Néandertal réhabilité

Alain Foucault

Professeur émérite du Muséum national d’histoire naturelle (Paris)
 

© Expo Néandertal – Kinga, par Elisabeth Daynès, MNHN – JC Domenech

© Expo Néandertal - Kinga, par Elisabeth Daynès, MNHN - JC Domenech

La Düssel est une petite rivière qui conflue avec le Rhin dans la ville à laquelle elle a donné son nom : Düsseldorf. Un pasteur allemand du XVIIe siècle, Joachim Neander, aussi poète et compositeur, venait chercher la paix dans sa verte vallée, à l’endroit que, pour cela, on a appelé Neanderthal (aujourd’hui Neandertal, thal, ou tal, signifiant vallée). C’est justement là qu’en 1856 des ouvriers travaillant dans une petite grotte dite Feldhofer ont mis à jour une quinzaine d’ossements dont l’âge ancien a été rapidement admis et que l’on a rapporté à une nouvelle espèce d’homme : Homo neanderthalensis.

Parmi ces ossements, se trouvait une calotte crânienne qui ressemblait à celle d’un homme, mais dont certaines particularités, notamment des bourrelets sus-orbitaux saillants s’écartaient notablement de tout ce que l’on connaissait sur les squelettes de l’homme moderne et rappelaient ceux des singes. De longues polémiques s’en sont ensuivies, où pour certains il s’agissait des os d’un malade, pour d’autres quelque chose comme un homme-singe. Mais cette trouvaille isolée ne pouvait que difficilement donner lieu à des généralisations. Il en fut bientôt autrement lorsque se multiplièrent les découvertes de restes osseux comportant des crânes aux mêmes caractéristiques et, au vu de squelettes complets ou presque, on n’eut plus de doute concernant le statut décidément humain de cet homme de Néandertal.

Homme sans doute, mais homme primitif et, pendant longtemps, on a insisté sur son aspect brutal, sur « la prédominance de ses fonctions purement végétatives ou bestiales sur ses fonctions cérébrales » et sur le fait qu’il « représentait un degré de l’échelle humaine morphologiquement inférieur à tous les échelons de l’Humanité actuelle » (Marcellin Boule). Bref une brute inintelligente.

Depuis 1856, beaucoup de découvertes ont été faites qui ont montré que cet homme avait existé depuis 350 000 ans jusqu’à il y a quelque 35 000 ans, s’étant répandu sur toute l’Europe et au-delà jusqu’au Proche-Orient. Parallèlement, les idées le concernant ont évolué et l’on a été amené à réviser les mythes souvent négatifs qui s’y attachaient.

C’est à cette révision que se sont attachés les commissaires de l’exposition Néandertal L’Expo [1] qui se tient actuellement au Musée de l’Homme à Paris.
On apprend que Néandertal savait faire cuire ses aliments, pouvait se soigner avec des plantes, que, s’il habitait l’entrée des grottes, il savait aussi faire des constructions. On voit qu’il pouvait enterrer ses morts, qu’il fabriquait des outils variés, dont certains semblent faire penser à des préoccupations esthétiques.

Mais ce qui nous rapproche le plus de lui, c’est qu’il s’est métissé à notre espèce d’Homo sapiens. On a longtemps hésité à envisager cette possibilité, mais les progrès de la biologie moléculaire ont montré que l’ADN des hommes modernes, sauf en Afrique, pouvait comporter des restes de l’ADN de Néandertal. Pas beaucoup certes, mais quelques pourcents qui montrent qu’il peut compter parmi nos ancêtres. Ancêtre dont la disparition, il y a quelque 35 000 ans, a sa part de mystère.

Cette exposition tend ainsi à réhabiliter cet homme jadis décrié et nous fait sentir qu’en quelque sorte, il reste encore présent. Le parcours qu’elle propose est clair et aéré et des dispositifs interactifs ajoutent à son intérêt. Celui qui cherche l’authenticité appréciera la présence des originaux de fossiles rarement montrés au public, notamment la calotte crânienne découverte en 1856 et le crâne de l’homme de La Chapelle aux Saints.
En tout, une réussite qui mérite qu’on y consacre une visite.

 

[1] Neandertal L’Expo, jusqu’au 7 janvier 2019 au Musée de l’Homme
Commissaires scientifiques : Marylène Patou-Mathis et Pascal Depaepe