10 choses que vous aimeriez savoir sur les fonds marins

 Jon Copley

(Ed. EPFL Press, 2025, 120 pages, 14,15€)

Le livre est d’apparence plutôt austère. Une couverture en noir et blanc, aucune photo, aucun dessin. Mais le lecteur est vite happé par un texte alerte qui l’emmène dans l’univers fascinant du monde sous-marin.

L’auteur, Jon Copley, est océanographe. Il a dirigé plusieurs expéditions sous-marines importantes. En dix petits chapitres, il nous brosse un panorama court mais complet de ce vaste espace, qui occupe 71% de la surface du globe.

Le paysage sous-marin a été modelé par des phénomènes assez différents de ceux de notre monde terrestre. A une profondeur moyenne de 2.500 m, une crête longue de 65.000 km, « serpente autour du globe comme la couture d’une balle de tennis » A partir de cette « dorsale », la croûte océanique, poussée par les courants de convection du manteau fluide situé en-dessous, est constamment régénérée et s’éloigne « à la vitesse que poussent nos ongles ». Autour de ce phénomène étonnant, l’auteur explique brièvement la formation des volcans, plaines abyssales, vallées, canyons, cheminées, montagnes, fosses, qui peuplent le paysage sous-marin.

La vie est présente partout jusqu’au point le plus profond : – 10 950 m. Depuis les crustacés microscopiques jusqu’aux calmars de 13 m de long., on répertorie aujourd’hui 200.000 espèces, et on en découvre de nouvelles tous les jours. On se trouve devant « une véritable bibliothèque illustrant l’ingéniosité de la nature ». Exemple : l’escargot à pied écailleux, vivant à – 2.000 m dans l’océan Indien, réalise un exploit dont l’homme est incapable : il fabrique du sulfure de fer à basse température : L’homme va adopter sa technique pour améliorer la performance des panneaux solaires.

N’ayant pas de poumons remplis d’air comme leurs confrères au-dessus, les animaux sous-marins sont insensibles aux énormes pressions des profondeurs. Ainsi, le poisson-limace osseux vit à – 8.500 m C’est la limite pour les poissons, car en-dessous, le fonctionnement de leurs cellules serait affecté.

La nourriture vient surtout d’en haut. Dans les eaux de surface où perce la lumière du soleil, des algues se forment par photosynthèse, dont les krills se nourrissent. Les restes de ces repas, les excréments, et les cadavres tombent en « neige marine », dont profitent plus bas des créatures qui préfèrent cette manne plutôt que de s’épuiser à la chasse tel le vampire des abysses qui n’a qu’à étendre deux de ses dix bras pour déguster. Et la neige qui atteint le plancher océanique fait les délices de ses habitants tel le concombre des mers. Certains animaux suivent des régimes spécifiques : les charognards avec les carcasses de poissons, les palourdes xylophages avec le bois (3 millions de tonnes par an rejetées dans l’océan), les vers zombies avec les os dont ils dissolvent la couche minérale protectrice. « Dans les abysses, il y a très peu de gaspillage » remarque l’auteur. La photosynthèse n’est pas l’unique source d’énergie et de nourriture. La chimiosynthèse utilise l’énergie chimique du sulfure d’hydrogène des cheminées thermales. De même, l’electrosyntèse, utilise l’énergie de minuscules courants électriques entre les roches et l’eau de mer. La vie est possible sans la lumière du Soleil. Le monde sous-marin est décidément fascinant !

Les techniques de reproduction sont d’une incroyable diversité. Les calmars s’accouplent sans discernement peu importe le sexe, et même l’espèce du partenaire. Le concombre est hermaphrodite mais non autofécondant ; il reste fidèle à son partenaire : en témoignent leurs traces parallèles sur la boue de la plaine abyssale, « comme une voie ferrée ». Pour féconder ses œufs, la femelle du ver zombie garde sous la main un harem d’une douzaine de mâles, cent fois plus petits qu’elle. Celle du poisson-pêcheur fusionne dans un baiser permanent de toute une vie avec un mâle fournisseur de sperme. Le trophée du parent le plus dévoué revient à la pieuvre qui couve ses œufs pendant quatre ans, avant de mourir.

La lumière du Soleil est perceptible jusqu’à – 1.000 m. Dans cette zone crépusculaire, les animaux sont presque tous bioluminescents ; la lumière qu’ils émettent se confond avec celle du soleil et les rend quasi invisibles, une technique astucieuse appelée « contre-illumination ». Au-delà de 1.000 m, c’est l’obscurité totale, seulement troublée par les éclairs émis par les chasseurs, comme la pieuvre attirant les petits crustacés sur ses bras lumineux. Certains animaux n’ont pas d’yeux, comme le crabe de Hoff ; ils se guident par le son et l’odeur.

Dans un dernier chapitre, l’auteur s’alarme devant les effets multiples de l’activité humaine aux grandes profondeurs : chalutage de fond, exploration pétrolière (à – 3.400 m !) et minière (en projet). Il lance un appel pour une réglementation plus sévère.

Ce petit livre de 118 pages est passionnant et instructif. Le récit est fluide, parsemé de pointes d’humour. « J’espère que vous ne reviendrez pas tout à fait le même de cette aventure » souhaite l’auteur. Pari gagné !