Marc-André Selosse
(Actes Sud, 2024, 448 p. 25€)
Le constat, pour le dire familièrement, que l’humanité fait fausse route est largement partagé, aussi bien par les professionnels de diverses disciplines que par les simples quidams.
De nombreux livres, depuis de nombreuses années, sont écrits sur le sujet.
Celui-ci l’aborde sous un angle bien particulier et très convaincant : l’évolution.
Cela va sans dire, mais cela va encore mieux en le disant tant le phénomène est imperceptible au jour le jour : l’évolution se poursuit, l’évolution est toujours et sera toujours en cours, la nature évolue et nous, hommes et sociétés, qui faisons partie de la nature, nous évoluons aussi, continûment, avec elle.
Cette idée que nous faisons partie de la nature ne va pas de soi. De la Bible à Descartes, ou même à Diderot, l’injonction «soyons maître et possesseurs de la nature» n’était guère contestée. Encore aujourd’hui, la croissance est le plus souvent présentée, explicitement ou implicitement, comme une indiscutable nécessité, sans la moindre considération quant à la «capacité biotique» de la nature.
Cela nous oblige à la fois à la modestie et à la responsabilité. C’est ce que montre, par une série d’exemples qu’il nomme «essais», Marc-André Selosse, professeur au Muséum national d’histoire naturelle, l’auteur de cet ouvrage au titre évocateur Nature et préjugés.
Le livre est trop riche et trop foisonnant pour être facilement résumé.
«La nature est bien faite», la phrase nous vient facilement sur les lèvres, elle exprime l’un de ces préjugés sur lesquels l’auteur attire notre attention. Cette affirmation en effet a-t-elle un sens ? La nature est ce qu’elle est, après d’innombrables hasards et d’innombrables ratages, disparus en cours de route, non sélectionnés. La nature n’est ni bien faite ni mal faite, elle est telle que l’évolution l’a faite et continue à la faire. Nous ne vivons pas dans un milieu en équilibre, mais dans un milieu en perpétuel déséquilibre, abritant d’innombrables compétiteurs et parasites, de toutes sortes et de toutes tailles, en lutte les uns avec les autres.
«Rien n’est permanent, sauf le changement», aurait dit Héraclite.
Génétique, agriculture(s), histoire, culture, diététique, alimentation, pêche, santé, épidémies, climat, etc. : les sujets abordés sont multiples, le livre est épais, dense, passionnant. Sa présentation, en ces dix «essais», en est vivante et pleine d’humour.
Les évolutions culturelles étant plus rapides que les évolutions biologiques, nous devons être sensibles à ce hiatus et vigilants.
Avec l’évolution, la diversité, composante essentielle de l’évolution, est un autre fil conducteur du livre, la diversité dans ses trois dimensions. La première dimension est la plus connue, la diversité des espèces. La seconde dimension est la diversité, en particulier génétique, à l’intérieur de chaque espèce. Et enfin, la diversité à laquelle on pense moins est la diversité à l’échelle microscopique, celle des microbes, bactéries, virus, etc., aussi importante sinon plus encore que les deux autres. En effet l’excès d’hygiène, l’obsession de la stérilisation, l’abus d’antibiotiques en médecine mais aussi dans l’élevage, l’agriculture, l’agro-industrie appauvrissent dramatiquement cette diversité microscopique et cet appauvrissement est à l’origine du développement, ou le favorise, de toutes ces maladies dites modernes que sont l’obésité, le diabète, les allergies et tant d’autres.
Chacun devrait avoir ce livre sur sa table de nuit et en lire un passage de temps à autre, afin de s’imprégner de toutes les facettes de nos innombrables interactions avec la nature.