Tim James
(Dunod, 2022, 232 p. 19,90€)
Tim James est un vulgarisateur scientifique à succès, réputé pour sa verve et son humour. Dans son dernier livre, il s’attaque à un sujet à priori un peu désuet : l’atome et le tableau périodique des éléments, «cette chose hideuse qui devait probablement pendouiller» au mur de la classe.
On démarre en 1669 avec un certain Brandt qui découvre le phosphore en faisant bouillir de l’urine. Il révèle ainsi qu’un élément chimique simple peut se cacher dans un corps composé très différent. Lorsque Lavoisier identifie les composants de l’eau et de l’air (1780), une véritable course aux nouveaux éléments est lancée. Le Britannique John Dalton, quaker autodidacte, observe que ceux-ci se combinent exclusivement dans des rapports simples. Il en déduit qu’ils sont constitués d’«atomes» indivisibles (1808).
Depuis toujours, on a cherché à classer les éléments. Empédocle en identifie quatre : l’air, la terre, l’eau et le feu. Lavoisier classe trente-trois éléments dans quatre catégories. En 1869, le Russe Mendeleïev range soixante-six éléments dans un tableau selon leur masse atomique croissante. Tous ceux qui tombent dans une même colonne sont chimiquement semblables. Pour obtenir cette périodicité, Mendeleïev a eu le génie d’inclure des éléments hypothétiques encore inconnus. Leur découverte ultérieure assurera sa gloire et la consécration de son tableau.
L’atome imaginé par Dalton s’avère divisible : J.J. Thompson découvre les électrons (1897). Son modèle d’atome baptisé «flan aux pruneaux» est taillé en pièces par le Néo-Zélandais Rutherford avec sa fameuse «expérience de la feuille d’or» (1910) : l’atome, c’est un noyau central, des électrons périphériques et 99% de vide.
En 1932, on savait que les atomes étaient tous constitués des trois mêmes particules : les protons, les neutrons (formant le noyau) et les électrons. Comment dès lors expliquer que les éléments présentent des propriétés chimiques aussi différentes ? Ainsi le brome, liquide mauve qui embrase le métal, et le krypton, gaz incolore inerte, ne différent que par un proton et un électron. La réponse à ce mystère est dans la mécanique quantique, nous annonce Tim James. L’équation de Schrödinger (la seule du livre), qui définit non pas des orbites précises d’électrons mais des zones de probabilité, appelées orbitales, «où un électron a le plus de chance de se trouver». (1926). Celles-ci sont de formes variées : «sphères», «haltères», «paquets de ballon». Chaque élément voit ses propriétés chimiques expliquées par son orbitale. Le tableau de Mendeleïev est réaménagé en conséquence (1945). L’auteur le passe en revue avec son style imagé : à chacune des dix-huit colonnes correspond une famille d’orbitales. Il explique pourquoi les métaux sont conducteurs, le mercure liquide («l’excentrique»), le bore cristallin, le fluor violent («égoïste»), les gaz nobles peu réactifs («les snobinards»).
Les électrons peuvent danser sur leurs orbitales, l’élément reste inchangé. Ce n’est plus le cas lorsqu’on touche au noyau. L’auteur raconte comment Rutherford a fait la une des journaux en 1919 en transformant de l’azote en carbone, réalisant ainsi la première transmutation de l’histoire et le vieux rêve des alchimistes.
Lorsque le noyau est grand, il est instable : il éjecte alors des particules, il est radioactif. Dans certaines conditions, il se casse en deux : c’est la fission, le fondement de la bombe atomique et des centrales nucléaires ; elle fut découverte en 1938 grâce aux travaux de l’Autrichienne Lise Meitner, ce qui valut un prix Nobel… à son partenaire masculin, s’indigne un Tim James sarcastique.
Autre femme scientifique oubliée et réhabilitée par l’auteur : l’astronome américaine Cecilia Payne-Gaposchkin, auteure de «la thèse la plus brillante jamais écrite en astronomie» (1925), sur la composition des étoiles, d’où proviennent tous nos atomes terrestres.
Le tableau des quatre-vingt-douze éléments naturels est complété en 1940 avec l’astate, dont il n’existe qu’un gramme sur Terre ! En cette même année, l’homme devient démiurge et crée le premier élément artificiel, le neptunium, suivi par le plutonium. Vingt-six éléments artificiels seront ainsi créés, avec des applications militaires, médicales et industrielles, le dernier en 2016. Peut-on aller plus loin ? Les avis sont partagés.
L’auteur multiplie les sujets connexes parfois inattendus, comme le découvreur méconnu de l’électricité, Stephen Gray, ou la formule chimique du corps humain, sa combustion spontanée, la force des piments, les poisons, la radioactivité de la banane.
Devant ce foisonnement, il se peut que le lecteur peine parfois à se concentrer sur le sujet principal. Mais le style, alerte et enjoué, rend la lecture plaisante, tout en restant instructive. Le cœur de la présentation est techniquement solide et largement à la portée d’un non-initié. Ne boudons pas notre plaisir. Science et divertissement peuvent très bien cohabiter.