturelle aux inévitables mesures (vaccins, confinement, masques) ? Ou est-ce la déception d’un public qui s’attendait à une réponse scientifique immédiate, claire, consensuelle ?
Lorsque le premier vaccin anti-Covid est annoncé en 2020, seulement 56% des Français se déclarent prêts à le prendre. Le plus bas taux d’Europe. Assez triste au pays des Lumières.

La vérité ne se défend plus toute seule. Elle est de plus en plus noyée sous un volume colossal grandissant de fausses informations. L’auteur esquisse quelques pistes pour renverser cette funeste tendance. Il propose d’allumer des contre-feux avec des productions massives de contenus scientifiques plus présents, plus attractifs, plus accessibles. Les résultats prometteurs des influenceurs scientifiques actuels sont encourageants, avec un total de dix-sept millions d’abonnements (Dr Nozman, et consorts).
Par ailleurs, laisser dire tout et n’importe quoi sur les réseaux sociaux sans se soucier des conséquences sur la collectivité ne doit plus être accepté. Il faut légiférer et responsabiliser les acteurs de cette vaste machine dénialiste : plateformes, annonceurs, influenceurs. Blocage de comptes et levée de l’anonymat sont des armes probablement efficaces.

La dernière phrase du livre sonne comme un avertissement qui nous concerne tous : «C’est ce dénialisme quotidien, diffus, insidieux, dangereux, difficile à maîtriser qui devrait mobiliser toute notre attention».
Un livre essentiel pour quiconque s’intéresse à la gouvernance de notre société.