Madame de Genlis et la formation aux arts et métiers du futur roi Louis-Philippe

Alain Delacroix

Professeur honoraire, chaire « Chimie industrielle – Génie des procédés » du Conservatoire national des arts et métiers
 

Laboratoire de chimie, 1783. Maquette de madame de Genlis, chargée de l’éducation des enfants du duc de Chartres (Etienne Calla, mécanicien. Augustin Charles Perier, mécanicien constructeur. Inventaire n°: 00131-0000-. © Musée des arts et métiers-Cnam/photo Michèle Favareille)

Laboratoire de chimie, 1783 Maquette de Madame de Genlis. © Musée des arts et métiers-Cnam/photo Michèle Favareille
 
Félicité Stéphanie du Crest de Saint-Aubin est née le 25 janvier 1746. Son père, Pierre César du Crest, achète le château de Saint-Aubin-sur-Loire en 1751 et Félicité y passe toute son enfance. En 1757, Pierre César, ruiné, vendra le château au mari de la marquise de Pompadour qui le fera raser pour faire reconstruire, entre 1771 et 1777, un château moderne, toujours existant. C’est dans le vieux château que Félicité reçoit une excellente éducation. Elle lit les œuvres de mademoiselle de Scudéry, joue du clavecin et de la harpe, écrit des textes, apprend à danser et à manier les armes. Passionnée très jeune par l’enseignement, elle fait la classe aux enfants du village et enseigne la harpe. Elle visite tous les métiers des villageois et plus tard fera construire de magnifiques maquettes, dont il sera question plus loin.

Vers 1759, toute la famille du Crest passe l’été chez le fermier général de La Popelinière, un collectionneur, mécène et écrivain qui mène grand train et reçoit Rameau, Jean-Jacques Rousseau, Quentin de La Tour, Jacques Vaucanson et des actrices et autres danseuses. Il apprécie beaucoup Félicité et est très admiratif de son intelligence et son érudition pour une jeune fille de treize ans.
Pierre César du Crest meurt ruiné en 1763 et la famille se retrouve dans une certaine gêne financière. La mère de Félicité, usant de ses relations, est introduite dans le salon de riches personnages et participe avec sa fille à de nombreux dîners mondains où celle-ci, à la fin des repas, donne des récitals de harpe et se fait remarquer par sa beauté et son intelligence.

La marquise de Montesson présente à Félicité le jeune Charles-Alexis Brûlart, marquis de Sillery, comte de Genlis, et les deux jeunes gens se marient en novembre 1763. Le jeune marié a l’intelligence de laisser sa femme développer ses ambitions sociales. Compte tenu de ses huit quartiers de noblesse, Félicité, devenue madame de Genlis, est présentée à la cour. En 1772, elle est nommée « dame pour accompagner » la belle-fille du duc d’Orléans, tandis que son mari devient capitaine des gardes du duc de Chartres, plus tard duc d’Orléans, futur Philippe Egalité. Ils sont alors logés au Palais-Royal.

Dès 1772, le duc de Chartres, séduit par la beauté et les qualités intellectuelles de madame de Genlis, devient son amant. Elle en eut, peut-être, plusieurs enfants, dont Paméla, qui épousa lord Fitzgerald, et Fortunée Elisabeth Herminie Compton, la grand-mère de Marie Lafarge, célèbre, comme on le sait, pour avoir été soupçonnée et condamnée pour avoir homicidé son mari à l’arsenic [1].
A cette époque, madame de Genlis écrit des petites comédies pour ses filles et fait représenter quelques pièces pour l’aristocratie de cour. En 1779, elle publie Théâtre à l’usage des jeunes personnes, qui marque le début d’une grande carrière d’écrivain puisqu’elle publiera plus de 140 ouvrages.
En 1782, le duc de Chartres la fait nommer « gouverneur » de ses enfants et elle va s’occuper principalement du futur roi Louis-Philippe, qui lui voue une véritable adoration. Avec ses élèves, elle s’installe dans le pavillon de Bellechasse, rue Saint-Dominique, et c’est là qu’elle écrit de nombreux ouvrages. Elle entre en relation avec Rousseau, Voltaire, Bernardin de Saint-Pierre, Talleyrand, David, Juliette Récamier.
 

  Madame de Genlis, par Adélaïde Labille-Guiard (1790)

Pendant la Terreur, elle émigre en Angleterre avec sa nièce. Son mari et Philippe Egalité sont décapités tandis que ses deux élèves, les frères de Louis-Philippe, croupissent en prison.
Bonaparte, qui l’admire, l’autorise à rentrer en France en 1801, et la pensionne. En 1812, l’empereur la nomme inspecteur des écoles primaires.
A la Restauration en 1815, ses liens avec les d’Orléans rendent sa vie difficile au retour des Bourbons. Elle ne vit alors plus que de ses droits d’auteur.
Elle décède le 31 décembre 1830, à l’âge de 84 ans, faubourg du Roule à Paris, dans une pension de famille, cinq mois après l’intronisation du roi des Français Louis-Philippe, le 9 août 1830. Elle est inhumée dans un premier temps au cimetière du Mont-Valérien, le 4 janvier 1831 (ses restes seront transférés en 1842 au cimetière du Père-Lachaise). Au moment de son enterrement, le doyen de la faculté des lettres de Paris déclare : « Pour honorer et célébrer dignement la mémoire de madame de Genlis, ce seul mot doit suffire : son plus bel éloge est sur le trône de France ».

Madame de Genlis a eu une carrière d’écrivain reconnu, avec de nombreux succès, mais est complètement oubliée aujourd’hui. Il reste cependant un magnifique souvenir de son activité pédagogique. Ce sont les maquettes dites « maquettes de madame de Genlis », qu’elle avait fait réaliser pour montrer à ses élèves les ateliers des différents métiers. Il n’y a pas très longtemps, ces maquettes se trouvaient dans une salle qui leur était réservée au musée national des techniques du Conservatoire national des arts et métiers [2]. Dans ses mémoires elle écrit : « Je leur avais fait faire dans les mêmes proportions et avec la même perfection des outils et tous les objets qui servent aux arts et métiers ». C’est en 1783 que les frères Jacques Constantin et Augustin Charles Perier réalisent ces maquettes inspirées des planches de L’Encyclopédie et de la Description des arts et métiers de l’Académie des sciences. Parmi toutes celles réalisées à l’échelle 1/8, on trouve : l’atelier du menuisier, l’atelier pour la fabrication d’eau-forte, le laboratoire de chimie, les ateliers du cloutier, du serrurier, du potier, etc. Ces maquettes sont esthétiquement très belles et les objets sont réalisés avec minutie et exactitude. Le laboratoire de chimie contient une multitude d’alambics, de cornues, de matras et autres coupelles et on y trouve des symboles alchimiques encore utilisés à l’époque puisque ces maquettes ont été réalisées juste avant la création de la nomenclature actuelle par Lavoisier et Guyton de Morveau.

En 1847, Louis-Philippe confie à Victor Hugo : « Elle m’a fait apprendre une foule de choses manuelles. Je suis menuisier, palefrenier, maçon, forgeron. J’étais un garçon faible, paresseux et poltron. Elle fit de moi un homme assez hardi et qui a du cœur ». Que peut-on dire de mieux pour conclure sur madame de Genlis !