Philip Moriarty
(EDP Sciences, 2024, 164 p. 12€)
«Nano est un préfixe grec signifiant : comment attirer des financements pour la recherche». Cette note ironique d’un professeur d’Oxford évoque l’engouement parfois exagéré que suscitent les nanosciences, tout comme Internet dans les années deux mille. Avec ce petit livre de l’excellente collection ChronoSciences, Philip Moriarty, nanotechnologue et professeur à l’université de Nottingham, entend «couper court à l’hyperbole» et nous «emmène dans une visite guidée du nanomonde».
Les nanosciences étudient les phénomènes à l’échelle du nanomètre (nm), soit un milliardième de mètre ou l’équivalent de quelques atomes. A cette échelle dominent la force électromécanique et les électrons (le noyau de l’atome est un million de fois plus petit). Les électrons sont au cœur de la technologie de l’information et façonnent le monde qui nous entoure. Pourquoi le diamant est-il rigide, le verre transparent, le fer magnétique, le cuivre conducteur ? Uniquement en raison de la disposition et des interactions des électrons. En contrôlant les électrons, le nanotechnologue, tel un démiurge, peut aujourd’hui modifier à sa guise les propriétés d’un matériau : couleur, résistance, conductivité électrique, réactivité chimique, réaction à la chaleur, à la lumière, à la contrainte mécanique. La liste des produits qui en bénéficient ne cesse de s’allonger : crèmes solaires, ordinateurs, purificateurs d’eau, balles de golf, cellules photovoltaïques, tissus intelligents.
Tout a commencé en 1981 lorsque les chercheurs du laboratoire IBM de Zurich inventent le microscope à balayage, dit MCP. Bien différent de ses prédécesseurs optique et électronique, il est muni d’une sonde pointue qui balaie la surface à observer. Il mesure et contrôle les forces d’interaction entre sonde et surface avec une précision atomique. Il opère sous ultravide à une température de 4°K pour éviter toute interférence parasite. «Nous pouvons pousser, tirer, aiguillonner et ramasser des atomes un par un», s’enthousiasme l’auteur. Une courte vidéo nous en donne une illustration spectaculaire, visible sur Internet (A boy and his atom, IBM, 2013). Chaque point lumineux est une molécule manipulée par le MCP.
Dans le nanomonde, la mécanique quantique joue un rôle important, notamment le principe d’exclusivité de Pauli selon lequel deux électrons ne peuvent occuper le même état quantique. Les atomes s’attirent, se repoussent, se lient, selon leur distance et les états quantiques de leurs électrons. Ils s’organisent pour atteindre la configuration de niveau d’énergie minimum et donc la plus stable, dans un processus fondamental appelé auto-assemblage.
Le confinement est un outil puissant dans le jeu de construction du nanotechnologue. Dans un «corral quantique», on piège les électrons et leurs ondes associées (onde de de Broglie) à l’intérieur d’un anneau d’atomes. Un réseau d’ondes stationnaires s’établit, que l’auteur compare aux rides à la surface d’un café soumis aux vibrations d’un train ! (l’équation de l’onde est la même). Plus petite est la structure de confinement, plus grande est l’énergie cinétique des électrons. En jouant sur cette taille, le chercheur peut régler les niveaux d’énergie des électrons et construire des nanostructures de plusieurs centaines d’atomes. Il s’agit là d’un outil de laboratoire extraordinaire.
Le MCP n’est pas adapté à un procédé industriel en raison de sa lenteur. Assembler une couche atomique de silicium d’un centimètre carré demanderait… trois millions d’années ! En comparaison, la nature assemble des cristaux de millions de couches atomiques en quelques minutes. C’est le résultat de millénaires d’évolution. Ce sont ces mécanismes que l’on cherche à utiliser dans les processus industriels.
Le monde du vivant, particulièrement performant, est source d’inspiration pour les chercheurs. Par exemple, l’ADN, qui présente une aptitude extraordinaire à générer des nanostructures, et les protéines motrices, telles les kinésines, qui sont de véritables nanomoteurs.
Ces quelques lignes ne donnent qu’un aperçu incomplet du livre, qui fourmille de sujets connexes. Citons : la miniaturisation des circuits intégrés (on est à 3 nm le composant) et sa limite technique, le spin de l’électron, les ordinateurs quantiques, l’entropie dans l’auto-assemblage, le «merveilleux graphène», le calcul moléculaire, les nanorobots, les «cils artificiels».
Tout au long du livre, l’auteur rappelle que la route pour transformer une découverte en solution industrielle est tortueuse, et il reste généralement assez discret sur les applications. Il fait brièvement un point factuel sur les dangers sanitaires.
Le texte est alerte, enthousiaste et agréable à lire, malgré quelques passages ardus. Le livre offre à tout lecteur ayant une base technique une excellente introduction à l’une des technologies les plus fascinantes et prometteuses de notre époque.