sous la direction de Laurence Honnorat
(Belin, 2021, 278 p. 18€)
«Il est silencieux, omniprésent et ambigu, d’une irrépressible et inextricable influence». C’est ainsi que Laurence Honnorat qualifie le hasard, thème central de l’ouvrage collectif qu’elle a conçu avec pas moins de trente auteurs !
Ceux-ci sont principalement des scientifiques (physique, astrophysique, mathématiques, informatique, sciences cognitives, climatologie, paléontologie, botanique), mais aussi astronaute, aviateur, psychologue, philosophe, historien, artiste.
Chaque auteur présente un article autour du concept du hasard. Le livre se découpe en trente chapitres d’une dizaine de pages, juxtaposés dans un ordre aléatoire, sans coordination apparente, ni classement. Quelques morceaux choisis de cet ensemble inévitablement hétéroclite :
Les rapports entre l’homme et le hasard font l’objet de six articles, et du titre du livre : Pourquoi moi ?, la question que l’on se pose parfois lorsqu’un malheur nous accable.
Comment des êtres rationnels refusent-ils le hasard pour lui préférer l’hypothèse des complots ou de la main du destin ? A cette question très actuelle, Jean-Louis Dessalles, chercheur en sciences cognitives, répond avec la théorie dite de la «simplicité anormale». Supposons que la série 1, 2, 3, 4, 5, 6 soit tirée au loto. Ce résultat sera considéré comme remarquable. Pourtant sa probabilité est la même que celle de tous les autres tirages possibles. L’être humain tend à penser qu’une situation anormalement simple, comme une série de coïncidences, ne peut pas être le fruit du hasard. Les théories sur la fameuse coïncidence des présidents Lincoln et Kennedy en témoignent. Ce schéma de pensée serait câblé dans nos cerveaux. Peut-être forgé par l’évolution ?
En 1920, Ernest Rutherford écoute les clics de son compteur Geiger qui enregistre les désintégrations radioactives d’un bloc de thorium. Les clics sont irréguliers : une impression de pur hasard. Rutherford est en train de vivre un moment capital de l’histoire des sciences : on prend conscience que certains phénomènes sont naturellement aléatoires. La physique quantique, née en 1900, intégrera cette découverte et deviendra, en partie, probabiliste. Aujourd’hui, elle règne sur le monde des particules avec une précision extraordinaire (huit décimales !).
La cosmologie fait l’objet de sept chapitres et constitue le domaine le plus approfondi du livre.
Le réglage des paramètres cosmologiques tient-il du hasard ? Certains, comme la distance Terre-Soleil, ne peuvent être différents, sans quoi la vie n’existerait pas. Ce n’est pas le cas de la distance Terre-Lune, écrit Jean-Philippe Uzan dans son article passionnant sur les grandes questions de la cosmologie. On y apprend qu’en raison de l’expansion, dans 100 milliards d’années, notre ciel sera vide d’étoiles : «Nous devrions chérir de vivre dans cette petite frange de temps pendant laquelle l’Univers est compréhensible». A méditer en effet.
Ces fameux paramètres dérivent-ils d’une intelligence créatrice comme l’affirme Jean-Dominique Michel dans son article ? Marc Lachièze-Rey fustige cette position, qui se trouve d’ailleurs en dehors du champ de la science.
Au cœur des étoiles, selon la physique quantique, certains noyaux d’hydrogène parviennent à franchir le barrage des forces de répulsion électrique pour fusionner entre eux, ce qui engendre de l’énergie et des noyaux d’atomes de plus en plus lourds, qui seront in fine rejetés dans l’espace à la mort de l’étoile. Ainsi le fer de l’hémoglobine de notre sang provient de ces lointaines explosions d’étoiles ! Fabuleux parcours, semé de multiples hasards, remarquablement raconté par Roland Lehoucq.
Selon Hubert Reeves, le hasard est l’élément-clé qui donne à la nature sa diversité. Par le jeu combiné des lois et du hasard, la nature exprime son «évolution créatrice» (selon la formule de Bergson) et sa complexité croissante, de la particule à la galaxie et l’être humain.
La liste des autres sujets traités illustre bien l’ubiquité du hasard : la tolérance (faible) au monde aléatoire, la reproduction des organismes vivants (une série de hasards qui nous rend uniques), la sélection naturelle (elle trie ce que le hasard propose), les extinctions d’espèces (le hasard des volcans et des météorites), le climat (aucune chance que le hasard ne nous aide), les missions spatiales («les dinosaures ont disparu car ils n’avaient pas de programme spatial»), la voltige aérienne, aléa et liberté, le rôle (trompeur) de l’intuition, l’intelligence artificielle, la métrologie, la fabrication de hasard, les pratiques divinatoires, les essais cliniques du Dr Raoult, le surréalisme, l’espérance de vie, la perception du hasard par les enfants.
Dans son introduction, Laurence Honnorat évoque «cette cogitation à laquelle vous êtes conviés». Promesse tenue. Ce livre, dont la lecture est plaisante, suscite une saine réflexion «à bâtons rompus» sur quelques-unes des innombrables facettes du hasard.